Agriculture , ils s’installent malgré la crise

Agriculture , ils s'installent malgré la crise

À la Chambre d’agriculture Nord – Pas-de-Calais, Didier Helleboid veille tout particulièrement sur les installations d’agriculteurs. Il le reconnaît sans peine : la profession «
a connu une hémorragie
» dans un passé récent. Le secteur, déprimé, attire moins. «
Mais le ratio départs/installations s’améliore
», avance, soulagé, Didier Helleboid. Malgré le contexte, sombre à bien des égards, un retour à la terre s’amorce. Et il est parfois porté par des forces extérieures au monde agricole.

Reste que s’installer n’est pas une sinécure. Reprendre une terre est une course d’obstacle, financière, juridique, administrative, souvent longue de plusieurs années. En vivre correctement en est une autre. À plus forte raison quand on n’est pas issu du sérail. D’après les statistiques du service Installation-Transmission de la Chambre d’agriculture, les installations se font essentiellement dans le cadre familial. Les extérieurs sont très minoritaires.

Se faire aider pour creuser son sillon

Et pour eux, pas de place pour l’amateurisme, la terre révèle le paysan. «
Une installation, c’est un projet… et un budget, comme pour n’importe quelle entreprise
», confirme Didier Helleboid. D’ailleurs, les néo-agriculteurs désireux de s’installer nous l’ont tous confirmé. Au delà de l’aspect souvent militant de leur démarche, basée sur la proximité et la qualité, ils ont bien conscience que la logique de marché s’impose à eux. C’est la viabilité de départ de leur projet qui conditionnera sa réussite à long terme .

Pour accompagner leurs premiers pas, avec la chambre d’agriculture, des associations proposent de guider ceux qui tentent l’aventure. Elles s’appellent « Terre de liens », «
à petits Pas » à Ruisseauville, « Le Germoir » à Ambricourt, dans le Pas-de-Calais. Un écosystème qui permet à des porteurs de projets de se tester plusieurs mois en supportant les contraintes fiscales, administratives, de comptabilités. Mais aussi en leur permettant d’affiner leur technique, même si l’obtention d’un diplôme (le Brevet Professionnel de Responsable d’exploitation agricole ou un certificat de spécialisation) reste un prérequis quasiment indispensable pour devenir agriculteur. Sous couveuse, ces jeunes pousses de l’agriculture tentent de fleurir. Ça n’est pas simple, mais ça n’est pas impossible.

Alexandre et Aurore Loriette, chevriers à Thiennes

En quelques années, Aurore et Alexandre Loriette sont passés des labos de recherche de Lille aux murs d’un vieux corps de ferme de Thiennes, près d’Hazebrouck. Lui était géologue. Elle ingénieur spécialisée dans l’impact des polluants sur les végétaux. Et ce qui aujourd’hui ressemble le plus à leur vie d’avant, c’est la chimie subtile qui se joue dans le petit atelier où le couple moule ses 70-80 petits chèvres quotidiens. «
On était sur les rails. J’étais reconnu dans mon domaine. Aurore entamait son doctorat
», entame Alexandre. Mais en 2011, changement de cap. Un «
truc tout bête
», poursuit-il. Un grain de sable au boulot, un «
management qui passe de constructif à destructif. On avait perdu ce qu’on aimait : l’humain dans le travail
».

On est en août 2011 et la remise en question va très loin. «
On aime bien le côté manuel des choses et on avait envie de travailler avec des animaux. On voulait travailler avec des chèvres ». Un truc de l’enfance pour Aurore. Le couple a cependant la tête sur les épaules. «
J’ai su très vite qu’on devrait repartir à l’école ». Alexandre dégotte une formation en chèvrerie à Aurillac, grille un an de chômage et sort diplômé.

Le couple cherche alors à s’installer. Et décide de revenir dans la région. «
On a pris une carte des chèvreries, et on a cherché là où il y avait un trou, en terme commercial
». En juin 2013, ils mettent toutes leur économies ainsi qu’un prêt dans les murs et les premières têtes du cheptel. «
Ça n’a pas été facile. La Chambre d’agriculture nous annonçait un début de production en 2015. Et puis on a été mis en relation avec À petits pas qui nous a pris en couveuse. On a pu commencer dès 2014
».

Trois ans après,
le couple vole de ses propres ailes, avec ses 60 chèvres, et un réseau de distribution de la production qui s’est étoffé. Financièrement ce n’est pas Byzance. «
On est encore au RSA, mais on arrive à faire en sorte que la ferme s’en sorte
». L’essentiel, pour l’instant, est ailleurs. «
Au départ notre démarche était un peu égoïste. Mais notre moteur maintenant c’est la clientèle. Les gens ne viennent pas chercher que du fromage ici
». «
On a fait un trait sur pas mal de chose, mais on est mieux comme ça. Et quand un de nous deux baisse les bras, l’autre le relève
».

Louise Belpalme, maraîchère à Bois-Grenier

Louise, 30 ans, ne cache pas sa proximité avec les « colibris », ceux qu’on a pu voir dans le film Demain et qui tentent d’apporter leur goutte d’eau pour une société plus durable et plus humaine. Car c’est une frustration qui l’a poussée, il y a cinq ans, à plaquer son job d’éducatrice spécialisée. «
J’étais en colère. Les exigences de rentabilité sont partout, même dans l’accompagnement social des publics fragiles. Je me suis dit qu’il y avait sans doute mieux à faire
». Parce qu’elle ne sait rien faire de ses dix doigts, et «
parce que si on est coupé de la nature, on est coupé de soi-même
», Louise se tourne vers le monde agricole.

Au départ, l’idée est d’être autonome au plan alimentaire, au mieux d’en tirer quelques trucs pour en faire un support éducatif. «
Je débarquais complètement. Je ne m’étais jamais demandé comment poussait une patate
», lâche la jeune femme, dans un éclat de rire. L’appétit venant en cultivant, Louise prend goût au «
cycle un peu magique des saisons
».

Après une formation au maraîchage bio, elle tente avec une amie l’aventure dans les Weppes, chez un cultivateur qui leur concède un bout de terrain. «
Les autres agriculteurs nous regardaient de biais : deux nanas, pas épaisses, sans origine agricole, en bio… On s’était donné 20 000 de chiffre d’affaires, on en a fait 33 000 et on a provoqué un questionnement chez les voisins
». Cette année, Louise, «
moins stressée
», fait sa saison seule, en couveuse chez Laurent Desbuissons, agriculteur engagé, qui lui loue un peu de terre.

Son avenir, elle ne l’imagine plus autrement. «
Je me vois bien en Flandre, dans une ferme bio qui proposerait aussi des animations culturelles
». Il faudra d’ici là régler le problème d’accès à la terre. «
Mais je me sens légitime maintenant. Cette année, c’est le test. On va voir si le projet est viable, je suis en train de tout calculer.
»

Antoine Maguire, maraîcher à Saint-Inglevert

Dans son tunnel, Antoine Maguire couve du regard les premiers radis et ses semis de printemps. Perché sur les hauts du Boulonnais, le jeune homme de 32 ans noircit aussi des petits carnets, quand il n’est pas en train de récolter ou de vendre sa production sur la place du village. «
J’apprends en faisant. L’an dernier, j’ai perdu une récolte de navets à cause d’une erreur. ».
Ce sont des vendanges en 2003 qui l’ont amené à l’agriculture. Pas forcément un destin sociologique pour ce fils de prof et de comptable. «
Je n’ai pas eu le bac. Si je l’avais eu, j’aurais été un étudiant qui fait la fête à Lille
». Antoine avait besoin d’autre chose. Il l’a trouvé dans le maraîchage bio. «
J’ai appris comme ouvrier agricole d’abord en Vendée et puis en passant un diplôme
».

De retour dans le Nord, Antoine cherche du boulot dans les exploitations du coin. «
Mais ça n’embauche pas beaucoup par ici
». C’est par hasard qu’il trouve « sa » terre. Le propriétaire de sa maison possède deux hectares. L’affaire est faite, Antoine les cultivera. Le passage en couveuse fait le reste, jusque fin 2016. «
Le temps que je ne passe pas en paperasse, je le passe sur le terrain. Sans elle, il y aurait sans doute plus de pression ».

Pour se développer, en plus des aides conventionnelles, Antoine s’est servi des outils de son époque : une campagne web de financement participatif qui a cartonné, avec plus de 7 000 euros récoltés pour l’achat d’un second tunnel. «
Il faudrait plus soutenir des démarches comme la mienne. Les agriculteurs sont piégés par le système d’aide dans la course à la production qui favorise les gros. Mais les gens veulent manger plus sainement
». Utopique «
Non, parce que le boulot est dur. Je suis dans le champ de 8 h jusqu’à la nuit. Mais ce que je fais, c’est une partie de la réponse
».

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