Un ex-médecin de l’hôpital d’Arras condamné pour agressions sexuelles et harcèlement

Un ex-médecin de l'hôpital d'Arras condamné pour agressions sexuelles et harcèlement

Elles n’ont pas trouvé la force de venir à l’audience du tribunal correctionnel d’Arras jeudi. Une épreuve trop difficile à supporter pour ces deux femmes d’une cinquantaine d’années, détruites psychologiquement par un homme qui «
de toute manière aura toujours raison
», a confié l’une d’elles à son avocat, Didier Robiquet.

Les faits qui occupaient le tribunal jeudi se sont produits entre octobre 2014 et juillet 2015, alors que le médecin du travail de l’hôpital d’Arras, ancien colonel réserviste dans l’armée, était pourtant sous le coup d’une mise en examen pour des agressions sexuelles commises sur quatre élèves gendarmes. Des faits dont il a d’ailleurs été reconnu coupable le 24 février dernier. Il avait alors écopé de trente mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve. Son casier portait alors déjà la trace d’une condamnation pour non-assistance à personne en danger.

À l’hôpital d’Arras, où il a été recruté à l’été 2014 en tant que médecin du travail après des missions ponctuelles la nuit au SAMU, l’homme s’en est pris à deux femmes dont il était le supérieur hiérarchique. Si les deux ont souffert du harcèlement d’un médecin tantôt menaçant, colérique et autoritaire, tantôt cajoleur et dragueur, l’une d’elles a subi des agressions sexuelles particulièrement graves. On parle ici de caresses sur la poitrine, entre les cuisses, de tentatives de baisers. Un jour, il s’est même frotté à elle alors qu’il était en érection, quand il ne la plaquait pas au mur pour lui tenir des propos obscènes. Les gifles ne le calmaient pas. Il leur faisait à toutes deux des propositions indécentes, comme partir en formation ensemble pour y faire l’amour.

Dans un petit cahier qu’elle tenait, cette femme a tout noté, jour après jour, sur les conseils d’une psychologue. Durant l’enquête, elle a évoqué le «
comportement bestial
» et «
l’abus de pouvoir
» de son chef.

« Une vengeance de clans ! »

Face aux juges jeudi, le docteur Paul Nkwete a de nouveau nié les faits, comme lors de l’enquête. Il a certes reconnu avoir déjà posé sa main sur le dos ou la nuque des deux femmes, parce que c’est son tempérament d’être «
tactile
». Mais s’est défendu du reste des accusations, allant même jusqu’à inverser les rôles en affirmant avoir été harcelé sexuellement par l’une des deux parties civiles. «
Je n’ai jamais commis d’actes sexuels sur ces dames, clame-t-il. C’est une vengeance de clans !
»

«
Vous êtes le seul à décrire une telle attitude de la part de cette femme, décrite comme sérieuse et sans histoire depuis trente ans qu’elle travaille à l’hôpital, relève la présidente d’audience. Pourquoi une femme d’une cinquantaine d’années, mariée, qui n’a jamais eu le moindre problème, se mettrait à mentir
» L’homme se réfugie derrière la théorie du complot. Les expertises psychiatriques sont pourtant formelles. L’état d’anxiété de cette femme coïncide en tout point avec un harcèlement sexuel subi.

Pour autant, il n’y a jamais eu de témoin, seulement des bruits et des éclats de voix dans le bureau du docteur, entendus par des personnels. Son passé judiciaire ne plaide cependant pas pour lui. Outre la condamnation de février, d’autres collègues ont souligné durant l’enquête le comportement très étrange de M. Nkwete. Plusieurs femmes évoquent leur crainte d’être avec lui, la peur de cet homme «
très tactile
» avec les femmes, à la «
personnalité écrasante
» et au «
regard lourd et appuyé, malsain, qui déshabille
». Les témoignages recueillis par la police «
Un complot. Elles se connaissent, font partie du même clan
», affirme le prévenu. «
Les femmes complotent contre vous à longueur de temps, conclut la présidente d’audience, ironique. Elles mentent toutes, c’est incroyable.
»

Pervers narcissique

L’avocat des deux agents victimes, Didier Robiquet, souligne, lui, les dégâts et le désastre que les faits ont entraîné chez ses clientes. «
J’ai vu une femme dévastée, détruite à un niveau rarement vu, assure-t-il, évoquant des appels désespérés à son cabinet laissant craindre le pire. Il fait de ma cliente une espèce de Messaline qui, à 50 ans passés, se découvrirait des envies sexuelles irrépressibles envers son chef de service. Elle est aujourd’hui dans l’incapacité de reprendre le travail, elle a honte.
»

Dans ses réquisitions, la vice-procureure Bozzolo a, elle, déploré les explications «
ridicules
» du prévenu, qui n’a «
aucune preuve de ce qu’il dit parce que c’est du vent
». «
C’est un pervers narcissique, a dit l’expert psychiatre de l’hôpital
», poursuit la vice-procureure, qui souligne la précision des témoignages et leur variété, brossant tous le même portrait du prévenu. Elle regrette qu’il soit «
impossible de faire déposer un militaire dans un commissariat sur la carrière de harceleur sexuel de M. Nkwete
».

L’hôpital mis en cause par le parquet

Elle en profite alors pour se lancer dans un réquisitoire contre’ l’hôpital d’Arras, coupable d’avoir fermé les yeux sur ce qui se passait, d’avoir tardé à alerter la justice et d’avoir traîné des pieds pour aider les enquêteurs de la police. «
L’administration a mis cinq mois à signaler l’affaire, à la veille de la démission du médecin, tonne-t-elle. La direction de l’hôpital, qui a reçu cette femme, n’a rien fait si ce n’est dire qu’elle n’avait pas de preuves. En juin, elle fait un courrier à la direction sur ce qu’elle subit. Au lieu de transmettre à l’autorité judiciaire, comme l’impose la loi, il y a une enquête interne. Et le 17 août 2015, en période morte, on transmet finalement le signalement par courrier qui me sera remis en septembre.
»

Très offensive, à l’instar de l’avocat des victimes pour qui l’hôpital a fauté dans son recrutement et dans la gestion de l’affaire, la vice-procureure a ensuite évoqué les difficultés des enquêteurs pour travailler sur cette affaire. «
L’ancienne directrice, madame Saillard, s’est enfin soumise à ses obligations légales après avoir été questionnée à ce sujet lors de son pot de départ, se désole le parquet. Ensuite, l’hôpital a refusé de transmettre des pièces, de livrer les coordonnées des personnes aux enquêteurs. Il a fallu que je décroche mon téléphone pour appeler M. Fauquembergue, directeur adjoint de l’hôpital, et que je menace de venir faire une perquisition pour avoir enfin les coordonnées.
»

Pour Élise Bozzolo, le «
CHA aurait préféré que ce procès public n’existe pas, peu importe la détresse des victimes. S’il y a eu pressions dans cette affaire, ce n’est pas sur M. Nkwete, mais sur les deux victimes
». Ce qu’avaient déjà relevé les syndicats de l’hôpital d’Arras, interrogés après la révélation de l’affaire.

Interdiction d’exercer la profession de médecin

«
J’ai le sentiment qu’il a déjà été condamné pour les faits arrageois, plaide quant à lui Me Cobert, l’avocat du médecin. Jamais il n’aurait été autant condamné à Lille si on n’avait pas su par la presse qu’il était en garde à vue à Arras la veille d’être jugé à Lille.
» L’avocat affirme alors que les témoins n’ont été «
témoins de rien. Tout le reste, à part l’engueulade dans le bureau, c’est elle m’a dit que’ ». Les mots orduriers de son client «
Ce n’est pas son vocabulaire.
» La violence «
Cela n’est jamais ressorti à son sujet.
» Il rappelle que la principale victime était en conflit avec son client car «
on ne lui donnait pas les missions qui auraient dû être les siennes
». Dans cette affaire, M. Nkwete serait victime d’un «
passé qui devient la réalité du présent
».

Paul Nkwete a finalement été condamné à quinze mois de prison ferme sans aménagement possible, avec inscription au fichier des délinquants sexuels. Les faits de harcèlement sexuel sur l’une des victimes ont été requalifiés en harcèlement moral. Le tribunal a prononcé une interdiction définitive d’exercer la profession de médecin. Il devra indemniser les deux agents à hauteur de 3 500 et 1 300 .

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