Une étrange fourmi-licorne de 99 millions d’années

Une étrange fourmi-licorne de 99 millions d'années

Vue d’artiste de Ceratomyrmex ellenbergeri. © Perrichot et al./Current Biology.

 » Imaginez un crâne humain où la mâchoire inférieure serait modifiée en une paire de larges faucilles dont les lames pointeraient bien au-dessus de la tête, et dont le milieu du front serait surmonté d’une longue brosse en forme de spatule’ » Enseignant-chercheur à l’université de Rennes-1, le paléontologue Vincent Perrichot sait trouver les mots pour décrire la « tronche » bizarre de sa dernière découverte, une fourmi-licorne. Comme il le rapporte avec ses collègues Bo Wang (Institut de géologie et de paléontologie de Nankin) et Michael Engel (université du Kansas) dans une étude publiée ce jeudi 26 mai par Current Biology, cette nouvelle espèce, baptisée Ceratomyrmex ellenbergeri, aux individus assez grands (1 cm de long), est vieille de 99 millions d’années. Quatre spécimens de cette bestiole du Crétacé ont été découverts dans des morceaux d’ambre birman et le moins que l’on puisse dire est qu’ils avaient un faciès surprenant.

La surprise ne provient pas vraiment de ces mandibules surdimensionnées, qui évoquent de loin des défenses d’éléphant. Plusieurs espèces de fourmis carnivores, passées ou actuelles et surnommées en anglais « trap-jaws ants » (que l’on pourrait traduire par fourmis aux mâchoires-pièges), possèdent de grandes mandibules qui leur servent à chasser : capables de s’écarter à 180°, ces appendices se referment d’un coup sec sur les proies, dans un mouvement de cisailles. Chez C. ellebergeri, les mandibules ne s’actionnaient pas sur un plan horizontal : elles se relevaient vers le haut, vers l’espèce de corne-spatule qui se dresse au sommet de la tête.

Sur ces trois photos de C. ellenbergeri, les flèches blanches indiquent la corne et les flèches noires les mandibules. A gauche, une vue générale de l’animal. Au milieu une vue de profil. A droite une vue de dessous. © Perrichot et al./Current Biology.

Pour les auteurs de l’étude, cette corne, inconnue chez les quelque 14 000 espèces recensées de fourmis éteintes ou actuelles , constituait très probablement un instrument de chasse redoutable. Comme me l’a expliqué par courriel Vincent Perrichot, actuellement en mission en Chine, cette « corne est recouverte de longues soies sur toute sa surface antérieure, auxquelles s’ajoute une brosse de courtes épines sur la partie terminale spatulée. Chez les insectes, de telles soies ou épines ont toujours une fonction sensitive ; on en a alors déduit que ce système sensitif devait permettre d’évaluer précisément la taille et la position de l’objet saisi entre les mandibules et la corne, voire de le stabiliser par friction avec les épines. »

« L’idée, poursuit-il, que ces structures étaient utilisées à des fins de prédation, plutôt que pour manipuler des brindilles ou bien les ufs et les larves de la colonie, vient de la présence additionnelle de deux paires de très longues soies projetées en avant des mandibules, en tout point semblables à celles que l’on observe chez les fourmis trap-jaws actuelles qui chassent en solitaire. Chez celles-ci, c’est le contact d’une proie avec ces longues soies qui actionne le mécanisme de fermeture très rapide des mandibules. Il n’y a pas d’autre explication à leur présence chez Ceratomyrmex ellenbergeri. » Etant donné l’espace relativement grand existant entre les mandibules et la corne, cette fourmi ne pouvait attraper que de grosses proies car les petites se seraient échappées. Vincent Perrichot imagine que l’insecte attaquait « des myriapodes, des arachnides, des blattes et pourquoi pas d’autres fourmis’ enfin toutes sortes d’arthropodes rampants de taille au moins égale à cette de cette fourmi. »

Un arsenal spécialisé

Les auteurs de l’étude ne cachent pas leur surprise d’avoir trouvé un arsenal aussi spécialisé chez une espèce aussi ancienne. Car, en plus d’avoir un physique hors normes, C. ellenbergeri fait partie des plus vieilles espèces connues de fourmis, qui proviennent soit de cet ambre birman, soit d’un ambre charentais. Même si on estime que cette famille d’insectes sociaux est apparue il y a 120 à 130 millions d’années, aucun fossile de plus de 100 millions d’années n’a pour le moment été retrouvé et il est difficile de se faire une idée sur l’écologie des premières lignées de fourmis.

« Avec ses adaptations extrêmes qui trouvent en partie leur pendant chez des fourmis actuelles, la fourmi-licorne permet donc d’en savoir un peu plus sur le comportement de ces premières lignées, souligne Vincent Perrichot. Et il est surprenant de constater un comportement aussi spécialisé, généralement observé chez des lignées plus dérivées. Pour la première fois, cela va dans le sens du modèle ancestral proposé par la biologie moléculaire de petites colonies de prédatrices spécialisées, chassant en solitaire. » Pour le paléontologue français, cette découverte suggère que la diversification des fourmis s’est faite très vite et très tôt’ ou bien que l’origine de ces insectes est plus ancienne que ce que l’on croit.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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