Politique de la recherche , démission de masse à l’ANR

Politique de la recherche , démission de masse à l'ANR

Cela va de plus en plus mal à l’Agence nationale de la recherche (ANR). Cette agence de financement sur appel d’offre compétitif vient d’encaisser un coup dur avec la démission, le 6 juin, de la totalité des membres de son comité chargé d’évaluer et classer les projets déposés par les chercheurs en mathématiques et informatique. Une démission « en bloc », expliquent-ils, pour « protester contre la confiscation des choix scientifiques par une gestion entièrement administrative ». Le comité, animé par son président Christophe Besse (professeur de mathématiques, Université Toulouse 3), Marie-Claude Arnaud (professeur de mathématiques, Université d’Avignon) et Max Dauchet, (professeur émérite d’informatique, Université Lille-1), ne transmettra donc pas ses travaux à la direction de l’ANR.

Contradiction d’origine

Cette nouvelle crise puise ses racines dans la contradiction d’origine de cette agence. Elle fut créée il y a 12 ans par le gouvernement de l’époque en organisant la confusion entre une demande de certains chercheurs lors du mouvement de protestation de 2004, lancé par Sauvons la recherche, animé notamment par Alain Trautmann, et la volonté du pouvoir politique de comprimer les dépenses de recherche tout en les contrôlant de manière plus serrée. La volonté des chercheurs qui soutenaient cette idée était de faciliter l’accès à l’indépendance scientifique et budgétaire des jeunes chercheurs relativement à la structure des laboratoires ou des instituts (ex-départements) du CNRS ou d’autres organismes. Et de profiter de cette nouvelle manière d’attribuer les crédits pour obtenir une augmentation de l’enveloppe globale de recherche.

Le résultat fut à l’inverse. D’une part, les crédits de l’ANR en croissance rapide au début ont été dégagés au détriment des crédits directement versés aux organismes de recherche, réduisant ainsi leur capacité à conduire une politique scientifique. Et d’autre part, le gouvernement a sans cesse voulu la contrôler étroitement, par la nomination des dirigeants de l’ANR comme par la volonté d’y imposer une politique scientifique en écartant, par exemple, tout conseil scientifique doté d’un minimum d’indépendance pour l’élaborer. L’objectif était en particulier de « réorienter » la recherche publique vers les besoins des entreprises au détriment de la recherche de base. Lors du premier budget de l’ANR, le programme « blanc », autrement dit libre des préconisations politiques, ne récupérait ainsi que 10 % du total. Cette volonté ne fut pas totalement un succès. J’ai souvent entendu des membres des comités de l’ANR me dire en souriant qu’ils avaient à gérer des programmes prévus pour de la recherche aval ou finalisée les transformer sans le dire en soutien à la recherche de base qu’ils estimaient nécessaire.

Mais les politiques gouvernementales aboutissant à trop priver les organismes ou les universités de crédits de recherche frais, hors salaires, les appels d’offre de l’ANR sont devenus un passage obligé pour des recherches qui auraient pu et du être décidées, de manière beaucoup plus rapide et organisée, par les directions de laboratoires et d’organismes. La traduction concrète en fut la rapide dégradation du ratio entre les projets déposés et les projets financés, aboutissant à une énorme frustration. Dès 2009, je faisais ici le bilan des cinq premières années de l’ANR, soulignant que l’Agence arrosait pour l’essentiel « là où c’est déjà mouillé » les laboratoires déjà très bien notés et pourvus traduisant ainsi le fait qu’elle remplaçait des crédits qui transitaient, auparavant, de manière plus rapide, par les directions d’organismes. Et que l’on était déjà descendu à 22 % de projets financés chaque année.

Episode navrant

La situation allait ensuite empirer. Pour atteindre, en 2014, 90 % des projets refusés. D’où la succession de crises, de protestations de chercheurs et de membres des comités, dénonçant une loterie très éloignée d’une politique scientifique rationnelle et ambitieuse. La démission en masse d’un Comité d’évaluation démontre que la politique suivie sur ce point par le gouvernement de François Hollande n’a fait que poursuivre celle conduite par son prédécesseur. Avec les mêmes résultats, participant au décrochage de la France dans le concert international de la recherche.

L’épisode navrant des crédits 2016 annulés brutalement par Bercy et Najat Vallaud-Belkacem, puis rétablis piteusement par François Hollande après un énorme coup de colère des Nobel, signale assez bien la couleur de cette politique sans ambitions. De même que la confirmation de l’annulation des crédits destinés aux universités curieusement la Conférence des présidents d’université reçue par le président de la République s’y est résignée. Quant à Thierry Mandon, totalement écarté dans l’affaire des crédits annulés, son intervention récente est pour le moins surprenante. Parler d’un « nouveau pacte » pour la recherche, en fin de mandat quinquennal, alors qu’il n’a pas un kopeck à mettre sur la table, est étonnant. Affirmer que la précarité dans les laboratoires constitue une « préoccupation majeure et une priorité » est étrange alors qu’ingénieurs, techniciens et jeunes post-doctorants quittent les laboratoires par centaines après des CDD à répétition sans aucune action gouvernementale pour freiner l’hémorragie.

Cerise sur le gâteau : Thierry Mandon réaffirme son soutien total à l’énorme niche fiscale du Crédit d’impôt recherche (CIR) dont il est évident que près de la moitié des six milliards pourraient être récupérés par l’Etat sans rien changer à l’effort de recherche privé. Et trois milliards’ c’est l’équivalent du budget du CNRS.

Ci-dessous, la déclaration du Comité mathématiques et informatique de l’ANR :

Le Comité d’évaluation scientifique en mathématiques et en informatique de l’Agence nationale de la recherche démissionne en bloc pour protester contre la confiscation des choix scientifiques par une gestion entièrement administrative

Le 1er juin, à l’issue de trois jours d’évaluation scientifique, le comité en mathématiques et en informatique (CES 40) a décidé unanimement de ne pas transmettre ses conclusions à l’ANR. Ses membres refusent de servir de caution scientifique et déclineront toute sollicitation ultérieure de l’ANR dans les conditions actuelles.

Le comité conteste l’opacité du processus de sélection. A ce jour, le nombre de projets financés est déterminé en proportion du nombre de projets soumis, sans que les comités aient la maîtrise du seuil d’acceptation, ou la connaissance de l’enveloppe budgétaire attribuée. Or, loin d’être uniquement des informations financières ou administratives, ce sont des éléments scientifiques essentiels sans lesquels les comités ne peuvent élaborer une proposition cohérente.

L’addition des contraintes budgétaire et administrative conduit mécaniquement à un taux d’acceptation trop faible pour être incitatif. Or, la constitution d’un dossier de qualité exige un temps important, que de moins en moins de collègues accepteront d’investir au vu du taux de succès qui a cours. Cela s’est traduit par une diminution de plus de 20 % du nombre de projets soumis dans le CES 40 qui entraîne à son tour une baisse du nombre de projets financés. L’ANR manque donc l’occasion de soutenir un nombre important de projets à fort impact.

Le comité s’inquiète aussi de la perte annoncée de son indépendance, puisque son président sera désormais employé par l’ANR.

Les membres du comité demandent à la direction générale de l’ANR la mise en place un nouveau mode de fonctionnement. Ils souhaitent un meilleur contrôle du processus de sélection, de manière à mettre en uvre une politique scientifique cohérente qui respecte les spécificités de chaque discipline, au service de la stratégie nationale de la recherche.

Les membres du CES 40, unanimes :’ Christophe BESSE, Président du CES 40, Professeur de Mathématiques, Université Toulouse 3′ Marie-Claude ARNAUD, Vice-Présidente du CES 40, Professeur de Mathématiques, Université d’Avignon’ Max DAUCHET, Vice-Président du CES 40, Professeur émérite d’Informatique, Université Lille 1′ Mourad BELLASSOUED, Professeur de Mathématiques, Université de Tunis El Manar’ Oliver BOURNEZ, Professeur d’Informatique, Ecole Polytechnique’ Frédéric CHAZAL, Directeur de Recherche en Informatique, INRIA Saclay’ Johanne COHEN, Chargée de Recherches en Informatique, CNRS, Université Paris Sud’ François DENIS, Professeur d’Informatique, Université Aix-Marseille’ Bruno DESPRES, Professeur de Mathématiques, Université Paris 6′ Arnaud DURAND, Professeur de Mathématiques, Université Paris Diderot’ Alessandra FRABETTI, Maître de Conférence en Mathématiques, Université Lyon 1′ Jin Kao HAO, Professeur d’Informatique, Université d’Angers’ Tony LELIEVRE, Professeur de Mathématiques, Ecole des Ponts ParisTech’ Mathieu LEWIN, Directeur de Recherche en Mathématiques, CNRS, Université Paris Dauphine’ Gaël MEIGNIEZ, Professeur de Mathématiques, Université Bretagne Sud’ Sophie MERCIER, Professeur de Mathématiques, Université de Pau et des Pays de l’Adour’ Johannes NICAISE, Professeur de Mathématiques, Imperial College Londres’ Lhouari NOURINE, Professeur d’Informatique, Université Blaise Pascal’ Jean-Michel ROQUEJOFFRE, Professeur de Mathématiques, Université Toulouse 3′ Alessandra SARTI, Professeur de Mathématiques, Université de Poitiers

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