Après l’affaire Baupin témoignages appels à libérer la parole et retours de flamme

Après l'affaire Baupin témoignages appels à libérer la parole et retours de flamme

Le Monde
| 16.05.2016 à 16h24
Mis à jour le
16.05.2016 à 16h55
|

Par Violaine Morin

Au-delà de ses retombées politiques et judiciaires, l’affaire a agi comme une caisse de résonance pour parler du sexisme en France en général, et dans le milieu politique en particulier.

Dans les jours qui ont suivi, d’autres témoignages sont apparus ‘ anonymes ou à visage découvert, de journalistes ou de femmes politiques, dans les médias traditionnels ou sur les réseaux. Le débat lancé a couvert un spectre allant du « banal » harcèlement jusqu’à l’agression sexuelle, et leurs conséquences : le silence, la honte et l’impunité persistante des hommes de pouvoir.

Chez d’autres victimes, la parole se libère

Aurore Bergé, élue Les Républicains (LR) des Yvelines, racontait sur Twitter les plaisanteries graveleuses subies le jour même de la publication de l’enquête de Mediapart et de France Inter. « Quand je te vois, j’ai envie de te faire une Baupin », lui a dit un collègue.

Une ancienne collaboratrice de cabinet ministériel a raconté son viol, à l’âge de 25 ans, par son patron sur Slate.fr. Caroline De Haas, fondatrice du collectif Osez le féminisme !, est à l’origine de la pétition « Violences sexuelles en politique : levons l’omerta ! », lancée sur Change.org. Quelques jours après cette pétition, elle décrivait sur Twitter, avec des détails qu’elle n’avait jamais évoqués publiquement jusqu’alors, le viol qu’elle a subi.
Axelle Labbé, journaliste à France Bleu Béarn, a pris la parole à l’antenne pour partager ces petits moments de sexisme ordinaire « d’une banalité navrante » qu’elle a subis ou dont elle a été témoin, pour montrer que le sexisme n’existe pas uniquement en haut de la pyramide politique.

Sur Big Browser:
 

Une journaliste se souvient de nombreux moments de sexisme « d’une banalité navrante »

A l’Assemblée, malaise et retour de flamme sexiste

Si le débat et les prises de position ont eu lieu en ligne ou dans les médias, cela a été moins, voire pas du tout, le cas dans le milieu politique. L’affaire a été survolée, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, par la députée Catherine Coutelle, avec des réactions prévisibles de certains de ses collègues.

Christian Jacob, président du groupe LR à l’Assemblée, a fait mine de vouloir circonscrire le problème au parti écologiste. L’ancien secrétaire d’Etat Pierre Lellouche a carrément refusé d’être interrogé sur ces « histoires de bonnes femmes ».

L’enquête:
 

Comment les partis politiques prennent en charge le harcèlement sexuel

Une longue enquête de Slate.fr a montré le contrecoup de l’affaire dans les couloirs de l’Assemblée : dix-sept témoignages de collaborateurs et collaboratrices parlementaires pour dresser le portrait d’une institution en équilibre précaire entre la bonne vieille tradition potache et la prise de conscience collective.

Et ce n’est pas toujours beau à voir : « Tout est tourné en dérision’ Tout est minimisé, tout est pris à la légère. Comme s’il ne fallait, malgré tout, rien déranger ni remettre en question », explique une collaboratrice. La blague du moment ‘ « Toi, on va t’envoyer Baupin » ; d’autres évoquent des « blagues défensives ». Mais certains tiennent à nuancer : une « majorité » d’hommes ont été choqués par les révélations sur le comportement de Denis Baupin.

Dix-sept anciennes ministres appellent à ne plus se taire

Le 15 mai, un appel signé par dix-sept anciennes ministres, dont Fleur Pellerin, Aurélie Filippetti, Nathalie Kosciusko-Morizet et Christine Lagarde, a été publié dans le Journal du dimanche. « L’impunité, c’est fini. Nous ne nous tairons plus », annonce cette tribune, qui évoque de nombreuses situations vécues, avant de dénoncer la « double peine » des femmes victimes de violences sexuelles, qui, lorsqu’elles dénoncent des faits de harcèlement, « perdent de facto leur emploi ».

Les signataires demandent l’étude de plusieurs pistes pour lutter contre le harcèlement : allongement des délais de prescription en matière d’agression sexuelle et possibilité pour les associations de porter plainte à la place des victimes, notamment.

Interrogée sur France 3, la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, Laurence Rossignol, a appelé à adopter rapidement le projet de loi sur l’allongement des délais de prescription de trois à six ans pour les agressions sexuelles. Une loi qui est « déjà en navette parlementaire », actuellement débattue au Sénat.

Cécile Duflot, une des signataires, a pu constater comment la tribune a été reçue dans les bas-fonds des réseaux sociaux.

Libération, qui a publié, il y a un an, une tribune de quarante femmes journalistes pour dénoncer le comportement sexiste de certains hommes politiques, a conclu la semaine en demandant une réaction des hommes au pouvoir, qu’ils soient responsables politiques, syndicalistes, grands patrons ou intellectuels et universitaires.

« Lever l’omerta, voilà qui est fait. Maintenant, il faut aller plus loin dans la prise de conscience. Faire en sorte que la parité devienne une réalité dans les directions d’entreprise est un minimum. Allons-nous collectivement rester sourds à ces appels et rester complices ‘ Ou prendre conscience qu’il y a un problème et que nous pouvons tous, à notre niveau, dire nous aussi non’ ‘ »

Johan Hufnagel, directeur des publications de Libération, évoque son propre silence devant des faits de harcèlement :

« Et moi ‘ Est-ce que je vaux mieux que ces silencieux messieurs ‘ Non. J’ai été témoin de harcèlement. Et je n’ai rien fait. Ou pas assez fait. Je n’ai surtout rien dit. Parce qu’il n’y avait là rien de justiciable et de sanctionnable en droit. Il aurait sans doute suffi de dire au harceleur qu’on savait pour que ses agissements cessent. »

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Sexisme en politique : une spécificité française ‘

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