Efforts de façade pour sauver la paix en Syrie

Efforts de façade pour sauver la paix en Syrie

Le Monde
| 28.04.2016 à 12h08
Mis à jour le
29.04.2016 à 12h03
|

Par Marc Semo

Jusqu’ici, le seul résultat tangible des négociations intersyriennes de Genève est leur survie. Mais elles sont à bout de souffle. La troisième session de ces pourparlers indirects sous l’égide des Nations unies entre le régime de Bachar Al-Assad et l’opposition s’est achevée mercredi 27 avril sans aucune réelle avancée alors que l’intensification des offensives des forces du régime aidées par les Russes, notamment autour d’Alep, risque de leur donner le coup de grâce.

« Comment peut-on avoir des discussions de qualité si l’on n’entend parler que de bombardement et de pilonnages ‘ », a mis en garde mercredi dans la nuit le médiateur de l’ONU, Staffan de Mistura, après avoir fait le point par vidéoconférence avec le Conseil de sécurité à New York.

Le diplomate italo-suédois appelle donc les présidents russe et américain, Vladimir Poutine et Barack Obama, à sauver le cessez-le-feu mis en place fin février alors qu’il y a désormais « un mort syrien toutes les vingt-cinq minutes ces dernières quarante-huit heures ». Cette situation avait incité la délégation du Haut Comité des négociations (HCN) représentant l’opposition démocratique et les groupes armés soutenus par les Occidentaux, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie à quitter, le 21 avril, les discussions officielles.

« Ces négociations n’ont pas de vie propre. Elles dépendent de ce qui se passe sur le terrain et plus encore du levier russe et américain »

Fort de ses « quarante-cinq ans et sept mois d’expérience dans la diplomatie internationale », Staffan de Mistura n’en est pas moins décidé à aller de l’avant. « Les parties syriennes ont toutes accepté la nécessité d’une transition politique », a-t-il insisté, espérant pouvoir tenir deux nouveaux rounds de discussions d’ici à l’été, même si aucune date n’a encore été fixée. A l’inverse, les adversaires du régime sont de plus en plus sceptiques.

« Ces négociations n’ont pas de vie propre. Elles dépendent de ce qui se passe sur le terrain et plus encore du levier russe et américain », reconnaît Bassma Kodmani, une des figures du HCN, rappelant que l’opposition ne reviendrait officiellement dans les négociations que « s’il y a une réelle amélioration de la situation humanitaire et un retour à la cessation des hostilités en vigueur depuis le 27 février ».

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« Posture de l’arbitre »

Dans cet affrontement, Moscou détient les cartes maîtresses. En invitant Bachar Al-Assad à Moscou à l’automne, il avait lancé ce processus auquel se sont rapidement associés les Américains et qui a abouti à une résolution du Conseil de sécurité en décembre, la 2254, fixant le cadre de négociations censées permettre une transition politique et l’instauration « d’une gouvernance crédible inclusive et non sectaire » préparant sous dix-huit mois des élections générales avec un contrôle international.

« Acteur majeur et partie prenante au conflit par son soutien actif au régime dans ses opérations contre l’opposition, la Russie a néanmoins réussi à prendre la posture de l’arbitre », relève Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), rappelant que dans ce conflit, « ses priorités sont à l’opposé de celles de la France ou des Etats-Unis, visant d’abord à sauver le régime et à affirmer son nouveau rôle régional, alors que la lutte contre l’organisation Etat islamique [EI] arrive en dernier ».

« Les priorités de la Russie sont à l’opposé de celles de la France ou des Etats-Unis, visant d’abord à sauver le régime et à affirmer son nouveau rôle régional »

Amorcées début février, les négociations avaient aussitôt été suspendues sur décision du médiateur de l’ONU à cause de la vaste offensive sur Alep lancée par le régime avec le soutien russe. Elles n’ont réellement démarré qu’après l’instauration de la trêve, le 27 février. Elles sont aujourd’hui à nouveau en péril. Staffan de Mistura mise sur une initiative du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS) incluant 17 pays ainsi que l’ONU, l’UE, la Ligue arabe et qui est parrainé par la Russie et les Etats-Unis. Le destin des négociations dépend en premier lieu de Moscou, qui peut imposer au régime d’arrêter ses offensives, mais aussi de la détermination de l’administration américaine face au Kremlin.

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« Enfant gâté et capricieux »

« L’intensification des opérations vise à augmenter la pression sur la partie la plus vulnérable, c’est-à-dire l’opposition, soit en l’obligeant à accepter de plus en plus de concessions au risque de se décrédibiliser, soit à quitter les négociations et être accusée de leur échec », note Ziad Majed, universitaire et politologue libanais.

Cette situation met à l’épreuve la cohésion du HCN, qui regroupe à la fois des organisations politiques celles qui sont notamment dans la Coalition nationale syrienne , mais aussi la plupart des forces combattantes sur le terrain en dehors des djihadistes de l’EI ou liés à Al-Qaida. C’est ce qui fonde sa légitimité et sa présence aux négociations face au régime.

La session commencée le 13 avril s’est concentrée sur la question définie comme « cruciale » par le médiateur, celle « de la transition politique, de la gouvernance et des principes constitutionnels ». Le HCN exige le départ de Bachar Al-Assad et que l’autorité de transition soit dotée des pleins pouvoirs exécutifs.

Le régime concède tout au plus l’entrée de quelques opposants triés sur le volet dans un gouvernement d’union nationale. Rien n’a réellement bougé. Mais les discussions ont continué, y compris de façon « informelle », avec le HCN, dont la plupart des représentants et son coordinateur, Riyad Hijab, sont restés sur place, même après l’annonce de leur départ. Les risques de la politique de la chaise vide sont en effet évidents.

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Les Russes, par la voix de leur ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, accusent le HCN d’être « un enfant gâté et capricieux encouragé par ses protecteurs étrangers ». Et, surtout, il rappelle que le HCN n’est pas « le seul groupe d’opposition syrienne ». Les représentants du groupe dit « de Moscou et du Caire » ou de Hmeihem la base aérienne russe près de Lattaquié, en Syrie sont présents à Genève depuis le début des pourparlers et « consultés ».

Sans réelle représentativité, ces anciens responsables du système baasiste ou membres d’organisations de la société civile tolérées par le régime sont prêts à jouer les utilités aux côtés du dictateur. Ils n’en prétendent déjà pas moins être inclus dans la délégation de l’opposition, une hypothèse rejetée par le HCN et les pays qui le soutiennent. Mais, aujourd’hui, il est plus affaibli et divisé que jamais.

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