50 ans après son adoption le Civil Rights Act protège aussi les transgenres

50 ans après son adoption le Civil Rights Act protège aussi les transgenres

Le Monde
| 18.05.2016 à 11h30
Mis à jour le
18.05.2016 à 15h45
|

Par Violaine Morin

La lutte pour les droits des personnes transgenres est devenue un débat national aux Etats-Unis depuis que la Caroline du Nord a adopté une loi, le 23 mars, imposant l’utilisation des toilettes publiques correspondant à l’identité sexuelle de naissance.

Officiellement, la loi existe pour empêcher toute discrimination basée sur la race, la couleur, la religion, l’âge et « le sexe biologique ». Mais les personnes transgenres ne font pas partie de ces catégories de citoyens « protégés », dans les espaces publics et dans les entreprises.

Des artistes et des entreprises ont pris position contre ce texte, jugé discriminant envers la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels). L’administration Obama a publié des directives pour inciter les Etats à garantir un accueil non discriminatoire aux personnes transgenres en milieu scolaire et décourager les velléités de copier la Caroline du Nord. Selon l’ONG Human Rights Campaign, une centaine de projets de loi sont en examen dans 29 États.

Comme ces directives n’ont pas valeur de loi, le gouvernement fédéral a également porté plainte, mettant en demeure le gouverneur républicain de la Caroline du Nord, Pat McCrory, de modifier la loi qui, selon la ministre de la justice Loretta Lynch, viole le titre VII du Civil Rights Act. Ce chapitre rend illégale toute discrimination par un employeur, basée sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale.

L’autre sens du mot « sexe »

Plus de cinquante ans après son adoption en 1964, le Civil Rights Act, qui a imposé l’égalité de traitement pour les Noirs, est devenu un instrument essentiel dans la lutte pour faire reconnaître les droits de la communauté LGBT. Ce n’aurait pas dû être le cas.

En moment de l’écriture de la loi, une bataille politique avait entouré le fameux titre VII. A l’origine, il n’avait pas pour objectif de protéger les femmes. L’inclusion du mot « sexe », qui à l’époque voulait dire « homme ou femme », s’est faite à la dernière minute, sur fond de man’uvres politiques.

C’est Howard W. Smith, élu démocrate de l’Etat de Virginie et ségrégationniste opposé à la loi, qui a proposé l’amendement pour ajouter le mot « sexe ». Plusieurs hypothèses existent pour expliquer pourquoi un politicien ultra-conservateur proposerait un amendement si progressiste.

L’une est que l’élu Smith aurait espéré que ses collègues jugeraient hors de propos d’ajouter la protection des femmes à un texte censé protéger les Noirs. Suffisamment hors de propos pour refuser de le voter. Dans la politique américaine, on appelle ça une « poison pill », un amendement qui sabote un texte de loi en l’étendant au-delà de son objectif et en ralliant une majorité à son encontre.

Cette hypothèse apparaît plausible au vu des positions ségrégationnistes de Howard W. Smith, et parce que l’amendement a été proposé au dernier moment, comme une tentative désespérée pour faire barrage. De plus, les syndicats, qui soutenaient les démocrates, étaient opposés à ce que les femmes puissent accéder à toutes les professions.

Eclat de rires et conséquences insoupçonnées

La radio publique américaine (NPR) a interrogé le journaliste Todd Purdum, auteur d’un ouvrage sur le Civil Rights Act, pour rappeler que le débat n’est pas tranché entre les historiens sur les motivations de Howard W. Smith.

S’il était ségrégationniste, l’homme était aussi proche du National Woman’s Party et travaillait depuis de nombreuses années avec des élues comme Martha Griffiths, une républicaine également rapporteuse de l’amendement, pour obtenir la fin des inégalités entre hommes et femmes.

« Un courant moderne de la recherche féministe a mis en lumière une sympathie sincère pour la cause féministe, et le fait que M. Smith avait prévenu les leaders de la Chambre qu’il pourrait proposer cet amendement. »

Ce n’aurait donc pas été un simple acte de sabotage. Martha Griffiths a, par exemple, défendu l’ajout du mot « sexe » en arguant que, sans lui, la loi protégeait de fait les femmes noires mais pas les blanches.

Selon le Congressional Record, qui recense tous les débats du Congrès américain, l’ajout du mot « sexe » fut accueilli par un gigantesque éclat de rire des représentants lorsqu’il a été proposé. L’amendement fut quand même adopté, défendu par les élues des deux partis.

L’ajout de ce mot « a ouvert la voie à toute une série de victoires juridiques, pendant les années 1970 et 1980, pour défendre les droits des femmes dans les entreprises », analyse Todd Purdum. Depuis, et sans qu’aucun élu de l’époque n’ait pu l’imaginer, la jurisprudence a étendu l’acception du terme à l’identité sexuelle pour que le titre VII défende aussi la communauté LGBT.

Leave A Reply