Attentats de Paris, seul en défense de Salah Abdeslam Me Frank Berton assume

Attentats de Paris, seul en défense de Salah Abdeslam Me Frank Berton assume

En entrant au Stade de France, où il est allé soutenir le LOSC face au Paris SG, samedi dernier, une pensée l’a piqué quelques instants : «
Ça me fait quand même drôle d’être ici’
» Qui dit qu’il serait venu, d’ailleurs, si le public avait su, alors, qu’il était le nouvel avocat de Salah Abdeslam, l’homme qui a déposé trois terroristes à Saint-Denis le 13 Novembre ‘ «
Certains auraient pris ça pour de la provocation, non ‘
»

Frank Berton et son nouveau client s’étaient rencontrés la veille
, à la prison de Beveren. «
J’avais besoin de cela pour donner ma réponse, dit-il. S’il m’avait accueilli par un Allah akbar », ou s’il avait voulu revendiquer les attentats, je lui aurais dit au revoir tout de suite. »

Depuis Outreau

Besoin de cela, au bout de quelques jours de réflexion. «
J’ai consulté plusieurs personnes de mon entourage. Parce qu’une décision comme celle-là n’engage pas que moi. » Il pense à son cabinet, à sa famille. Et à sa vie qu’il partage entre l’un et l’autre, et qu’il pimente de ses passions pour la musique, pour les bons vins, pour l’amitié. Et qu’il pimente aussi de ces coups de pression terribles liés aux dossiers qu’il traite désormais. Depuis qu’il est de la trempe des ténors. Depuis Outreau, sans doute.

«
Mais j’ai déjà défendu des terroristes, il y a vingt ans. » C’était après les attentats de 1995, dans le métro parisien. Son client était Smaïn Aït Ali Belkacem
, qui avait été arrêté début novembre, à Villeneuve-d’Ascq, alors qu’il préparait un attentat au marché de Wazemmes. «
Dans un premier temps, il avait reconnu sa participation aux attentats. Puis au bout de trois mois, il a changé. Il a voulu nier. Je lui ai dit qu’en conscience, je ne pouvais pas continuer à le défendre. Pas demander un acquittement après avoir expliqué les circonstances de ce qu’il avait fait’ »

Et tout de suite, il ajoute : «
Mais je défends également des victimes d’attentats. » La famille Dewailly, qui a perdu la petite Camille, à Marrakech, et d’autres, aussi. Il montre le texto d’une cliente qui l’encourageait, hier matin. «
Même si j’ai été surprise, au début, je ne vous le cache pas
», explique cette dame.

« Qu’il soit jugé pour ce qu’il a fait, et pas pour les autres »

Et c’est aussi en conscience qu’il a accepté de défendre Abdeslam. «
Il a des choses à dire et assure qu’il veut s’exprimer. Je vais l’aider, pour cela. L’assister. » Comme hier, lorsqu’il a catégoriquement refusé qu’on passe une cagoule à son client, dans les couloirs du palais de justice. «
Et veiller à ce que la procédure soit équitable ; qu’il soit jugé pour ce qu’il a fait, et pas pour les autres.
» Un instant de silence, puis sur le même ton : «
J’ai l’impression de dire les
mêmes choses à chaque fois. C’est mon métier d’avocat, c’est tout.
» Mais tout de même, cette fois, c’est Salah Abdeslam. Il n’ignore donc pas les réactions qui arriveront. Qui sont même déjà arrivées : quelques messages agressifs sur son téléphone, sur sa boîte mail hier’

Il s’attend même à des menaces, comme son confrère Sven Mary. «
Mais je reçois beaucoup d’encouragements, aussi.
» Le même cocktail qu’à l’époque de Florence Cassez, à l’époque d’Outreau, ou d’Aït Ali Belkacem. Autant d’étapes cruciales dans son parcours, qui l’ont affermi et l’ont aidé à prendre une nouvelle décision difficile, ce coup-ci. Celle qui le fait gravir, peut-être, la dernière marche.

Rendez-vous le 20 mai avec le juge Teissier

Salah Abdeslam est mis en examen depuis ce mercredi par la justice française. Pour assassinats en lien avec une entreprise terroriste, entre autres. Depuis hier soir, il est à l’isolement à la prison de Fleury-Mérogis, et il n’en sortira que le 20 mai, pour sa première audition sur les faits par le juge Christophe Teissier.

Celle de ce mercredi a été très brève. Une première comparution pour lui signifier cette mise en examen, puis la décision de son placement en détention provisoire, qui ne faisait guère de doute. Pourtant, la journée n’a pas manqué de surprises. Son transfert, d’abord, aux toutes petites heures du jour, en hélicoptère, alors que ses avocats n’étaient même pas au courant. Personne ne s’attendait d’ailleurs à une telle précipitation, d’autant que les juges belges avaient annoncé vouloir interroger Abdeslam sur ce qu’il aurait pu savoir de la préparation des attentats de Bruxelles.

«
Un transfert musclé, commencé à 4 heures du matin
», disait hier soir Frank Berton, à la sortie du palais de justice. Ce qui justifie à ses yeux que son client ait demandé le droit au silence, pour cette fois. «
Mais il a l’intention de s’expliquer dès le 20 mai.
» Un délai qui laissera le temps à l’avocat lillois de consulter les quatre CD- ROM du dossier qui lui ont été remis.

Beaucoup de travail

Et peut-être de constituer cette équipe dont il parle avec son confrère belge depuis une dizaine de jours. «
C’est un dossier trop gros pour qu’on puisse le gérer seul. Il y a vraiment beaucoup de travail.
» Certes. Mais ce mercredi, il était bien seul, à Paris. Sven Mary était aux assises à Bruxelles, où il a donné mardi une interview surprenante à Libération. L’image qu’il y peint de son client n’est pas ce qu’on a l’habitude d’entendre. Il y parle de «
l’intelligence d’un cendrier vide
», et de la «
vacuité abyssale
» du cadet des Abdeslam. La famille appréciera.

Pour le reste, certains confrères approchés hésitent. Tous reconnaissent le courage de Mes Mary et Berton, mais de là à les rejoindre, c’est autre chose.

La pression est énorme, autour du seul survivant du commando des attentats du 13 Novembre.
É. D.

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