Radicalisation et  prise d’otage  , un lexique partagé par gouvernement opposition médias et patronat

Radicalisation et  prise d'otage  , un lexique partagé par gouvernement opposition médias et patronat

A regarder les différents sondages’ on ne peut pas tirer le moindre enseignement. Les Français sont majoritairement opposés à la réforme du code du travail et soutiennent majoritairement les manifestants dans leurs actions (préblocage des entrepôts de carburant). Ils sont aussi majoritairement pour la fin des manifestations, et pensent majoritairement que, si jamais l’Euro de football est en péril, c’est la faute du gouvernement.

Personne ne sait qui veut quoi, ce qui rend l’autre bataille, médiatique, d’autant plus importante. Elle se joue tous les matins à la radio et sur les plateaux télévisés, dans les citations d’hommes politiques qui apparaissent dans la presse pour tenter de convaincre ceux qui tomberaient dessus.

En temps de grève, un certain champ lexical réapparaît sans faute. Acrimed a recensé les occurrences les plus régulières dans un lexique assez complet. On y retrouve certains termes qu’on connaît bien, et qu’on a beaucoup entendus ces derniers jours. D’autres, novateurs par leur extrémisme, ont fait leur apparition.

On se rend aussi compte que certaines expressions sont désormais partagées par le gouvernement, des leaders de l’opposition, le patronat et des médias, comme autant d’éléments de langage qui n’auraient plus de frontières politiques.

Le classique « prise d’otage » a été relancé par le premier ministre, Manuel Valls, pour dénoncer les actions d’un syndicat qui prend « en otage » l’économie de la France avec des actions « pas démocratiques ». François Hollande n’a pas utilisé le terme il a choisi « un blocage » par « une minorité » mais Myriam El Khomri, la ministre du travail, oui. Presque mot pour mot :

« Il n’est pas question que l’économie de notre pays soit prise en otage à trois semaines de l’Euro. »

« Il est totalement insupportable et incompréhensible qu’on laisse une infime minorité tenter d’enrayer l’activité économique », a reformulé le patron du Medef, Pierre Gattaz. Il est revenu sur une variante plus classique dans le même communiqué, paraphrasant le premier ministre :

« Nous ne pouvons plus tolérer qu’une poignée de militants irresponsables prennent la France en otage. »

Courageux, ou juste allergique aux éléments de langage, le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, a refusé de cautionner « ce vocabulaire » fait de « mots qui blessent, de mots qui vexent », comme « prise en otage ». Il était assez seul à le faire.

La star lexicale de ces derniers jours a été le mot « radicalisation », un terme qu’on a peu l’habitude de voir associé à des manifestants. Tout le monde a voulu se l’accaparer, montrer qu’il était le plus habile à le manier.

Manuel Valls l’a répété et répété : en Israël, où il était en visite officielle lorsque les occupations illégales des raffineries ont commencé « La radicalisation de la CGT pose incontestablement un problème » mais aussi à l’Assemblée nationale, le 25 mai, en réaffirmant que le gouvernement ne rediscutera pas la réforme « La CGT est dans un processus de radicalisation. »

L’argument est repris, presque mot pour mot, par Myriam El Khomri  « Il y a une forme de radicalisation du mouvement » ‘, ainsi que par le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen  « Il y a une petite minorité qui essaie de radicaliser les choses » et par des responsables de l’opposition.

Chacun a son analyse un peu personnalisée, mais chacun arrive au même constat en utilisant « les termes qu’on emploie aujourd’hui à tout bout de champ », comme le dit si bien Eric Woerth sur iTélé, juste après les avoir utilisés en accusant « une CGT de plus en plus radicalisée ».

« C’est le résultat d’une radicalisation de la CGT qui est profondément inquiétante », analyse Bruno Le Maire sur LCI. C’est « l’extrémisme violent d’une minorité qui veut bloquer le pays », complète le député LR Eric Ciotti. Laurent Berger, de la CFDT, élargit un peu pour y mettre « toutes les intoxications et tous les radicalismes, de la CGT à l’extrême gauche ».

Sur RTL, Jean-Marie Le Guen oublie un peu le script et improvise. C’est « une inflammation gauchisante qui déborde des cadres traditionnels de la CGT ». La presse n’est pas loin derrière. Le chef du service économie de TF1 utilise le terme « course à la radicalisation ». Le Figaro parle d’« inexorable fuite en avant de la CGT, sous forme de radicalisation et parfois de violence ». Le Monde aussi, en évoquant le congrès du syndicat à la mi-avril, qui « servira d’étendard à cette radicalité ».

Lire :
 

Dans le paysage syndical, la première place de la CGT est menacée

Un cran au-dessus, on trouve le JT de France 2 du 23 mai, avec David Pujadas et l’éditorialiste Nathalie Saint-Cricq qui jouent au jeu du questions-réponses-préparé-à-l’avance pour caser le nouveau mot à la mode plusieurs fois de suite.

David Pujadas : « Est-ce qu’on assiste là à une radicalisation de la CGT ‘ »Nathalie Saint-Cric : « Clairement oui. Une radicalisation tous azimuts et une technique révolutionnaire bien orchestrée. »

Puis, comme le raconte Télérama, on glisse de « cette radicalisation » qui ne va peut-être pas « dans le sens de l’histoire » au risque d’« explosion sociale », celui de « prendre la responsabilité qu’il y ait un accident, un blessé ou un mort ».

Le climat social étant à la fuite en avant, on retrouve la même dynamique dans la presse qui le couvre. Un peu extrême, un peu anxiogène. Comme Atlantico, qui diffuse un sondage de l’IFOP pour que tout le monde sache « qu’une majorité claire et indiscutable, puisqu’il s’agit de presque trois Français sur quatre, de la population estime notre société soumise au risque d’une explosion sociale imminente ». Ou comme Le Figaro, qui explique que personne ne devrait jamais faire confiance à la CGT, et encore moins maintenant qu’elle est embarquée « vers une forme de terrorisme social ».

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