Racheter et effacer 15 millions de dollars de  dette zombie  pour alerter sur un système opaque

Racheter et effacer 15 millions de dollars de  dette zombie  pour alerter sur un système opaque

Le Monde
| 08.06.2016 à 14h54
Mis à jour le
08.06.2016 à 15h27
|

Par Le Monde.fr

Aux Etats-Unis, des agences de recouvrement peuvent racheter la dette d’un particulier auprès d’une banque, puis se charger elles-mêmes d’obtenir son paiement. Un business juteux et particulièrement injuste, qui existe à la faveur de lois parfois trop flexibles changeant d’un Etat à l’autre et de tactiques bien rodées et peu scrupuleuses.

Dans son émission « Last Week Tonight », John Oliver a décrit le fonctionnement de ce mécanisme peu connu du grand public :

Les agences de recouvrement rachètent des dettes auprès des banques. Par exemple, si vous avez un découvert de 1 000 dollars que vous ne pouvez pas rembourser, la banque peut très facilement revendre cette dette, pour très peu d’argent, à une agence. L’acheteur de la dette peut alors revenir vers le débiteur et lui réclamer la somme totale. Si la personne ne paie toujours pas, l’agence peut choisir de revendre à nouveau la dette, pour une fraction de ce qu’elle lui a coûté, à un autre agent de recouvrement. Et ainsi de suite.Ces sommes passent donc d’un acheteur à l’autre avec très peu d’informations sur le débiteur. Une agence peut se retrouver avec une dette qui a été effacée par une déclaration de faillite, ou qui est « out-of-statute », c’est-à-dire si vieille qu’on ne peut même plus vous traîner en justice pour vous obliger à payer. Certains Etats obligent les agences de recouvrement à préciser si une dette est « out-of-statute ». D’autres non. Un agent de recouvrement enregistré par les équipes de « Last Week Tonight » avance l’idée que le « consommateur peu éduqué » a toutes les chances de ne pas lire la lettre jusqu’au bout et de ne pas se rendre compte qu’on lui réclame de l’argent qu’il n’est plus obligé de rembourser.Cette créance s’appelle une « dette zombie ». Elle circule d’un acheteur à l’autre alors même que celui qui doit de l’argent pense qu’elle a été payée ou effacée. Et, comme le dit John Oliver, « à partir du moment où quelqu’un a acheté votre dette, zombie ou pas, il va essayer de récupérer l’argent ». Les agences de recouvrement ont parfois recours à des techniques illégales chantage, mensonge ou intimidation pour forcer les gens à payer. Williams Scott & Associates est actuellement en procès avec l’Etat fédéral pour avoir fait croire à des débiteurs qu’elle faisait partie d’une « task force » mandatée par le gouvernement pour « enquêter sur la fraude fiscale » en recopiant le logo du ministère des affaires étrangères.D’autres intentent même des procès aux débiteurs. Les agents de recouvrement font partie des individus qui utilisent le plus le système judiciaire. Là encore, il s’agit d’une stratégie : si le débiteur ne se présente pas au procès, l’agence gagne par défaut et le débiteur est condamné à rembourser.Selon les Etats, la loi protège plus ou moins bien les débiteurs de ce genre de pratiques. Certains votent pour plus de régulation, d’autres pour plus de liberté. En Floride ou au Texas, n’importe qui peut racheter une dette, sans « licence ». Dans d’autres Etats, n’importe qui peut collecter une dette et s’improviser agent de recouvrement.

« N’importe quel idiot » peut le faire

L’émission montre que certaines dettes, en particulier les dépenses de santé, ne sont pas le fruit de mauvaises décisions de la part des débiteurs. Il raconte l’histoire de Bob Weinkauf, hospitalisé pour des troubles respiratoires, et à qui l’on annonce après quatre jours de traitements que les coûts s’élèvent à 80 000 dollars, car l’assurance ne prendra pas en charge l’hospitalisation.

« A chaque étape, il y a quelque chose qui cloche », commente John Oliver. Y compris la facilité avec laquelle « n’importe quel idiot » peut créer une agence de recouvrement’

John Oliver et son équipe ont donc l’idée de se faire passer pour « n’importe quel idiot », et de racheter de la dette de particuliers via une plate-forme en ligne dans le Mississippi, où la pratique est légale.

La vraie-fausse entreprise s’appelle Central Asset Recovery Professionals, « ce qui forme l’acronyme CARP, comme carpe, le poisson qui se nourrit au fond des rivières ». Sa création a coûté 50 dollars.

Très rapidement, elle se voit proposer de racheter les dettes de 9 000 citoyens américains, soit un total de 14 734 569 dollars et 87 cents de frais de santé « out-of-statute » (trop vieux pour que l’on puisse légalement exiger que la dette soit réglée). Ça leur a coûté 60 000 dollars, soit « moins d’un demi-centime par dollar ».

Le présentateur accompagne le décryptage des mécanismes de ce système opaque de ses commentaires inquiétés :

« C’est terrifiant. Parce que cela signifie que, si je voulais, j’aurais légalement le droit d’avoir des employés qui commencent à appeler des gens pour mettre leur vie sans dessus dessous en leur disant qu’ils nous doivent des remboursements de frais de santé qu’ils n’ont plus besoin de payer. »

Une fois en possession de ces dettes, la vraie-fausse entreprise revend les informations des 9 000 débiteurs à une ONG spécialisée dans l’effacement des dettes de santé, RIP Medical Debt.

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