Un Euro 2016 pour panser les plaies

Un Euro 2016 pour panser les plaies

Le Monde
| 10.06.2016 à 06h37
Mis à jour le
10.06.2016 à 09h23
|

Par Rémi Dupré

Patrice Evra n’est pas près d’oublier cette maudite 17e minute de jeu. Le 13 novembre 2015, l’arrière gauche des Bleus est en train d’effectuer une banale passe en retrait avant de marquer un temps d’arrêt : une déflagration fait trembler les travées du Stade de France.

Ce soir-là, à Saint-Denis, l’équipe de France s’apprête à battre (2-0) les champions du monde allemands. Mais le résultat de cette rencontre amicale est largement éclipsé par les attaques terroristes qui sèment l’horreur au pied de l’enceinte. Au total, trois kamikazes actionnent leur gilet explosif aux alentours du stade tandis qu’une série d’attentats ensanglantent Paris.

Sept mois après, la France accueille la 15e édition de l’Euro dans un contexte ultra-sécuritaire. Avec l’imposant dispositif mis en place par l’Etat et les municipalités dans les stades et les fan-zones, le coup d’envoi du match d’ouverture France-Roumanie est donné, vendredi 10 juin à Saint-Denis, dans une atmosphère anxiogène.

« En mettant le doigt sur ce qui ne va pas, il faut faire attention à ne pas créer un ­phénomène de psychose, insistait pourtant, quelques jours après les attentats de Paris, Jacques Lambert, président d’Euro 2016 SAS, la société organisatrice du ­tournoi. Les cibles terroristes ne sont pas toujours des lieux choisis en fonction d’une logique imparable. »

Dépasser les peurs

L’un des grands absents des Bleus, le milieu de terrain Lassana Diarra, en est persuadé : l’Euro est l’occasion de dépasser ces peurs pour donner au pays l’occasion de se retrouver. C’est ce qu’il déclarait au Monde avant l’annonce de son forfait, le 30 mai, en raison d’une blessure au genou.

« La France, la Belgique ont été frappées cette année par des événements très graves. Des familles ont été touchées. On a besoin en Europe de quelque chose pour nous unir. Un Euro réussi ne va pas nous faire oublier ce qu’il s’est passé, car on ne va jamais l’oublier, mais ce sera déjà une étape pour être un peu plus solidaires, confiait le joueur de l’Olympique de Marseille, dont la cousine figure parmi les 130 victimes des attaques du 13 novembre 2015.

Les ­religions, tout ça, à un moment il faut arrêter ça’ Il faut se respecter les uns et les autres, savoir vivre ensemble, ajoute Lassana Diarra. On ne peut faire abstraction de la menace sur l’Euro qui est réelle, même s’il sera très sécurisé. Mais il faut qu’il y ait une communion entre les Bleus et le pays. »

Et la tâche s’annonce ardue. A côté de la menace terroriste, les crispations et les clivages ne manquent pas avant l’ouverture d’un tournoi qui, selon le président de la République, François Hollande, doit « rassembler les Français ».

Des menaces de grèves dans les transports durant la compétition planent vendredi 10 juin, les conducteurs des lignes RER B et D ­desservant le Stade de France devaient massivement débrayer et le mouvement social autour de la loi travail perdure avec au moins une journée nationale de mobilisation prévue durant la compétition, le 14 juin.

« C’est un événement exceptionnel qui ne se reproduira pas en France avant une génération, assure Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football (FFF). On ne peut pas imaginer, dans la période actuelle, réunir autant de personnes différentes sur les plans politique, social, autrement qu’autour du ballon. On a une responsabilité importante. »

Dans ce contexte tendu, devant ses supporteurs, l’équipe de France sera d’autant plus l’objet de fantasmes et de récupérations politiques. Elle qui enfin sortie du cycle infernal (2006-2013) dans lequel elle s’enfonçait cristallise depuis des années, à son corps défendant, les tensions identitaires et les débats autour du communautarisme.

En atteste la polémique suscitée par la sortie médiatique du banni Karim Benzema, accusant le sélectionneur, Didier Deschamps, d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le retenant pas pour l’Euro.

Préparation cauchemardesque

Sommé par Noël Le Graët d’atteindre au minimum le dernier carré du tournoi, le patron des Bleus n’a pas été épargné : suspension (levée depuis) du défenseur de Liverpool, Mamadou Sakho, après un contrôle positif, forfaits de dernière minute du Madrilène Raphaël Varane et de Lassana Diarra, pour ne citer qu’eux.

S’il a vécu une préparation cauchemardesque, Didier Deschamps se veut le dernier homme fort d’un football français miné par la mise en examen de Karim Benzema dans l’affaire dite du chantage à la « sextape » et par la chute du président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Michel Platini, dont la suspension de quatre ans a été confirmée, début mai, par le Tribunal arbitral du sport.

Admiré pour sa culture de la gagne et son palmarès, Didier Deschamps peut-il mener la génération Paul Pogba-Antoine Griezmann jusqu’au titre européen ‘ Le milieu de terrain de la Juventus de Turin et l’attaquant de l’Atletico Madrid sont des joueurs clés de la sélection tricolore. S’il y parvenait, le capitaine des champions du monde 1998 deviendrait le premier sélectionneur à décrocher le trophée Henri-Delaunay après l’avoir soulevé, en 2000, comme joueur.

Revivre un certain 12 juillet 1998

Surtout, les amateurs de football rêvent de revivre les scènes de liesse qui avaient suivi le sacre de la bande à « DD » et Zidane, le 12 juillet 1998, après son succès (et 1 et 2 et 3-0) contre le Brésil en finale de « son » Mondial. Un moment de rare communion nationale, d’où avait jailli le fameux mythe d’une équipe de France « black-blanc-beur », construction médiatique et politique qui est depuis source de nombreux malentendus et dérapages.

« Il faut qu’il y ait une belle fête et un bel événement. J’ai envie de dire aux gens profitez-en’ », sourit Florence Hardouin, la directrice générale de la FFF, qui s’attend à « 15 % de licenciés en plus à la rentrée » de septembre par rapport aux 2,1 millions ­actuels. « Il faut aussi qu’on laisse un héritage à tout le foot français et plus spécifiquement au foot amateur. Ce qui n’avait pas été le cas en 1998, ajoute Mme Hardouin. Il faut surtout que cette équipe de France 2016 marque les Français et rentre dans les annales. Comme elle l’avait fait lors de sa victoire à l’Euro 84 à ­domicile, en 98 et à l’Euro 2000. »

A défaut de pouvoir panser toutes les plaies du pays, les Bleus, auxquels l’on prête bien souvent trop de pouvoir, essaieront en tout cas de contribuer à alléger provisoirement l’air ambiant. Car, comme le rappelle Lassana Diarra, « ce n’est que du football ».

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