Secret des affaires , Nicole Ferroni revient sur son coup de gueule viral
Le Monde
| 21.04.2016 à 07h48
Mis à jour le
21.04.2016 à 10h06
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Par Sandrine Blanchard
D’habitude, sur sa page Facebook, Nicole Ferroni poste des souvenirs, en images ou en coupures de presse, de la tournée de son one-woman-show ainsi que ses chroniques du mercredi dans la matinale de France Inter. Ces billets d’humeur récoltent, en moyenne, 700 partages. Jeudi 14 avril, il a suffi qu’elle mette en ligne une vidéo de 2 min 30 s dénonçant la directive européenne consacrée au secret des affaires pour que le compteur s’affole.
En quelques jours, elle a cumulé plus de 12 millions de vues. Un phénomène pour un sujet on ne peut plus austère. Un score de « youtubeuse politique », s’amuse-t-elle. « C’est la première fois que je faisais ce type de vidéo », explique l’humoriste, qui pensait juste faire marrer sa famille et ses amis et non déclencher une telle viralité.
Tout est parti d’un mail que lui a envoyé une amie mercredi 13 avril. « Elle a trois enfants, un boulot très prenant et rarement le temps de me transférer des infos sur ce type d’actualité. Parce que c’était elle et que j’étais tranquille ce jour-là, je l’ai lu et cela m’a donné envie de regarder le débat du Parlement européen sur Internet. » En écoutant les eurodéputées Constance Le Grip et Virginie Rosière défendre la directive, elle est frappée par la référence aux PME qu’elles utilisent à plusieurs reprises. « C’est cela qui m’a le plus choqué parce que c’était hypocrite et démagogique. J’ai pas mal de proches qui sont des petits entrepreneurs et leur souci principal, ce n’est pas le secret des affaires », constate-t-elle. « Fan » d’Elise Lucet, la jeune femme avait déjà suivi la pétition lancée par la journaliste sur les dangers de cette directive européenne.
« Je pointe du doigt »
Nicole Ferroni se met alors à écrire une lettre humoristique et ironique à Constance Le Grip. Elle pensait la garder pour sa prochaine chronique sur France Inter mais elle ne connaissait pas encore le nom de l’invité de la matinale et les eurodéputés devaient voter le lendemain, 14 avril. Alors ce matin-là, dans le jardin de la maison de son ami à Montpellier, elle s’installe devant son ordinateur et se filme. Trois essais, le dernier sera le bon.
A l’image, cette ancienne enseignante agrégée en sciences et vie de la terre (SVT) apparaît comme dans ses chroniques radiophoniques : énergique, spontanée, les bras et le visage en mouvement permanent. Juste après les révélations des « Panama papers » (enquête journalistique sur l’évasion fiscale à laquelle Le Monde a participé), la sincérité de sa colère devient contagieuse. Sa vidéo toute simple mais très pédagogique, que Jean-Luc Mélenchon s’est empressé de partager, n’a rien changé à l’affaire : les eurodéputés ont finalement adopté la directive. Mais des millions de personnes auront été sensibilisées au sujet.
« Mon boulot de chroniqueuse ne permet pas de changer les choses, mais de dire aux politiques qu’on n’est pas dupe, qu’on sait, qu’on les voit, considère Nicole Ferroni. Je suis un peu une alerteuse, je pointe du doigt. » Deux jours plus tard, comme elle l’avait promis dans sa vidéo, elle a posté un tableau donnant la répartition des votes des parlementaires de Strasbourg, parti par parti. « Il a été partagé 45 000 fois, cela m’a fait plaisir que les gens ne s’intéressent pas seulement à une chronique où je faisais la bouffonne. »
Rien ne prédestinait cette fille d’enseignants (père professeur de chimie, mère professeure d’allemand) à plonger dans la politique pour alimenter ses billets d’humeur. « Mon inculture politique est devenue ma force malgré moi, résume-t-elle. Je suis comme le citoyen lambda, scandalisée par les injustices, les inégalités et par tout cet argent qui part dans l’évasion fiscale. » Alors, ces trois minutes de temps de parole qui lui sont offertes chaque mercredi sur France Inter, cette provinciale s’en sert comme « haut-parleur », comme « ascenseur » des interrogations de la France d’en bas.
Le sens de la pédagogie
De son ancien métier, elle a gardé le sens de la pédagogie et le raisonnement scientifique : « Observation, problème, hypothèse, expérience, résultat, interprétation, conclusion, je suis ce cheminement pour tenter de conserver un regard neutre », énumère-t-elle. Mais l’humoriste a parfois du mal à ne pas faire apparaître sa sensibilité de gauche.
Il y a cinq ans à peine, Nicole Ferroni était encore prof de lycée après avoir enseigné dans « l’un des pires collèges » des quartiers nord de Marseille et pratiquait le théâtre en amateur. En septembre 2011, désespérée par l’éducation nationale, elle craque et envoie sa lettre de rupture avec l’institution. « Cette année, je ne manifeste pas, je démissionne », écrit-t-elle. « Je dois beaucoup à Sarkozy ! S’il n’avait pas supprimé des postes, dont le mien, je n’aurais peut-être pas imaginé une telle reconversion. Ce fut l’épisode de trop, je l’ai pris comme un signe du destin et je me suis dit : Va-t’en’. »
Puis tout s’est enchaîné. Elle a écrit un one-woman-show « L »uf, la poule, ou Nicole ‘ », mis en scène par son professeur de théâtre, Gilles Azzopardi ; a participé avec succès à l’émission « On ne demande qu’à en rire » de Laurent Ruquier et, grâce à sa lettre de démission, elle a été contactée par France Inter. « J’avais envoyé une copie de ma lettre au courrier des lecteurs du Monde et cela m’a valu un portrait dans M le magazine. J’ai alors été invitée à la radio et on m’a proposé d’être chroniqueuse. » D’abord dans On va tous y passer de Frédéric Lopez, puis dans Si tu écoutes, j’annule tout de Charline Vanhoenacker et enfin dans la matinale de Patrick Cohen.
Nicole Ferroni a changé de vie mais pas de mode de vie. Elle est restée vivre à Aubagne ce qui lui permet de prendre une « température » différente des sujets qui agitent la capitale , a gardé tous ses amis enseignants, artisans, flics, etc., et n’a pas pris de producteur pour son spectacle pour rester à distance « du côté business du milieu humoristique ».
Les 12 millions de vues lui confèrent, estime-t-elle, « une responsabilité supplémentaire », une obligation à « bien bosser mes sujets ». Elle s’en veut, par exemple, d’avoir dit « loi » et non « directive » dans son texte. Le prochain thème qu’elle aimerait traiter en vidéo ‘ « Les xièmes discussions entre la Grèce et ses créanciers qui demandent de nouvelles économies. »