William Shakespeare illustre inconnu mort il y a tout juste 400 ans

William Shakespeare illustre inconnu mort il y a tout juste 400 ans

Acte 1. Shakespeare or not Shakespeare

À quoi pouvait bien ressembler William Shakespeare Personne n’en sait rien ou plutôt tout le monde en est réduit à des probabilités. Autour du portrait, dit portrait Chandos, du XVIe siècle non authentifié. Autour de la gravure sur cuivre Droeshout qui illustre le frontispice du premier folio de 1623 mais, las, «
brille par sa médiocrité
», écrit Bill Bryson, dans son excellente Shakespeare Antibiographie
(1) et dont il détaille les défauts : un il plus gros que l’autre, une tête disproportionnée, une bouche bizarrement placée, des cheveux mal coupés, et «
pis encore : le sujet a l’air timoré, presque effrayé, rien à voir avec le personnage vaillant et plein d’assurance qui s’adresse à nous à travers ses pièces
». Et puis le portrait, daté de 1623, n’a pu être réalisé d’après nature.

Autre piste, le buste grandeur nature, réalisé par le tailleur de pierre, Gheerart Janssen, qui orne le monument funéraire de Shakespeare dans l’église de Stratford-upon-Avon où le poète est enterré. «
Janssen vivait près du théâtre du Globe, dans le quartier londonien de Southwark, de sorte qu’il a très bien pu [le] voir en chair et en os
», note Bryson, «
d’un autre côté, on préférerait qu’il ne l’ait pas vu, car il le représente sous les traits d’un homme vaniteux, au visage bouffi, arborant la profonde, si profonde, et subtile, si subtile, expression d’une vessie pour citer la formule mémorable de Mark Twain
». De plus, relève encore Bryson, on n’a plus aucune idée des couleurs originelles du buste peint, qui a été passé à la chaux. Or «
les détails n’étaient pas gravés, c’est la peinture qui donne ses traits au personnage
». Le 9 mars 2009, le Shakespeare Birthplace Trust, association qui gère le musée Shakespeare à Stratford-upon-Avon où le poète est né, a authentifié le seul portrait de Shakespeare peint de son vivant, vers 1610, le portrait « Cobbe ». «
Nous sommes certains à 90 % que c’est Shakespeare
», a déclaré à la presse Paul Edmonson, directeur de la fondation Shakespeare. Reste 10 % d’inconnue… Mais comme dit Peter Holland, directeur de la revue Shakespeare, dans une interview radiophonique : « Ce qui compte c’est ce front extraordinaire et l’immense cerveau qui se cache derrière, Il ne faut pas s’imaginer que Shakespeare était quelqu’un de beau ou qu’il avait l’air intéressant, l’important est qu’il se passait de drôles de choses dans sa tête. »

Acte 2 : On a perdu Shakespeare

On sait que Shakespeare est né à Stratford-upon-Avon, dans le centre de l’Angleterre, qu’il y a été baptisé le 26 avril d’où sa supposée date de naissance le 23 avril, mais sans certitude qu’il y est mort et enterré. Entre ces deux dates, «
on compte sur les doigts d’une main les jours de sa vie où on peut le situer géographiquement avec certitude
», écrit Bill Bryson. «
Entre le moment où il a laissé sa femme et ses trois jeunes enfants à Stratford et celui où on le retrouve à Londres, auteur de pièces à succès, il s’est écoulé huit années cruciales pour lesquelles on n’a absolument aucun document permettant de le localiser. Lorsque en 1592, il voit son nom imprimé pour la première fois en tant que dramaturge, plus de la moitié de sa vie est déjà derrière lui. Pour le reste, éternellement insaisissable, il est l’équivalent littéraire d’un électron.
»

De 1585 à 1592, Skakespeare disparaît des radars, ce qu’on a coutume d’appeler «
les années perdues
», «
précisément la période durant laquelle nous aimerions le plus savoir où il était, car c’est à ce moment-là qu’il a quitté Stratford puis s’est imposé comme comédien et dramaturge. Dans toute l’histoire de la littérature, il n’est pas de vide plus attirant
». Parmi les légendes, en bonne place, celle d’un Shakespeare devenu maître d’école à la campagne, voyageur en Italie, écumant les mers ou catholique caché dans le nord du pays… Bien des conjectures, aucune preuve.

Acte 3 : Shakespeare in love

Parmi le peu qu’on a sur notre homme, des documents (contrats, registres) attestent de son mariage avec Anne Hathaway et que le couple a eu trois enfants : Susanna en mai 1583, et Judith et Hamnet, des jumeaux, en 1585. Mais rien concernant l’amour que se portait le couple. «
Parmi les rares certitudes dont nous disposons concernant la vie de Shakespeare figurent en tout cas les deux faits suivants : il est resté marié avec Anne jusqu’à sa mort et il envoyait beaucoup d’argent à Stratford dès qu’il le pouvait. Ce n’est peut-être pas une preuve d’amour concluante, mais cela peut être difficilement considéré comme une preuve du contraire
», écrit Bill Bryson.

En 1609, la publication des Sonnets de Shakespeare, jamais encore imprimés allait alimenter une controverse qui perdurerait jusqu’à nos jours : l’auteur de Roméo et Juliette était-il gay Nombre des vers extraits de ces sonnets étaient «
écrits à la louange non pas d’une femme mais d’un homme
», souligne Bryson. Il n’en fallait pas plus aux chercheurs pour se perdre en conjectures sur l’identité de celui ou ceux à qui étaient adressés ces vers et l’homosexualité du dramaturge. Là encore, on peut compter sur Bill Bryson pour nous remettre sur le droit chemin de la vérité, fût-elle opaque : «
Rechercher dans les Sonnets des éléments biographiques concernant Shakespeare ou qui que ce soit d’autre est sûrement une entreprise assez vaine. Au vrai, on n’a pas la certitude que les cent vint-six premiers soient adressés au même jeune homme, ni qu’il s’agisse à coup sûr d’un homme dans tous les cas. Bien souvent, les poèmes en question n’indiquent pas le sexe de la personne. C’est seulement parce que, lors de leur publication, les Sonnets ont été présentés comme une suite que nous établissons un rapport entre eux.
» Bref, tout ce que l’on sait avec certitude sur les préférences sexuelles de Shakespeare, c’est qu’on ne sait rien.

Acte 4 : signé Shakespeare

Shakespeare est-il l’auteur de ses pièces Selon Bill Bryson, plus de cinq mille ouvrages le laissent entendre, voire l’affirment ! C’est considérable. Mais la quantité n’assoit pas la vérité. La somme de toutes les compétences dont témoignerait l’auteur d’une telle uvre est telle qu’elle ne pourrait être attribuée à un seul homme, surtout un provincial tel que notre poète. C’est l’argument principal de ces théories dites «
antistratfordiennes
». Francis Bacon, Edwar de Vere, comte d’Oxford, Christopher Marlowe, Mary Sidney, une comtesse du Pembroke… «
On dénombre plus de quatre-vingts personnes qui ont pu être considérées comme l’auteur de l »uvre de Shakespeare, on parle même de la reine Élisabeth
», rappelle le professeur Stanley Wells, dans une interview à France Culture,
c’est absurde
».

Choisissons de laisser à l’excellent Bill Bryson le privilège de l’épilogue, qui écrit dans son Antibiographie : «
Quand on y réfléchit, il est stupéfiant qu’un homme ait été capable de produire à lui tout seul une uvre aussi somptueuse et sage, variée et palpitante, dont le charme agit encore et toujours. Mais c’est là précisément la marque du génie. Un seul homme était en position de nous faire ce présent incomparable, un seul en possédait le talent. William Shakespeare était indiscutablement cet homme, et qu’importe, au fond, qui il était
»

1. Chez Payot-rivages, un régal, pour 8,70 en poche.

Leave A Reply