Admission post-bac , le ministère poussé à dévoiler l’algorithme qui oriente les lycéens

Admission post-bac , le ministère poussé à dévoiler l'algorithme qui oriente les lycéens

Le Monde
| 19.09.2016 à 08h16
Mis à jour le
19.09.2016 à 10h51
|

Par Séverin Graveleau

Qu’y a-t-il sous le capot de la « machine » Admission post-bac (APB), qui permet d’effectuer ses v’ux d’inscription dans l’enseignement supérieur ‘ Des irrégularités juridiques et une opacité de fonctionnement que le ministère va devoir lever rapidement au vu des décisions juridiques et administratives intervenues depuis le mois de juin.

La dernière en date provient de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Dans un avis communiqué vendredi 16 septembre que Le Monde a pu consulter, celle-ci informe l’association Droits des lycéens qu’elle est bien en droit d’obtenir du ministère de l’éducation nationale la communication du « code source » de l’algorithme APB. L’association réclame depuis de longs mois cet algorithme qui préside aux destinées de près de 800 000 élèves ou étudiants chaque année et dont le ministère s’était contenté de publier en juin les règles basiques de fonctionnement.

Lire aussi :
 

Admission post-bac, l’algorithme révélateur des failles de l’université

« Si le ministère ne nous communique pas ce code source, nous pourrons nous appuyer sur cet avis de la CADA pour l’obliger à le faire devant un tribunal administratif », commente le président de l’association, Clément Baillon. Le ministère n’a pas souhaité commenter à chaud, mais l’avis de la Cada précise qu’elle « prend note de l’intention de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de procéder prochainement à la communication de ces documents au demandeur ».

Cet avis intervient dans un climat de défiance et d’interrogation sur APB, depuis que Droits des lycéens s’est lancée, début avril, dans une bataille contre « l’opacité » qui entoure le fonctionnement du logiciel lorsqu’il doit départager les ex aequo. Pas tant dans les formations sélectives (prépas, BTS, IUT, écoles de commerce, etc.) qui peuvent, par définition, utiliser leurs propres critères de sélection. Mais au sein des filières universitaires en tension (droit, sport, études de santé’) obligées de fixer des « capacités d’accueil limitées » pour endiguer le flot de candidats. Même si l’université française est, selon le code de l’éducation, « ouverte à tous les titulaires du baccalauréat », une sélection officieuse s’opère alors. Une règle de priorité fait passer en premier ceux de l’académie, puis, s’ils sont trop nombreux, ceux parmi eux ayant placé la formation en premier v’u. Un très contesté tirage au sort intervient en dernier recours. Les étudiants en réorientation passent après les néobacheliers. Voilà pour les critères utilisés, au moins officiellement, que l’association Droits des lycéens pourra vérifier en décryptant le code source.

Lire aussi :
 

Admission post-bac : un code source gardé secret

Problème : cette règle de priorités et ce tirage au sort, opérés par un logiciel qui n’était pas prévu pour cela au départ, obligent les élèves à être stratèges dans leurs choix de v’ux. Pire : ils semblent bien « bancals » juridiquement. C’est en tout cas ce qu’estime Jean Merlet-Bonnan, l’avocat de Droits des lycéens. Trois décisions récentes de tribunaux administratifs lui donnent en partie raison. La première, intervenue à la fin du mois de juin à Bordeaux, jugeait sans fondement légal la procédure de tirage au sort. Les deux autres, en juillet à Paris et en septembre à Nantes, faisaient état d’un « doute sérieux » quant à la légalité de refus d’inscriptions d’étudiants en réorientation. Ces recours et décisions administratives sont-ils amenés à se multiplier ‘ L’association Droits des lycéens aurait été contactée par « plus de 250 personnes » depuis la publication en juin d’un « guide des recours ».

« Ambiguïté » légale

Cette insécurité juridique encadrant le « tri » opéré par APB était rappelée en avril par un rapport d’inspection émanant du ministère lui-même. Concrètement, la loi sur l’enseignement supérieur de 1984, qui évoque les filières universitaires à capacité d’accueil limitée, prévoyait de définir, a posteriori, dans une « réglementation », les modalités d’application des critères de priorités. Texte réglementaire qui n’a jamais vu le jour, tant le pouvoir politique a toujours voulu éviter de donner un caractère officiel à une sélection en théorie proscrite en France, et à l’assumer ensuite. Les observateurs de l’université font le parallèle avec la sélection en master, pour laquelle il aura fallu deux ans de recours pour qu’un décret la légalise finalement en février 2016.

Lire aussi :
 

Najat Vallaud-Belkacem promet une loi pour réformer la sélection en master

Face à l’explosion du nombre d’étudiants dans le supérieur, et donc à la multiplication des filières en tension et de la sélection qui va avec , les présidents d’universités réclament depuis plusieurs années la mise en place de « prérequis » à l’entrée en licence (niveau minimum en langue, option suivie en terminale’). Une idée rejetée par des syndicats étudiants attachés au libre accès à la fac, mais reprise en juillet par l’économiste Thomas Piketty dans une tribune contre « l’opacité » d’APB.

Lire aussi :
 

Thomas Piketty : « L’opacité sur les critères d’affectation des bacheliers dans le supérieur ne peut plus durer »

Pour l’instant, on en est loin. Interrogé par Le Monde, le ministère concède une « ambiguïté » légale. Elle devrait être levée, promet-il, « avant l’ouverture de la prochaine session APB » en janvier 2017, par la publication d’une circulaire, « réglementation qui permettra d’être conforme à la loi ». Pas sûr que cela suffise à calmer les mécontents d’APB et à assurer juridiquement son fonctionnement sur le long terme.

« Il ne faut pas oublier qu’APB n’est qu’un outil technique », rappelle l’économiste Julien Grenet, spécialiste des algorithmes de répartition scolaire. Un outil « très bien conçu », normalement « au service d’une politique éducative ». Et de conclure que son fonctionnement « devenu absurde », comme ses bases juridiques fragiles, met avant tout en lumière « le refus de trancher certains débats, de faire des choix politiques » sur l’accès à l’université française.

Leave A Reply