Revenu universel de base , décryptage d’un projet qui incite à repenser notre société

Revenu universel de base , décryptage d'un projet qui incite à repenser notre société

En quoi ça consiste

Qu’on parle de revenu de base, d’existence ou universel, l’idée reste la même : «
Une somme versée à toute personne présente sur le territoire, avec des nuances pour les enfants, de manière inconditionnelle et d’un montant identique à chacun
», définit l’économiste et fondateur de la revue Alternatives économiques, Denis Clerc.

Pourquoi on en parle

Le dispositif peut paraître saugrenu. Pourtant, le revenu universel fait son chemin. Il a commencé à être testé sous différentes modalités à Utrecht, aux Pays-Bas, sera mis en place en Finlande dès 2017 et les Suisses doivent se prononcer en juin sur une « initiative populaire fédérale pour un revenu de base inconditionnel ».

En France, c’est le Conseil national du numérique (CNNum) qui l’a recommandé parmi ses « 20 propositions pour l’emploi et le travail à l’heure du numérique », remises en janvier dernier à la ministre du Travail, Myriam El Khomri. « S’il est impossible de prédire l’avenir de l’emploi face à l’automatisation, les acteurs publics doivent anticiper l’éventualité d’un chômage structurel persistant et d’une montée des inégalités du fait de l’automatisation. Aussi devons-nous examiner une nouvelle manière de penser la relation entre le travail et la distribution des richesses. Le CNNum a donc choisi d’aborder les enjeux relatifs au revenu de base, en proposant des expérimentations et études de faisabilité », détaille-t-il.

La question a également été soulevée la semaine dernière lors de la remise du rapport du député Christophe Sirugue, intitulé «
Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune », évoquant l’ouverture du RSA aux 18-25 ans.

Utopie de joyeux hippies

Les promoteurs du revenu universel se plaisent à rappeler qu’il n’est ni de droite, ni de gauche. Effectivement, l’ancienne ministre de François Hollande, Delphine Batho ou Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État sous Nicolas Sarkozy, ont récemment déposé des amendements en sa faveur. Eva Joly, José Bové, Arnaud Montebourg, Dominique de Villepin ont également déjà défendu l’idée.Car le concept réunit à la fois théorie néo-libérale et penseurs de gauche. Mais, une fois posée la question de son application concrète, les clivages reviennent aussi vite qu’on avait cru les voir disparaître.

Selon la couleur politique de ses partisans, le revenu de base permettrait d’éradiquer la grande pauvreté, de simplifier notre système de protection sociale, de fluidifier le marché du travail, de redonner des marges de choix aux travailleurs et d’éviter les « trappes à inactivités » quand la reprise d’un emploi s’avère désavantageuse car elle entraîne la perte d’aides sociales…

Sous quelle forme

«
Les néo-libéraux formulent la proposition d’une somme d’un très faible montant versée à chacun, qui permet aux individus de compléter leurs revenus du travail sur un marché du travail dérégulé, explique Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi et membre du collectif des Économistes atterrés. Dans une vision de gauche, le revenu d’existence serait d’un montant élevé. L’idée consiste à laisser aux personnes la possibilité de refuser les mauvais emplois. » Et de se consacrer à des activités non marchandes, comme prendre soin de leurs proches, s’engager bénévolement, ou accepter des jobs peu rémunérateurs mais qui leur tiennent à c’ur.

«
Le revenu de base a des aspects attractifs, mais
il y aura forcément des gagnants et des perdants, résume Denis Clerc. S’il est très bas, autour de 100 euros par personne et par mois, les individus en situation de grande pauvreté vont souffrir. S’il est moyennement élevé, autour de 450 euros, et que les enfants en bénéficient, il avantage les familles monoparentales et les gens en haut de l’échelle sociale. S’il est élevé, à 800 euros mensuels, il nécessitera une suppression totale des protections sociales. Les perdants seront les plus fragiles, qui n’auront pas les moyens de s’offrir une assurance chômage, retraite ou maladie. »

Demain, tous oisifs

Il semblerait que le revenu universel n’ait pas incité à la paresse dans les endroits où il a été expérimenté.

Interrogé par le journal suisse Le Temps, Philippe Van Parijs, professeur à la faculté des sciences économiques, sociales et politiques de l’université de Louvain et co-auteur en 2005 de L’allocation universelle (avec Yannick Vanderborght) explique que «
le revenu de base permet aussi de se lancer plus facilement dans une activité aux revenus incertains. Le revenu universel émancipe, permettant de dire non à certaines activités, mais surtout de dire oui à d’autres. Il favorise l’audace des entrepreneurs. Quant aux personnes au chômage actuellement, elles sont menacées par l’effet de trappe : si elles acceptent un emploi, même peu rémunéré, elles perdent leur allocation. Introduire un revenu de base sans condition apporte une réponse à ce problème
».

Comment on finance

Pour beaucoup, il s’agirait de rassembler l’ensemble des allocations existantes sous ce seul dispositif. Là encore, la question du financement recoupe celle des chapelles idéologiques. Chez les libéraux, il serait financé par l’impôt sur le revenu. Les Français seraient imposés à un taux identique à partir du premier euro de revenus. D’autres suggèrent de diminuer la première tranche d’imposition afin de soulager les plus fragiles.

Les défenseurs de gauche du revenu d’existence envisagent plusieurs pistes : la TVA, la taxe Tobin, une taxation du capital, une redevance carbone, une taxe sur les transactions financières, l’imposition des multinationales, l’augmentation de l’impôt sur le revenu et les taxes sur le patrimoine, entre autres.

D’après Denis Clerc, «
une allocation universelle de 100 euros par personne chaque mois coûterait 80 milliards d’euros, soit 4 % du PIB. Ce n’est pas rien, surtout pour verser si peu. Si on imagine un revenu à 800 euros par personne, ça reviendrait à 640 milliards d’euros. Il faudrait alors supprimer toutes les protections sociales et les gens seraient obligés de s’assurer eux-mêmes contre la vieillesse ou la maladie. Et augmenter les prélèvements obligatoires ferait hurler tous les Français. »

« S’il s’agissait de donner autant aux milliardaires qu’aux mères isolées précaires, quel serait le montant versé à chacun(e) »

Membre des Économistes atterrés et chercheuse au Centre d’études de l’emploi, Anne Eydoux s’interroge sur les arguments pour un revenu universel.

D’où vient l’idée d’un revenu universel

« Les propositions partent d’un diagnostic qui me semble erroné : la fin du salariat, voire la fin du travail, remplacé par l’ordinateur. Pourtant, le salariat représente le gros de l’emploi et les CDI restent majoritaires malgré la montée de la précarité. Surtout, le travail humain reste essentiel pour répondre aux besoins sociaux (éducation, santé, dépendance, etc.) et assurer la transition écologique. Enfin, si le travail peut être aliénant, l’emploi est considéré comme essentiel au bonheur, en particulier par ceux qui en sont privés. »

Quels effets peut produire la mise en place d’un revenu universel

« Tout dépend des modalités. Les réformes actuelles sont financées par des mesures d’économie. Prenons le rapport Sirugue : il propose d’étendre le RSA aux jeunes, trop souvent exclus des garanties de revenus, mais il évoque une fusion des minima sociaux avec un socle minimum à 400 . Ce n’est même pas un revenu pour tous et c’est moins que le RSA pour une personne seule ! L’austérité pèse lourd. S’il s’agissait de donner autant aux milliardaires qu’aux mères isolées précaires, quel serait le montant versé à chacun(e) »

Que voyez-vous à la place

« D’abord, l’austérité imposée à toute l’Union européenne nous piège dans la stagnation économique et la régression sociale. Il est indispensable d’en sortir pour répondre aux défis sociaux et environnementaux. Revaloriser et réduire la conditionnalité des minima sociaux et indemnités de chômage est une nécessité. Mais ça ne fait pas un projet de société. Il est urgent de s’attaquer aux inégalités de répartition des richesses (salaires, patrimoines), et de créer les emplois dont la société a besoin tout en réduisant le temps de travail. »

Des expériences à travers le monde

C’était une promesse électorale du Premier ministre de centre droit, Juha Sipilä : la Finlande devrait devenir le premier pays européen à verser un revenu universel à l’ensemble de ses citoyens. En novembre, un groupe de travail doit rendre ses conclusions quant aux modalités de sa mise en uvre, prévue dès 2017 dans un pays où 10 % de la population active est sans emploi. Un groupe de citoyens perçoit déjà 550 euros mensuels et l’objectif à terme consiste à remplacer l’ensemble des prestations sociales par une revenu de base de 800 euros par mois pour tous.

À Utrecht, aux Pays-Bas, un groupe de bénéficiaires des minima sociaux ou des allocations chômage devrait percevoir un revenu inconditionnel d’environ 900 euros mensuels pour une personne seule et 1 300 pour un foyer.

Depuis 1982, tous les résidents de plus de cinq ans en Alaska perçoivent un revenu annuel qui varie selon les années. Versé à tous, sans condition, il provient de la rente pétrolière et minière du territoire. Il s’élevait à 1884 dollars en 2014, soit 140 euros mensuels. Quand, en France, le RSA pour une personne seule tourne autour de 500 euros.

À Dauphin, au Canada, les familles aux revenus trop bas ont bénéficié d’une allocation fixe entre 1974 et 1979. Si le test s’est arrêté faute de moyens, les chercheurs concluent à une baisse des hospitalisations et un allongement des études et formations.

En Namibie, les habitants du village Otjivero ont touché cent dollars namibiens par mois de 2008 à 2009 (soit environ 10 euros à l’époque, quand le revenu mensuel moyen tournait autour de 260 euros), puis 80 dollars namibiens jusqu’en 2013. Là encore, faute de moyens, l’expérience ne s’est pas poursuivie, mais elle a permis de constater une baisse de la malnutrition des enfants, l’amélioration de la fréquentation des écoles, le recul du taux de criminalité et le développement d’activités économiques. Le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 76 à 37 %.

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