Verdun , Mémoire familiale

Verdun , Mémoire familiale

Point de regret ni de douleur

De nombreux descendants de combattants allemands ont également prévu de prendre le chemin de Verdun à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun. Peter Lex, 70 ans, viendra le 30 juillet, assister à une pièce de théâtre jouée en l’honneur de son grand-père, Alfred Bauer, médecin de l’armée allemande en poste à Romagne-sous-les-Côtes, du 21 mars au 5 juin 1916. Peter Lex a gardé ses carnets de guerre. Son grand-père y raconte ces terribles mois où il dût soigner des milliers de blessés. Un calvaire qui lui valut de recevoir la croix de fer.

Peter Lex a été durablement marqué par ce grand-père, mort en 1955, à l’âge de 76 ans. « Il ne m’a jamais parlé de la guerre, admet-il. Mais je revois encore son portrait avec la croix de fer au mur du salon de la maison où j’ai grandi ». Une première fois en 1994, puis une seconde, en 2015, Peter Lex est revenu à Verdun sur les traces de son grand-père. Point de regret ni de douleur, il n’a pas été pris au dépourvu par sa mort. Ces séjours s’inscrivent dans un long travail de mémoire.

Il a pourtant ressenti une vive émotion lorsque l’an dernier, il a retrouvé dans le cimetière militaire allemand de Romagne-sous-Montfaucon les tombes de Lustig et Hilse, deux soldats opérés par son grand-père. Peter Lex a également dû reprendre son souffle devant le fort de Douaumont, où son père, Franz, avait combattu en 1916. Après la Grande Guerre, ce jeune lieutenant de l’armée allemande s’était marié avec la fille du docteur Alfred Bauer.

La tombe d’Augustin Cabot, mort pour la France.

Dans d’autres familles allemandes, Verdun est une blessure qui ne s’est pas refermée. Peter Sauter, 64 ans, a fait plus d’une fois le voyage au bout de la nuit. Durant toute son enfance, il a entendu son père pousser des hurlements dans son sommeil. Pour cet ancien combattant de 14-18 né en 1894, la guerre était un tabou. Sa femme, de vingt-deux ans sa cadette, veillait à ce que les cinq enfants ne posent aucune question. Par sa s’ur, Peter Sauter apprit que son père avait combattu en France. « Quand j’étais gamin, je disais à mon père : Raconte-moi quelque chose de la guerre.’ Dès lors, son regard était loin. L’atmosphère devenait glaciale. Ça m’effrayait. »

Le docteur Alfred Bauer, grand-père de Peter Lex.

« Je me suis assis et puis j’ai pleuré »

Un jour en l’absence de sa mère, son père finit par lui raconter comment il fut percuté par des éclats d’obus pendant la grande offensive française à Douaumont en octobre 1916. « Son dos était déchiré, son ventre ouvert, ses boyaux sortaient. Il m’a dit : J’ai pris mon pantalon, une main devant, l’autre derrière, j’ai tout mis dedans pour ne rien perdre. Derrière moi, il y avait un poste sanitaire souterrain. Devant moi, plus loin, un poste de secours. J’ai bien fait de ne pas aller dans le poste souterrain parce qu’ils ont tous péri dans les gaz.’ »

Ce sera l’une de ses rares confessions. « Peu avant sa mort, je l’ai vu brûler tous ses papiers. Je lui en veux parce qu’il n’a rien laissé. Pendant des décennies, j’ai cherché, je n’ai rien trouvé. » En 2009, cet enseignant, qui vit en Suisse, tente une expédition de la dernière chance. Il s’enferme trois jours au centre de documentation du Mémorial de Verdun, lit tout ce qui lui passe par la main. En vain. La directrice lui conseille de se rendre aux archives de Stuttgart dans le Bade-Wurtemberg, Etat-région où fut incorporé son père.

Peter Sauter et son père dans les rues d’Egesheim dans le Bade-Wurtemberg à la fin des années 1950.

« Là-bas, j’ai pu reconstituer son périple, mais les indications en allemand ne permettaient pas d’identifier tous les lieux où il était passé », certifie-t-il. Il fait alors appel à Pierre Lenhard, guide franco-allemand des champs de bataille, lequel parvient à localiser le bois Fumin, l’endroit où fut blessé son père. « La première fois que j’y suis allé, j’étais comme paralysé. Je regardais parterre. Il y avait des barbelés, des obus, des gourdes, des brodequins. Je me suis dit : Je marche sur des morts, peut-être sur le sang de mon père.’ Je me suis assis et puis j’ai pleuré. »

Depuis, il y a amené toute sa famille : ses fils, ses frères, ses nièces, ses neveux. En 2015, il a fait la connaissance devant le fort de Douaumont de Jean-François Cante, fils de poilu. « Mon père a toujours eu peur de Verdun, assure Peter Sauter. Au fond, je sais que la guerre, c’était pas son truc, ni celui des autres d’ailleurs. J’ai voulu à sa place terminer symboliquement la guerre des poilus et des feldgrauen. Mon désir était de rencontrer un fils de combattant français d’égal à égal pour une bonne poignée de main. Maintenant, on marche ensemble. »

Photo du père de Peter Sauter prise en Alsace avant que son unité ait été transférée à Verdun en septembre 1916.

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