Attentat à Tel-Aviv , Israël annule les permis de visite des Palestiniens pour le ramadan

Attentat à Tel-Aviv , Israël annule les permis de visite des Palestiniens pour le ramadan

Le Monde
| 09.06.2016 à 11h31
Mis à jour le
09.06.2016 à 15h04
|

Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)

Le conseil de sécurité s’est réuni à la mi-journée autour du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, pour étudier les réponses à l’attaque terroriste survenue le 8 juin à Tel-Aviv. Quatre personnes ont été tuées lors d’une fusillade déclenchée par deux Palestiniens dans le marché de Sarona, un des lieux les plus populaires de la ville.

Dans la nuit, le Cogat, l’administration chargée de coordonner les activités gouvernementales dans les territoires palestiniens, a annoncé une mesure spectaculaire : l’annulation des permis de visite accordés à 83 000 Palestiniens de Cisjordanie et quelques centaines de la bande de Gaza, à l’occasion du Ramadan. Au cours de ce mois, les permis permettent aux croyants de se rendre à Jérusalem-Est, sur l’Esplanade des mosquées (Mont du temple pour les juifs) et de prier à la mosquée Al-Aqsa.

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Ancien chef du renseignement militaire, Shlomo Gazit, chercheur à l’Institut pour les études sur la sécurité nationale (INSS), explique au Monde que ces révocations de permis « ont une efficacité proche de zéro d’un point de vue sécuritaire. Politiquement et psychologiquement, nous verrons l’impact. Le message envoyé est celui d’une punition collective. Tous les Palestiniens sont tenus pour responsables de l’action de deux ou trois personnes. »

Une punition collective

Cette notion de punition collective semble s’appliquer particulièrement aux quelque 60 000 habitants de la municipalité de Yatta, au sud d’Hébron, dont sont originaires les deux assaillants, tous les deux entre les mains des services de sécurité israéliens. La zone a été bouclée par l’armée. Les repérages ont été faits en vue de la démolition des maisons où vivaient les deux hommes.

Seules des personnes concernées par des cas humanitaires urgents, explique un porte-parole, pourront sortir de la zone. Le vice-ministre de la défense, Eli Ben-Dahan, a prévenu : la vie dans cette région d’Hébron, dont étaient originaires près de 40 % des assaillants depuis début octobre 2015, « ne pourra se poursuivre comme à l’accoutumée ». Selon lui, « un village au milieu duquel vivent des terroristes en paiera le prix ».

Le bureau du président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a publié un communiqué rappelant que ce dernier condamnait toutes les attaques contre les civils, quelle qu’en soit l’origine. Le chef adjoint du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a de son côté salué la fusillade de Tel Aviv, sans toutefois revendiquer sa paternité au nom du mouvement islamiste, qui contrôle la bande de Gaza.

Le Hamas a aussi prévenu que d’autres attaques auraient lieu au cours du Ramadan. Mais pour l’heure, rien ne permet d’évoquer une quelconque coordination hiérarchique et un commanditaire dans l’opération de mercredi. Les autorités ont imposé une obligation de silence aux médias israéliens « gag order » au sujet de l’identité et du parcours des deux assaillants.

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Costume sombre et cravate

Dans la soirée, à 21 h 30, des coups de feu ont retenti dans une rue longeant le centre couvert de Sarona, qui abrite de nombreux restaurants et boutiques de produits fins, très animé chaque soir. Les deux suspects de l’attaque se sont d’abord assis chez un chocolatier renommé, une boutique de la marque Max-Brenner. En costume sombre et cravate, ils ont commandé des brownies, sans y toucher. Puis ils ont ouvert le feu. Les images d’une caméra de surveillance montrent la panique qui s’est emparée des clients. Le bilan aurait pu être bien plus lourd, si l’une des armes, sans doute artisanale, ne s’était enrayée.

Une partie du site visé est également située en extérieur, sur une large surface piétonne où les noctambules aiment s’installer à la terrasse d’établissements ouverts sept jours sur sept. La particularité de ce lieu populaire, réparti sur 8 700 mètres carrés, vient aussi du fait qu’il est situé en face du quartier général de l’armée israélienne, la base Kyria. C’est là que s’est immédiatement rendu le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, dont le vol en provenance de Moscou a atterri au moment même de l’attaque.

Le chef du gouvernement y a rejoint le nouveau ministre de la défense, Avigdor Lieberman, qui se trouve ainsi confronté à sa première crise sécuritaire majeure. Son image d’homme intransigeant face à la violence, recourant volontiers à des propos outranciers, est mise à l’épreuve. Des questions vont aussi être adressées à l’armée sur la façon dont les auteurs de la fusillade ont pu parvenir, sans permis de circuler, en Israël et armés, jusqu’au marché de Sarona.

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Les « mesures fermes »

Tard dans la nuit, M. Nétanyahou s’est rendu sur place. Il a annoncé que « les services de sécurité prendront des mesures fermes, non seulement pour localiser toute personne ayant coopéré avec ce meurtre, mais aussi pour empêcher d’autres actions ». Le ministre des transports, Israël Katz, a réclamé que soit envisagée l’expulsion vers Gaza ou la Syrie des proches des assaillants. Il souhaite aussi que le village de Yatta soit « bouclé pour longtemps. ».

Le président Reuven Rivlin, pour sa part, a noté avec justesse qu’il « n’existe pas de dôme de fer [nom du système de défense antiroquettes] contre ces attaques ». Autrement dit, qu’Israël ne peut être totalement hermétique face à la volonté de mort de Palestiniens agissant de leur propre initiative. Cette mesure n’est pas partagée par le député Bezalel Smotrich, l’une des vedettes montantes de l’extrême droite israélienne : « Je suis très inquiet de voir que les terroristes ont quitté la scène en vie, hier », a-t-il écrit sur Twitter.

Tel-Aviv a déjà été visée par une attaque par balles le 1er janvier. Un Palestinien avait tué deux personnes à la terrasse d’un bar sur une artère fréquentée du centre. Ce nouvel attentat intervient après un moment prolongé de répit. Depuis octobre 2015, 207 Palestiniens (dont de nombreux assaillants), 32 Israéliens, deux Américains, un Erythréen et un Soudanais ont été tués.

Une décrue des opérations au couteau’

Ces derniers mois, l’armée a constaté une décrue constante, jusqu’au tarissement, des opérations au couteau ou à la voiture bélier, conduites par des individus isolés. Vingt personnes ont tout de même été blessées dans une attaque à l’explosif contre un bus à Jérusalem, à la mi-avril, qui reste pour l’instant assez mystérieuse.

L’opinion publique palestinienne, très critique envers le président Mahmoud Abbas, ne voit pas vraiment de débouchés positifs dans la violence, mais elle n’a aucune perspective, alors que 2017 sera marquée par le 50e anniversaire de l’occupation.

Dans une étude publiée le 7 juin, le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) a mis au jour le fait que 48 % des Palestiniens estimaient que la vague de violences débutée le 1er octobre 2015 était achevée. En trois mois, le soutien aux attaques au couteau est tombé de 58 % à 51 % (dont seulement 36 % en Cisjordanie).

Selon cette étude, un Palestinien sur quatre estime que la situation actuelle pourrait déboucher sur une nouvelle Intifada armée.

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