Reconnaître (et consommer) du X  éthique  ‘

Reconnaître (et consommer) du X  éthique  '

Notre chroniqueuse Maïa Mazaurette conseille d’appliquer à la pornographie le même bon sens qu’à notre consommation (idéale) de nourriture : variée, bio et qui ne vous rendra pas malade.

Alors que Canal+ s’apprête à diffuser, dans trois jours, le dernier documentaire d’Ovidie (Pornocratie, à voir absolument), la question pornographique ne cesse de tirailler nos consciences (en plus de tirailler les poignets des adeptes). Le hard est-il intrinsèquement mauvais ‘ S’agit-il de traite humaine ‘ Si Pornocratie révèle que l’extrême majorité de la production s’opère dans des conditions lamentables, reste la minorité l’autre pornographie. Mais comment y accéder ‘

Le plus souvent, vous aurez payé pour en voir. Soit en versant votre dîme Paypal, soit en achetant votre ticket pour la rétrospective « Bondage des années 1930 en Hongrie » de la Cinémathèque. Sortir sa carte bleue devrait être le premier réflexe : avoir au moins espoir que les personnes se mettant en quatre pour votre plaisir soient rémunérées. Quid du petit gonzo, fait à la maison ‘ Ne soyons pas naïfs : même une qualité d’image pas formidable demande de la production. Et de la gratitude. Payez.

Si vous avez peur de donner vos données personnelles et bancaires (les tubes étant régulièrement hackés), rappelons que, comme par hasard, ce sont les bulldozers du marché qui sont les principales cibles informatiques. Raison de plus pour privilégier le petit artisanat. Quant au concept de gratuité, il est formidable’ sauf quand les contenus sont piratés. Ce qui est le cas. Si vous voulez du contenu gratuit qui n’appauvrit personne, allez en bibliothèque et lisez de la littérature érotique. (Demandez aux bibliothécaires, qui seront ravis de vous orienter.)

Equivalent fantasmatique de la nouille instantanée

Alors comment trouver le bon contenu ‘ En scrollant vers le bas. Parce que les algorithmes Google font remonter en premier le porno gratuit priorité au plus populaire il va falloir cliquer’ trois fois ‘ Quatre ‘ Vous devriez survivre. Une bonne manière de trouver du contenu responsable est de chercher du porno féministe, comme les productions d’Erika Lust. Non, féministe ne veut pas dire « avec des pâquerettes », ni « avec des hommes à genoux » (enfin, sauf s’ils ont envie). Mais effectivement, vous pourriez bien tomber sur des situations qui changent un peu des scripts habituels.

Car en plus de truander des inconnus qui vous veulent du bien, consommer du désir de masse est l’équivalent fantasmatique de la nouille instantanée. Vous réduisez votre champ de plaisir aux items les plus populaires, aux hashtags qui plaisent à tout le monde, sans titillation, sans frisson. Vous finissez par vous uniformiser. C’est de l’auto-sabotage, car les jouissances mécaniques obtenues par des stimuli toujours identiques vous conditionnent. Internet ne manque pas de témoignages d’hommes en pleine force de l’âge qui ne ressentent rien devant leurs vrais partenaires. Non que la pornographie grand public rende impuissant ni la masturbation, sourd , mais elle peut insensibiliser. Parfois.

Revenons donc à notre éthique. Tout le monde a ses préférences, certes, mais quand vous tapez #slut ou #beurette, est-ce vraiment casher ‘ Jusqu’à récemment, le fantasme avait tendance à compartimenter des contextes, des tenues, des pratiques. Quand ce sont des personnes qu’on catégorise, il faudrait au moins se demander pourquoi et comment.

Se poser la question du sexe brutal

Qu’est-ce qui fascine dans l’interracial ‘ Dans le viol simulé ‘ Dans le viol non simulé ‘ Dans le fait qu’une agression ou un étranglement soient glamourisés, que les partenaires semblent parfois malades, morts, anorexiques ‘ Sans juger ces productions (on peut complètement en justifier l’existence), ni envoyer le moindre pixel en autodafé, on ne peut pas prétendre consommer éthique sans se poser la question du sexe brutal, de l’abus, des relations de pouvoir, de la pression financière, ou d’une imagerie qui souvent prive les hommes de leur visage et les femmes de leur intégrité voire de leur sécurité. Sachant que cette érotique déborde hors-pornographie : dans le polar, au cinéma, dans la mode, etc.

Du côté des fantasmes borderline, choisissez les films qui présentent une phase de négociation, ou passez sur des plates-formes comme Kink.com, où on prend le consentement au sérieux. Il est possible de consommer du hardcore éthique (personne ne vous demande de vous exciter sur des Kinder-surprise). Boycottez non seulement les gros tubes, mais aussi les acteurs, réalisateurs et producteurs connus pour abuser de leurs collègues (une simple recherche Google pourra vous renseigner).

Enfin, un peu de bon sens. Si l’actrice supportant une triple pénétration semble avoir mal, c’est probablement parce qu’elle a mal (il est courant d’utiliser des sprays anesthésiants ou des drogues pour camoufler le massacre). Votre masturbation a-t-elle vraiment besoin de la douleur d’un être humain ‘ Est-ce que payer cet être humain justifie sa souffrance ‘ La question se pose pour les animaux d’élevage quid de nos petites habitudes sexuelles ‘

Vérifiez si le plaisir à court terme vous impacte à long terme. On sait que les formats délirants des hardeurs, leur constante érection, les volumes d’éjaculation créent des complexes chez certains spectateurs. On ne fait normalement pas jouir les femmes trente fois d’affilée. 34 % des jeunes ont déjà été embarrassés par leur pénis après avoir regardé du porno. S’exposer, de temps en temps au moins, à du sexe plus conventionnel permettrait de rétablir un rapport du désir au réel fantasmer dans la rue, pas seulement sur l’écran.

Loi de la jungle

Même chose pour les hardeuses, dont les corps sans gravité, lisses, capables de supporter n’importe quels traitements, non seulement mettent les partenaires féminines sous pression mais cette déréalisation des possibilités humaines peut aussi créer des attentes disproportionnées. Ce serait quand même dommage de rendre la réalité décevante, non ‘

Enfin, certains affirment que le X est par définition non éthique, car le corps humain, notamment féminin, est exploité. L’argument est pratique (les corps des performeurs sont pliés à tous les désirs) plus que théorique (ces corps pourraient n’être pas pliés, tous les hardeurs ne se considèrent pas comme des victimes, et comme pour la prostitution ou le travail en général : d’accord, camarades, sortons les drapeaux rouges’ mais il faudrait abattre tout le système capitaliste).

Le point de vue se défend, mais statuer sur la question est prématuré’ justement parce qu’on n’a pas encore laissé sa chance à une vraie pornographie éthique, de masse, répandue. Et si on n’essaie pas, non seulement on ne saura jamais, mais on retournera à la censure, parce qu’une loi de la jungle pareille ne peut pas subsister indéfiniment. (Combien encore d’histoires de corps cassés, de psychés détruites et de paradis fiscaux avant que les consciences se réveillent ‘)

Pour résumer, il faudrait appliquer à la pornographie le même bon sens qu’à notre consommation (idéale) de nourriture : variée, bio, pas volée, pas trompeuse sur la marchandise, dénuée de cruauté inutile, et qui ne vous rendra pas malade. Si vous ne le faites pas pour les hardeurs, faites-le pour vous-même. Je ne sais pas s’il est très éthique de terminer ce billet par un appel à l’égoïsme’ mais ça se tente.

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