A Mayotte des milliers de personnes défilent à l’occasion de la journée  île morte 

A Mayotte des milliers de personnes défilent à l'occasion de la journée  île morte 

Le Monde
| 19.04.2016 à 07h26
Mis à jour le
19.04.2016 à 12h49
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Par Patrick Roger (Mamoudzou, envoyé spécial)

Mardi 19 avril, Mayotte s’est immobilisée pendant quelques heures. Plusieurs milliers de personnes ont participé dans la matinée à une marche pour dénoncer la violence et l’insécurité dans l’île, dans le cadre d’une mobilisation citoyenne baptisée « île morte ».

Le rassemblement prévu place de la République, à Mamoudzou, qui s’est ensuite transformé en manifestation, a regroupé de 2 000 à 5 000 personnes, selon les sources. C’est exceptionnel à Mayotte et c’est encore plus inédit pour un appel lancé il y a deux jours sur les réseaux sociaux sans aucun relais syndical, politique, confessionnel ou professionnel.

La marche, qui s’est rendue jusqu’à la préfecture, sur les hauteurs de Mamoudzou, regroupait des personnes de toutes les communautés. Des élus y ont pris part mais aucun n’a pris la parole en fin de parcours, qui s’est achevé par une Marseillaise.

Pendant la durée de la manifestation, plusieurs administrations comme la mairie ou la caisse de Sécurité sociale , commerces ou entreprises avaient fermé le temps de la manifestation pour permettre à leurs employés d’y participer. L’activité a repris après.

Plus qu’un mouvement de contestation, de dépit ou de rejet, il s’agissait d’une mobilisation de solidarité et d’espoir dans l’avenir du département. L’initiative est révélatrice de cet appétit de débat, d’échanges et de recherche de solutions alternatives qui émerge, à Mayotte comme en métropole, pour faire revivre l’espoir. Paradoxalement, cet appel à une journée « île morte » est le reflet d’une société qui agit.

Tissu associatif actif

Mayotte vient, une nouvelle fois, de traverser une grave crise, avec la grève générale de ces dernières semaines, émaillées de violences. Cela s’est déjà produit et cela se reproduira. Mais il existe dans ce département de 212 000 habitants, selon le dernier recensement de 2012 entre 300 000 et 350 000 aujourd’hui, selon les estimations les plus basses une formidable énergie, une mobilisation citoyenne de tous les instants, pour tenter de « s’en sortir », pour ne pas baisser les bras.

Mayotte, c’est aussi ce tissu associatif extrêmement actif. Nombre de Mahorais, de mzoungous (métropolitains) ou de Comoriens issus des îles voisines participent à diverses associations, que ce soit pour l’aide scolaire, l’accompagnement social, les activités périscolaires, l’alphabétisation’

Mayotte hebdo, le principal organe de presse du département, consacrait une de ses récentes éditions, datée du 8 avril, au « réveil citoyen » des Mahorais. « En marge des décideurs institutionnels et politiques classiques, en marge des syndicats et de leurs mouvements sociaux, des citoyens tâchent de faire avancer l’île coûte que coûte, avec une conviction commune : Mayotte mérite mieux que ce qui en est fait, Mayotte aura mieux que ce qu’elle est à l’heure actuelle », écrivait l’hebdomadaire.

Ce « réveil citoyen », défiant vis-à-vis des élus et des organisations traditionnelles, avait déjà trouvé une forte expression en février, lorsque, en deux semaines à peine, un « collectif des citoyens inquiets de Mayotte » avait réuni 12 642 signatures sur une pétition adressée à François Hollande (soit 10 % de la population adulte du département).

Il s’agissait de partager « cette conviction qu’un développement durable est possible pour notre département, parce que nous ne voulons plus voir la jeunesse mahoraise fuir notre département, parce que nous souhaitons voir nos enfants s’épanouir dans les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ».

Cette pétition était restée lettre morte auprès de la présidence de la République, sinon une réponse standard rédigée par la cheffe du cabinet du chef de l’Etat.

Instaurer un dialogue

Pourtant, lors des événements récents, l’action de ces réseaux associatifs a été déterminante pour apaiser la situation et nouer le dialogue. Que ce soit lors des violences qui, pendant trois jours, ont embrasé certains quartiers du département en marge des barrages syndicaux des bandes de dizaines de jeunes armés et cagoulés, sillonnant les quartiers de Mamoudzou ou après le meurtre à l’arme blanche, vendredi soir, d’un père de famille à la sortie du judo où il allait récupérer son fils 13 ans.

Lundi, pour la première fois, la préfecture, qui avait réuni en urgence les élus et les services de l’Etat après l’homicide de vendredi soir, avait pris soin de convier aussi un certain nombre de responsables associatifs. Comme si le représentant de l’Etat prenait conscience de l’urgente nécessité d’instaurer un dialogue et de mener une action coordonnée avec l’ensemble des « forces vives » de l’île.

La mobilisation « citoyenne » de mardi revêt un caractère exceptionnel au regard des dimensions et de la situation du département. Reste à savoir quels prolongements et quels débouchés elle peut trouver. Mais, pour tous les acteurs locaux, elle marque une date importante.

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