Pour lutter contre le harcèlement sexuel , une loi et des initiatives qui font bouger les lignes

Pour lutter contre le harcèlement sexuel , une loi et des initiatives qui font bouger les lignes

UNE LOI, ET APRÈS

On ne laisse pas toujours la trace qu’on veut dans l’histoire de la République, quand on mène une carrière politique. Éphémère secrétaire d’État au Tourisme sous Giscard d’Estaing, pendant un an et demi, Gérard Ducray, avocat de son état, avait été avant cela député du Beaujolais pendant six ans.

C’est à peu près tout ce qu’on sait de lui, avant le début de l’année 2011. Il est alors conseiller municipal de Villefranche-sur-Saône. En mars de cette année-là, la cour d’appel de Lyon le condamne à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour harcèlement sexuel à l’encontre de trois femmes fonctionnaires territoriales.

Les faits remontent à 2009 et 2010 et les trois femmes ont beaucoup hésité avant de les dénoncer. Gérard Ducray n’en revient pas. Il parle alors de « taquineries » et d’« avances un peu lourdes », selon lui bien trop sévèrement punies, et se pourvoit en cassation. En même temps, il dépose une question prioritaire de constitutionnalité qui va chambouler la loi.

Besoin de préciser la loi

Pour lui, pour ses avocats, « la loi, trop floue quant à la définition du délit, ouvre la voie à tous les débordements, à toutes les interprétations ». Il demande donc aux Sages de se pencher sur cette loi, voire de l’abroger, tout bonnement. Á sa grande surprise, l’Association européenne contre la violence faite aux femmes au travail (AVFT) se joint à lui, pour demander l’abrogation du texte : « Cela fait vingt ans qu’on se bat contre les termes vagues de ce texte », confie alors sa déléguée générale, visant notamment le mot « faveurs ».

Le Conseil constitutionnel se penche alors sur le texte de 1992 (il n’existait rien avant, dans le code pénal), modifié en 1998 puis en 2002. Il définit le harcèlement comme suit : «Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelles par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. »

Le harcèlement était lié au pouvoir

C’est non seulement un peu flou, mais aussi terriblement restrictif : il faut être supérieur hiérarchique pour tomber sous le coup de la loi. Le Conseil constitutionnel n’y va pas par quatre chemins : le 4 mai 2012, il abroge la loi, avec effet immédiat. Voilà un vide juridique terrible, dont prend immédiatement conscience le candidat à la présidentielle François Hollande qui, promet, le jour même soit deux jours avant le second tour qu’une nouvelle loi sera rédigée le plus rapidement possible, s’il est élu.

Ce sont Christiane Taubira, ministre de la Justice, Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droit des femmes, et Michel Sapin, ministre du Travail, qui s’y collent, en plein été. Et le 6 août, au fort de Brégançon, fier de tenir une promesse,le président Hollande signe le décret d’application d’un texte plus fourni, évoquant « des propos ou des actes portant atteinte à la dignité » d’une personne, en raison de leur caractère « dégradant ou humiliant », qu’ils soient répétés ou non, et supprime, surtout, la notion de supériorité hiérarchique, et même de travail. L’auteur peut être un collègue, un cadre sportif, un formateur, un client, le correspondant d’une autre entreprise’ Tant de situations que relève la jurisprudence.

Gérard Ducray, lui, n’en a pas terminé pour autant sur ce coup d’éclat : renvoyé devant la cour d’appel de Lyon, il est cette fois condamné à un mois prison avec sursis et 3 000 euros d’amende, en novembre 2014, pour « agressions sexuelles », cette fois.

AU-DELÀ DE LA LOI, DES INITATIVES QUI FONT BOUGER LES LIGNES

Les marches exploratoires

Lancées de septembre 2014 jusqu’en janvier 2016 dans douze villes dont Lille et Mons-en-Bar’ul, les marches exploratoires ont pour but d’aider les femmes à se réapproprier leur quartier, leurs rues à travers des déambulations en groupe, carnets de note en main.

«
Certains endroits sont devenus tellement masculins que les femmes n’osent plus y aller, explique Laurent Giraud, directeur de France Médiation, l’association qui pilote, avec l’État, ce dispositif inédit en France. Par exemple, à Creil, les cafés accueillent surtout des hommes, du coup elles allaient dans la ville voisine. Elles ont commencé à y retourner en groupe. » En tout, 120 femmes ont participé au projet : «
C’est un projet pilote qui ne demande qu’à être développé. Après cette expérience, les femmes se sentent, globalement, plus à l’aise dans leur quartier même si elles attendent des élus qu’ils donnent suite à leur demande comme l’aménagement de bancs publics, de terrains vagues, la réparation de lampadaires…»

Les appels lancés par des femmes

Cosignataire de Bas les pattes qui rappelait à l’ordre les élus vis-à-vis des journalistes femmes, Hélène Bekmezian travaille au service politique du journal Le Monde. Un an après la publication de la tribune dans

Libération, elle estime que la situation a évolué : «
Des députés nous ont manifesté leur soutien, certains ont réalisé que ça existait encore. Je me dis que l’affaire Baupin peut être aussi une conséquence de la parole libérée sur la place publique grâce à cette tribune. Les femmes qui aujourd’hui parlent à visage découvert, c’est nouveau ! Je sais aussi qu’un ministre a récemment convoqué son cabinet pour leur dire de ne rien laisser passer sur le sujet. Cela dit, le problème est que les harceleurs souvent ne se sentent pas visés. De jeunes députés sont même venus nous voir en me demandant s’ils étaient concernés ! Mais bon, on a créé le débat, c’est déjà beaucoup !
»

Les cellules de veille dans les facs

Pionnière en France, la cellule de veille contre le harcèlement sexuel implantée à Lille III répertorie 62 dossiers depuis 2006 : «
Le sujet est encore hyper tabou, explique Nathalie Coulon, coordinatrice, maître de conférence en psyhologie. Les étudiants victimes parlent peu de peur de se faire griller plus tard dans leur carrière professionnelle.
» Pourtant, la situation évolue peu à peu : «
Nous avons sorti un manuel avec des pistes pour lutter contre les

harcèlements, des exemples d’initiatives et un film sur les campus américains a été diffusé à Lille et à Strasbourg où la question était abordée pour la première fois.
»
Après la projection, des étudiants sont venus s’informer auprès de la cellule de veille : «
La mutation est lente mais elle existe !
»

Le projet Crocodiles

Les tumblr, blogs, pages Facebook se développent à toute vitesse sur le sujet du harcèlement. Deux initiatives semblent particulièrement réussies : la page Facebook payetashnek qui recense des phrases de harceleurs entendues dans la rue, les transports en communs, etc. et le tumblr Projet Crocodiles qui croque des scènes ordinaires de sexisme et de harcèlement de rue, principalement d’après des témoignages français et belges. Comme l’explique Thomas Mahieu, les hommes sont remplacés par des crocodiles verts tandis que les femmes sont dessinées en noir et blanc, ce qui invite le lecteur à épouser leur point de vue. Très efficace.

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