En Roumanie les électeurs désabusés avant des législatives sous le signe de la corruption

En Roumanie les électeurs désabusés avant des législatives sous le signe de la corruption

Le Parti social-démocrate est en tête des sondages pour le scrutin de dimanche. Le pays est dirigé depuis novembre 2015 par un gouvernement de techniciens.

Le Monde
| 09.12.2016 à 11h13
Mis à jour le
11.12.2016 à 07h39
|

Par Mirel Bran (Bucarest, correspondant) et
Jean-Baptiste Chastand

Le prix de la corruption, elle le paye dans sa peau. A 29 ans, Mariana « Tedy » Oprea est une rescapée de l’incendie de la discothèque Colectiv de Bucarest, qui a fait 64 morts en octobre 2015. Brûlée à 45 %, cette jeune architecte roumaine est encore complètement défigurée, même si un maquillage subtil lui permet de garder son charme. « Bien sûr que tout cela m’est arrivé à cause de la corruption », assure-t-elle depuis la petite chambre de l’appartement de ses parents, chez qui elle habite encore.

Causé par un spectacle pyrotechnique non autorisé dans un club trop rempli et qui ne respectait pas les normes de sécurité grâce aux pots-de-vin versés par les propriétaires, le feu a tué immédiatement une trentaine de jeunes Roumains venus y écouter un concert.

Une trentaine d’autres mourront des suites de leurs blessures ou d’infections nosocomiales contractées dans les hôpitaux. Tedy a, elle, eu la chance d’être transférée à Vienne, en Autriche. Elle est sortie du coma un mois et demi plus tard.

« Quand je me suis réveillée, quelqu’un m’a dit que le gouvernement était tombé. Que les gens avaient manifesté en criant La corruption tue’, et qu’on avait fait ce changement, se souvient-elle, je n’y croyais pas. »

Participation cruciale des jeunes

Six jours après l’incendie, le premier ministre d’alors, le social-démocrate Victor Ponta, avait dû démissionner après une manifestation monstre de Roumains en colère. Lui-même était accusé depuis plusieurs mois par le parquet anticorruption de faux en écriture, de complicité d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent pour des activités antérieures.

Dans la foulée, un gouvernement de technocrates a été formé autour de l’ancien commissaire européen à l’agriculture Dacian Ciolos, un libéral réputé pour son intégrité.

Alors que des élections législatives sont organisées dimanche 11 décembre en Roumanie, Tedy ne cache pas « sa peur » de voir le Parti social-démocrate (PSD) en tête dans les sondages faire son retour au pouvoir.

Dans une vidéo postée sur Facebook, elle appelle les Roumains à participer massivement au scrutin. « Avant l’incendie, je n’avais voté qu’une seule fois, cela ne m’intéressait pas beaucoup, raconte la rescapée, qui rêvait surtout d’émigration faute de trouver un emploi satisfaisant, comme tant d’autres jeunes Roumains. Mais les gens qui ont manifesté m’ont donné l’espoir. J’ai compris que si on était nombreux on pourrait faire changer les choses. »

A l’image de Tedy, la participation des jeunes citadins sera cruciale pour le scrutin de dimanche. Avec son programme promettant des hausses de salaire immédiates et des investissements publics massifs, le PSD caracole en tête dans les sondages en s’appuyant sur son électorat rural et plus âgé, traditionnellement plus mobilisé.

A la tête de ce parti, successeur de l’ancien Parti communiste roumain, Liviu Dragnea pourrait devenir premier ministre s’il obtient la majorité absolue. Ex-numéro deux du gouvernement Ponta, il avait dû démissionner en 2015 après avoir été condamné pour fraude électorale. Une « erreur judiciaire », selon cet ingénieur de 54 ans, qui refuse de critiquer la gestion de la catastrophe par le gouvernement d’alors. « Le gouvernement était très efficace et efficient et il a permis à la Roumanie d’avoir la croissance la plus forte d’Europe », explique-t-il plutôt au Monde.

« Promesses populistes »

Malgré ses ennuis judiciaires, M. Ponta est lui toujours candidat dans une circonscription favorable où il fait campagne en s’en prenant à l’Union européenne (UE) ou au philanthrope américain d’origine hongroise George Soros. Il a le soutien d’un nouveau parti nationaliste et eurosceptique créé il y a quelques mois, une première dans une Roumanie traditionnellement europhile.

Liviu Dragnea prend toutefois ses distances avec son prédécesseur. « Personne en Roumanie ne peut avoir des idées anti-européennes », assure-t-il. Depuis son adhésion à l’UE en 2007, le pays a perçu 19,2 milliards d’euros de fonds structurels. Trois millions de Roumains travaillent ailleurs dans l’UE. Et le très offensif et très populaire parquet anticorruption, qui poursuit les politiques roumains par dizaines, résulte largement des pressions de Bruxelles, aux yeux des Roumains.

Malgré cela, « sur le court terme, les promesses populistes sont plus payantes », constate, avec regret, l’actuel premier ministre, Dacian Ciolos. Ce dernier ne se présente pas directement aux élections, mais le Parti national libéral (PNL, centre droit) et un parti contestataire anticorruption créé après l’incendie du Colectiv, l’Union Sauvez la Roumanie (USR), ont annoncé qu’ils le soutiendraient pour rester au pouvoir en cas de victoire.

En un an, le gouvernement technocratique a entamé une réforme de la gestion des hôpitaux ou accru la transparence de l’Etat, avec le satisfecit des investisseurs étrangers, mais cela pourrait ne pas suffire.

« Les gens espèrent des hausses de salaire et de retraites immédiates. Ils ont la mémoire courte car ce même type de promesse leur avait été fait il y a quatre ans et n’a pas été tenu », regrette ce pro-européen convaincu de 47 ans, qui se vante d’écarter tout membre de son entourage dès qu’il a vent d’un soupçon de corruption.

« Le PNL a aussi des corrompus », relativise toutefois Sorin Ionita, de l’ONG de soutien à la démocratie Expert Forum, « mais, au moins, eux écoutent en général la société civile et les écartent, parce qu’ils ont peur de perdre le soutien de la classe moyenne pro-européenne ».

Tedy Oprea ne désespère pas. Après sa convalescence, elle a enfin trouvé un travail d’architecte, même si elle n’est pas près de pouvoir quitter le domicile familial avec son salaire « juste au-dessus du smic » soit 1 200 leu (265 euros) par mois. « Et j’ai convaincu mes parents, pourtant éduqués dans le communisme, qu’il fallait arrêter de voter pour le PSD », dit-elle en plaisantant.

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