Air en quête de son alchimie intime

Air en quête de son alchimie intime

Le Monde
| 02.06.2016 à 06h49
Mis à jour le
05.06.2016 à 10h48
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Par Stéphane Davet

Sur la vingtaine de festivals où se produira Air tout l’été, seuls trois ont lieu dans l’Hexagone : This Is Not a Love Song (samedi 4 juin, à Nîmes), We Love Green (dimanche 5, au bois de Vincennes) et les Eurockéennes (samedi 2 juillet, à Belfort). Une proportion inhabituelle pour un groupe français, sauf quand celui-ci reste un cador de la « French touch », à l’instar de Daft Punk, Phoenix ou ce duo fondé dans la seconde moitié des années 1990 par Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel. « Ces festivals sont l’occasion de rattraper des concerts ratés dans l’année et de retrouver des artistes que nous n’avons pas recroisés depuis longtemps », s’enthousiasme Nicolas Godin, le bassiste-guitariste (et parfois claviers) du groupe, dans leur studio d’enregistrement, Atlas, ouvert en 2008 à Belleville.

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Début mai, le duo y préparait son retour sur scène avec un batteur, Louis Delorme, et un claviériste, Vincent Taurelle, entourés d’un foisonnement d’instruments vintage. Dans le couloir menant à la salle de répétition sont accrochés disques d’or et de platine récompensant leurs quelque 6 millions de disques vendus dans le monde (dont les trois quarts à l’export).

Un nouveau trophée décorera peut-être bientôt les murs, mais pour une compilation anniversaire en forme de best of, baptisée Twentyears (à paraître le 10 juin), et non pour une nouvelle production. A l’exception de la bande originale de la version colorisée du film de Georges Méliès, Le Voyage dans la Lune (1902), Air n’a en effet publié aucun album depuis Love 2, en 2009. Les deux musiciens se sont consacrés à des projets parallèles, Darkel et Starwalker pour Jean-Benoît Dunckel, et Contrepoint, l’étonnant premier album solo de Nicolas Godin.

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Une volupté aérienne

Plus qu’une perspective d’avenir, cette tournée est donc l’occasion de replonger dans le passé. « Je ne réécoute jamais nos disques », assure Godin, avouant avoir eu une appréhension à l’idée de s’immerger de nouveau dans le répertoire d’Air. « Mais j’ai éprouvé une sensation géniale en les rejouant. Celle d’un jeune groupe reprenant des vieux titres, sauf que nous en étions les auteurs. A la fois étrangers à ces morceaux et parents de ceux-ci. Heureux en tout cas qu’ils tiennent encore la route. »

Un passage en revue de leur discographie confirme l’élégance de compositions dont la volupté « aérienne », au croisement du futurisme numérique et du charme rétro de l’analogique, s’affirmait dès le premier album, Moon Safari (1998). Une singularité dont l’impact se fait encore sentir chez une riche descendance internationale (Beach House, Todd Terje, Connan Mockasin, Tame Impala’). « Nous avons mis des années à trouver notre son, se souvient le bassiste, ancien étudiant en architecture. Dans des précédents groupes, nous avons joué du rock, du funk, du trip hop, sans trouver de personnalité musicale. Or, pas question de sortir un disque sans apporter quelque chose de neuf. »

Enfant de la génération home studio, ce dandy du son tente mille expériences avant le déclic fondateur. « Le jour où j’ai marié un Solina String Ensemble (vieux clavier imitant les orchestrations de cordes), une ligne de basse et des effets de synthétiseur Moog, je me suis dit que j’avais trouvé un son à part, celui d’Air. »

Rejoint, après un premier titre en solo (Modulor), par Dunckel, matheux à la formation de pianiste classique, copain de lycée à Versailles, Godin façonne avec lui un répertoire se démarquant des rythmes de la house filtrée produite alors par leurs amis de la French touch (Daft Punk, Cassius, Etienne de Crécy’). « Nous voulions donner l’impression d’un frisbee qui ne toucherait jamais le sol », illustre le bassiste pour définir leur pop en apesanteur. « Une musique jubilatoire, propice au lâcher-prise, qui favorise le contact humain, la socialisation, voire la caresse érotique », renchérit Jean-Benoît Dunckel.

Une évolution en finesse

Dès la sortie de Moon Safari et du tube Sexy Boy, le succès international est immédiat. « Daft Punk avait ouvert la voie juste avant, soulignent les deux Air. L’Eurostar a aussi joué son rôle, en déversant des journalistes anglais venus écouter des Français et assister à des soirées comme celle de Respect ou du Pulp. Pendant deux ans, Paris était reine du monde. » Air a su évoluer en finesse. Plus crépusculaire, pour la bande-son du film Virgin Suicides (1999) de Sofia Coppola, plus expérimental dans l’album 10 000 Hz Legend (2001), formidablement pop dans Talkie Walkie (2004), réalisé par le producteur de Radiohead, Nigel Godrich. Le duo est approché pour composer l’essentiel de l’album de Charlotte Gainsbourg, 5 : 55 (2006). « Cela a été un disque pivot, se souvient Dunckel. A la fois un accomplissement et une cassure. »

Investi jusqu’à l’épuisement dans cette collaboration, le groupe dit avoir perdu dans l’entreprise une partie de son alchimie intime. Enchaîné trop rapidement après, l’album Pocket Symphony (2007) ne manquait pas de charme mais de morceaux marquants. Après avoir reçu les clés de leur studio Atlas, les perfectionnistes bâclaient paradoxalement Love 2. Se disant palpitants d’inspiration pour leurs projets solo, les deux musiciens peinent à envisager un nouvel album commun. « Après une longue histoire, les groupes se heurtent souvent à un mur », constate Nicolas Godin. Un fatalisme qui ne devrait pas diminuer le plaisir de redonner vie à l »uvre accomplie.

Air, le 4 juin, à Nîmes, au festival This Is Not a Love Song ; le 5, à Paris, Bois de Vincennes, au festival We Love Green ; le 2 juillet aux Eurockéennes de Belfort.

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