A i-Télé  la grève dure parce que au fond on n’a toujours rien obtenu 

A i-Télé  la grève dure parce que au fond on n'a toujours rien obtenu 

Le mouvement social le plus long de l’histoire de l’audiovisuel se poursuit, au moins jusqu’à mardi. Retour sur l’organisation d’une mobilisation collective.

Trente jours de grève, autant d’assemblées générales, et toujours ce sentiment de défendre un combat « juste » et « précieux » : celui de l’indépendance des journalistes. Depuis l’arrivée sur les antennes d’i-Télé de l’animateur Jean-Marc Morandini, la rédaction s’est lancée dans un bras de fer avec la direction. Ses revendications : le départ du présentateur, mais aussi en finir avec le principe de la « double casquette » de Serge Nedjar, à la fois directeur et directeur de la rédaction d’i-Télé, et l’élaboration d’une charte éthique. « Ce n’est pas un conflit social car on ne se bat pas pour nos salaires mais pour donner aux téléspectateurs une information libre et indépendante », insiste Milan Poyet, porte-parole des grévistes.

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Davantage habituée à couvrir les mouvements de grève qu’à les conduire, la rédaction d’i-Télé n’avait pas envisagé une telle mobilisation. La faute à la direction, selon les quelques journalistes croisés à la sortie du siège de la chaîne, mardi 15 novembre. « Cette entreprise n’a pas la culture de la grève mais quand vous voyez qu’il a fallu arracher la première réunion de conciliation, puis qu’il a fallu cinq jours pour que la direction nous réponde, elle ne nous a pas laissé le choix », assure Milan Poyet. « Certains disent que les liens sont particulièrement forts dans cette rédaction, que l’esprit Canal a perduré mais c’est surtout parce qu’on n’a pas eu le choix, renchérit David [tous les prénoms ont été modifiés], une des figures historiques de la chaîne. Dès le départ, la direction a joué le pourrissement alors que tout le monde pensait que ça allait durer un jour ou deux. »

A chaque fois, la grève a pourtant été reconduite à plus de 80 % des suffrages. De quoi donner l’impression d’une unité à toute épreuve. « C’est vrai, on dure parce qu’il y a eu une vraie solidarité mais c’est aussi parce que, au fond, on n’a toujours rien obtenu », reconnaît Eva, journaliste reporter d’image (JRI) pigiste depuis deux ans. « On ne peut pas se diviser sur des propositions puisqu’il n’y en a pas », poursuit Olivier, journaliste en CDD.

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« J’ai envie de continuer à vous critiquer »

Résultat, il a bien fallu que ces « amateurs » du mouvement social s’organisent. Quelques volontaires ont d’abord émis l’idée d’ouvrir un compte Twitter, d’autres ont activé leurs réseaux pour mobiliser anciens et collègues. Patrick Cohen, Bruce Toussaint, Stéphane Guillon ont répondu présents.

Les deux heures d’assemblée générale quotidienne mobilisent, à chaque fois, une centaine de personnes. L’occasion de faire le point sur les négociations, de parler du métier et de l’avenir de la chaîne. Milan Poyet évoque « sa plus grande aventure humaine et professionnelle ». Avec la sensation « de se battre pour l’honneur de la profession » tout en se heurtant à un mur, celui de la direction. « On ne parle pas la même langue, pense le journaliste. Quand on leur parle de ligne éditoriale, ils nous parlent de question sociale. C’est plus facile de faire sortir un chèque à quelqu’un que de lui faire changer d’avis. »

Avec la mobilisation, les grévistes ont aussi découvert le soutien du public. « Avant, dès que je recevais un message privé sur Twitter, c’était pour me dire que mon sujet, c’était de la merde. Depuis un mois, on me dit : Tenez’, Lâchez rien’, Je vous critique mais j’ai envie de continuer à le faire’ », raconte Milan Poyet. Avec, parfois, des soutiens inattendus. « Quand tu vois la CGT Midi-Pyrénées te soutenir, ça t’étonne un peu. Mais ces gens ne nous soutiennent pas parce qu’on est i-Télé mais parce qu’on s’oppose à de gros actionnaires », croit deviner David.

Cagnotte et t-shirts

Depuis le 17 octobre premier jour de mobilisation les grévistes ont aussi organisé plusieurs rassemblements et même une soirée. C’était au Bus Palladium, le 9 novembre. L’idée : « Accueillir tous ceux qui ne peuvent pas venir aux rassemblements et récolter de l’argent », indique Milan Poyet. Car, rappelle-t-il, une telle mobilisation représente un sacrifice financier. C’est pourquoi, il y a plusieurs semaines, les grévistes ont ouvert une cagnotte. D’abord privée, elle a ensuite été postée sur Internet. La somme récoltée, « importante mais insuffisante pour verser un salaire à chaque gréviste », restera secrète. Depuis le début de la grève, la chaîne s’est aussi lancée dans le lancement de produits dérivés en vendant des t-shirts siglés « #Je soutiens i-Télé ». Ce jour-là, ravie d’en avoir vendu un à un membre de la direction de Canal +, une gréviste reste dubitative quant à la somme empochée : « Cinq euros’ »

Si la cagnotte est, en priorité, destinée aux bas salaires, « ceux qui gagnent entre 1 400 et 2 200 euros net par mois », explique Olivier, jusqu’à présent la plupart des grévistes ont refusé de piocher dedans. Même les pigistes, pourtant payés à la journée, et sans contrat. « On se dit que l’on peut bénéficier de Pôle emploi et de piges dans d’autres rédactions alors que ceux qui sont en contrat n’ont pas de solution », relève Eva.

Ces pigistes, sans qui la rédaction d’i-Télé ne pourrait pas tourner, s’investissent aussi pleinement dans cette grève historique. « Dès le départ, la direction nous a fait comprendre que l’on ne faisait pas partie de la rédaction alors que les collègues nous ont, dès le début, inclus dans les revendications », note Mélanie, rédactrice pigiste depuis un an. Pour illustrer le « mépris » de la direction à leur égard, ils racontent comment la chaîne a bloqué leur badge d’entrée, au début du conflit, officiellement pour une question d’assurance. « Ça fait quatre ans que je bosse ici, j’étais là pour couvrir le 13-Novembre, j’ai fait je ne sais combien d’heures sup’, et là j’ai vraiment eu l’impression que l’on me mettait à la porte », estime Brice, JRI et pigiste. Depuis, ces précaires continuent à s’investir et à voter la grève tout en cherchant du travail ailleurs.

Quant aux titulaires, ils savent que la grève a une fin. Certains ont d’ores et déjà annoncé leur départ. « Une dizaine de personnes », selon les journalistes rencontrés. D’autres y pensent sérieusement. « La casquette CNews [le futur nom d’i-Télé] sera impossible à porter, estime David. Déjà qu’il n’est pas évident d’être sur le terrain quand vous travaillez pour une chaîne d’info, mais là, les gens vont dénigrer ma rédaction et je serai d’accord avec eux. » « Je pense que la majorité des journalistes ont envie de partir mais tout le monde n’en a pas la possibilité », tranche Olivier.

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