Syrie , à Alep les quartiers fidèles au régime sous le feu des rebelles

Syrie , à Alep les quartiers fidèles au régime sous le feu des rebelles

Le Monde
| 03.05.2016 à 16h48
Mis à jour le
04.05.2016 à 06h25
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Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)

Des deux côtés de la ligne de front, la peur ne quitte pas les civils d’Alep. Mardi 3 mai au matin, dans cette ville coupée en deux depuis 2012, les habitants des quartiers de l’Ouest, sous contrôle de l’armée, étaient soumis à une pluie d’obus tirés par les rebelles. Un hôpital privé, la maternité Al-Dabit, a été violemment touché. L’agence de presse officielle SANA fait état de quatre morts et de dix-huit blessés dans cette attaque, attribuée aux insurgés par les médias d’Etat ainsi que par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

« C’est la sixième structure de santé à être détruite en une semaine à Alep, déplore Pawel Krzysiek, le porte-parole du CICR en Syrie. C’est inacceptable. Un hôpital détruit prive toute une communauté d’opérations parfois cruciales. »

Le Conseil de sécurité de l’ONU a également adopté plus tôt dans la journée de mardi à l’unanimité une résolution qui réaffirme que les personnels de santé et les installations médicales doivent impérativement être protégés lors de conflits. Un texte qui fait suite au bombardement d’hôpitaux et de cliniques non seulement en Syrie, mais également au Yémen ou en Afghanistan, et qui rappelle que de telles attaques peuvent constituer des crimes de guerre.

En Syrie, selon l’ONG américaine Physicians for Human Rights (PHR), 358 attaques ont eu lieu contre des établissements médicaux de mars 2011 à fin février 2016, dont 90 % sont attribuées au régime et ses alliés. Il s’agissait pour la majorité, précise l’ONG, « d’attaques ciblées. »

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Les destructions à l’hôpital Al-Dabit font suite à des dizaines d’autres frappes au mortier menées par les rebelles depuis le début de matinée contre les faubourgs de l’ouest d’Alep. Au total, au moins seize personnes ont été tuées mardi dans ces quartiers. Les obus ont aussi fait des dizaines de blessés. Les tirs ont aussi touché des positions militaires ; sur Twitter, des factions rebelles de l’est d’Alep ont affirmé avoir détruit des mitrailleuses.

Plus de 260 frappes contre Alep

Le commandement de l’armée syrienne impute cette offensive au Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaida, et aux deux groupes salafistes Ahrar Al-Cham et Jeich Al-Islam. Il affirme que les troupes ripostent aux « terroristes » et leur infligent « de lourdes pertes ». Des raids aériens ont de nouveau touché mardi la partie d’Alep tenue par les rebelles, dans l’Est, faisant au moins trois morts et des blessés.

Depuis le 22 avril, date à laquelle le régime a relancé d’intenses frappes aériennes, tandis que les rebelles menaient des attaques quotidiennes, plus de 270 civils ont trouvé la mort dans la grande ville du nord de la Syrie, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont une cinquantaine d’enfants.

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La majorité des victimes ont été tuées par les bombardements des forces pro-régime en zone rebelle, dans l’est d’Alep. Selon un décompte fait le 30 avril par les « casques blancs », des secouristes qui cherchent sous les décombres pendant des heures et parfois même des jours les victimes de ces raids, les avions de chasse avaient mené en huit jours plus de 260 frappes contre l’est d’Alep. L’un des épisodes les plus sanglants fut le bombardement de l’hôpital Al-Qods, spécialisé en pédiatrie, dans la zone rebelle : 55 personnes ont été tuées, des patients et du personnel médical.

Une violence inédite

Quant aux attaques menées par les rebelles contre l’ouest d’Alep ces derniers jours, elles sont d’un niveau de violence inédit depuis des mois, et les civils paient un lourd tribut. La journée de mardi est l’une des plus sanglantes dans ces quartiers.

« L’escalade en cours dans la ville est très préoccupante, commente Pawel Krzysiek, du CICR. L’impact des attaques de part et d’autre est différent, mais, de chaque côté, les civils souffrent. »

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Une accalmie pourrait-elle se profiler ‘ Staffan de Mistura, l’émissaire de l’ONU sur la Syrie, appelle à rétablir le cessez-le-feu qui a volé en éclats à Alep. Au lendemain de sa rencontre avec le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, à Genève, le diplomate s’est rendu mardi à Moscou. A l’issue de leur entretien, le ministre russe des affaires étrangères, Serguei Lavrov, a indiqué qu’un cessez-le-feu à Alep pourrait être annoncé « peut-être même dans les prochaines heures ». Il y a quelques jours, les Russes, qui apportent un important soutien militaire au pouvoir de Bachar Al-Assad, avaient pourtant affirmé qu’ils n’avaient aucune intention de tenter d’influer sur le régime syrien. L’objectif de ce dernier est de reprendre la totalité d’Alep, une ville à l’importance stratégique.

John Kerry a menacé Bachar Al-Assad de « répercussions » si son régime ne respecte pas le nouveau cessez-le-feu actuellement discuté entre Washington et Moscou, notamment pour la ville d’Alep. La France et le Royaume-Uni ont de leur côté demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU sur la situation à Alep. Cette « ville-martyre (‘) est le centre de la résistance au [président syrien] Bachar » Al-Assad, a souligné l’ambassadeur français François Delattre, la comparant à Sarajevo pendant la guerre en Bosnie. Ce rendez-vous a été programmé pour mercredi.

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Scinder la zone rebelle en deux

Selon l’agence de presse américaine Associated Press (AP) citant des « responsables américains », l’une des propositions de Washington pour trouver un accord sur Alep serait de scinder la zone rebelle d’Alep entre, d’une part, des quartiers où les civils et les factions armées de l’opposition couvertes par la trêve se rassembleraient et ne seraient pas visés par l’offensive du régime et, d’autre part, des secteurs où le Front Al-Nosra est présent, et qui ne seraient pas concernés par l’accalmie.

Une manière pour Washington d’affirmer travailler à la fin des attaques aveugles contre les civils, tout en satisfaisant Moscou, qui justifie, comme Damas, les bombardements aériens par la lutte contre le Front Al-Nosra dans les quartiers rebelles le groupe djihadiste y aurait toutefois une présence limitée.

Face aux massacres de civils commis à Alep, l’organisation Human Rights Watch a appelé il y a quelques jours à mettre fin à l’impunité. Elle a demandé qu’une enquête soit ouverte sur l’attaque délibérée qui a frappé l’hôpital Al-Qods. Elle invite aussi à ce que des « sanctions ciblées » soient adoptées contre « les commandants de chaque camp [régime ou rebelles] dont les combattants apparaissent impliqués dans les abus les plus graves, ou qui sont eux-mêmes responsables de graves abus ». « La protection des civils doit être une priorité, rappelait récemment Nadim Houry, directeur adjoint pour le Moyen-Orient de Human Rights Watch. Un tel mécanisme de sanctions participerait à changer la donne. »

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