Petite liste des catastrophes auxquelles vous avez pour le moment échappé

Petite liste des catastrophes auxquelles vous avez pour le moment échappé

Une ville de Paris ravagée vue par les artistes John Walters et Peter Baustaedter.

Il fut un temps, désormais un peu lointain, où, dirigeant du service Planète du Monde, je fréquentais tous les jours les réunions de rédaction pour y « vendre » des articles sur les problèmes que l’humanité posait à la biosphère et donc, aussi, à elle-même. Ces « papiers » parlaient beaucoup de réchauffement climatique, pollution, maladies émergentes, crises sanitaires, déforestation, etc. Au point qu’un jour, un rédacteur en chef m’accueillit, moqueur, en me demandant quelle catastrophe j’allais encore annoncer comme si le reste du journal n’était qu’une compilation de bonnes nouvelles écrites par des Bisounours, comme si on n’y évoquait jamais de guerres, d’attentats, de crimes, de plans de licenciement, etc. Au cours des jours suivants, j’ai commencé chaque réunion en disant, sur un ton mi-geignard, mi-goguenard : « On va tous mouriiiiiir ! »

Pourquoi vous raconté-je cela Parce que vient de sortir le rapport « Global Catastrophic Risks 2016 », le catalogue des catastrophes de grande envergure, ces « événements ou processus » qui, selon la définition retenue dans cette synthèse d’une centaine de pages (en anglais), provoqueraient la mort d’au moins un dixième de la population humaine mondiale, soit 740 millions de décès. Issu des travaux de la Global Challenges Foundation, en association avec l’université d’Oxford (Royaume-Uni), ce texte a pour ambition de décrire les risques, leurs effets possibles et la probabilité qu’ils se concrétisent un jour, afin d’éveiller les consciences et d’agir pour réduire lesdits risques. C’est probablement un v’u pieux quand on sait que les décideurs politiques négligent souvent le long terme, parce qu’ils sont et c’est naturel plus préoccupés par l’immédiat, mais aussi, plus cyniquement, parce que les enfants à naître ne votent pas…

Dans l’histoire récente de l’humanité, aucun cataclysme n’a franchi ce cap symbolique des 10 % de tués. La dernière fois que nous nous en sommes approchés, c’était sous l’effet d’un duo maléfique : la boucherie de la première guerre mondiale, couplée à la terrible grippe espagnole qui faucha des dizaines de millions de vies. Pour dépasser cette barre des 10 %, il faut remonter aux deux grandes épidémies de peste : la peste dite de Justinien au VIe siècle et la fameuse peste noire du XIVe siècle. Nous avons donc perdu la mémoire de ces désastres d’ampleur mondiale et, en général, on s’intéresse assez peu à ces catastrophes possibles en raison de la faible probabilité qu’elles surviennent après tout, la dernière fois qu’un gros astéroïde a percuté la Terre, c’était il y a 66 millions d’années et il se peut fort bien qu’Homo sapiens soit une espèce disparue lorsqu’un tel événement se reproduira.

Néanmoins, l’aspect rassurant des probabilités faibles est trompeur. Parce qu’en termes de catastrophes il suffit d’un seul accident pour que plus rien ne soit comme avant (demandez aux voisins des centrales nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima) et qu’il vaut mieux, dans ce domaine, ne jamais avoir à apprendre de ses erreurs. Et aussi parce que certains risques sont difficiles à bien évaluer. Pour justifier la vigilance dont nous devrions faire preuve, le rapport dit notamment : « Tout comme, au début du XXe siècle, il aurait été impossible de prévoir les armes nucléaires, le changement climatique ou les risques liés aux biotechnologies, il se pourrait que plusieurs des futurs risques catastrophiques à venir ne soient pas encore visibles. »

La liste des catastrophes qui nous menacent commence par deux « habitués » : le réchauffement climatique et la bombe atomique. Dans le premier cas, les auteurs rappellent que, d’après les modèles, le risque n’est pas nul de voir la machine climatique s’emballer et tomber dans un cercle vicieux, par exemple si la fonte du pergélisol entraîne le relargage du méthane qui y est prisonnier et qui est un gaz à effet de serre (GES) autrement plus puissant que le CO2… Il n’est ainsi pas impossible d’arriver, à la fin de ce siècle, à une augmentation moyenne de la température de 6 ºC, surtout si nous poursuivons sur la lancée actuelle, sur un scénario à émissions élevées de GES. Je renvoie au dernier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour l’exposé complet des conséquences que cela aura pour l’humanité, que ce soit une augmentation de la mortalité directement imputable aux canicules et aux phénomènes météorologiques extrêmes, la « rupture des systèmes alimentaires », « les risques de perte des moyens de subsistance et de revenus dans les régions rurales en raison d’un accès insuffisant à l’eau potable et à l’eau d’irrigation », etc. Quant à la bombe atomique, on aurait parfois tendance à l’oublier, comme une vieille maladie chronique avec laquelle on vit tant bien que mal, mais malgré la réduction importante du nombre de têtes nucléaires par rapport au pic des années 1980, il restait en 2014 encore 10 000 de ces charges…

Dans la liste vient ensuite le risque de pandémie naturelle, par exemple avec une mutation du virus de la grippe aviaire H5N1 qui lui permettrait de se transmettre facilement entre humains. Le rapport rappelle ainsi que, selon le National Risk Register du Royaume-Uni, il y a entre 5 et 50 % de risques qu’une pandémie tue 1 % de la population britannique dans les cinq ans à venir. Autres « classiques » de ce type de catalogue : l’éruption d’un supervolcan (la dernière, en Indonésie, remonte à 26 000 ans) qui projetterait dans l’atmosphère une quantité considérable de particules provoquant l’équivalent d’un hiver nucléaire avec des conséquences graves sur les cultures mondiales , et la collision de la Terre avec un astéroïde (ou une comète) de belle taille. La probabilité pour qu’une telle collision se produise au cours d’un siècle est évaluée à une « chance » sur 1 250.

Enfin il y a les risques dits « émergents ». Il s’agit de risques qui, il y a encore quelques décennies, restaient cantonnés à la science-fiction mais qui, avec l’avancée de la science et des technologies, sont passés dans le domaine du « jouable ». Ainsi, la possibilité d’éditer voire de fabriquer des gènes, avec, par exemple, la technologie CRISPR, fait-elle apparaître le danger de voir des groupes terroristes ou des Etats mal intentionnés créer des pathogènes à la fois létaux et contagieux. Imaginez ainsi le cocktail mortel d’un virus associant la dangerosité d’Ebola à la contagiosité de la varicelle. Ou imaginez qu’on reconstitue une souche de variole à partir du génome de ce virus, séquencé il y a plusieurs années, alors même que les populations ne sont plus vaccinées contre ce pathogène éradiqué depuis bientôt quarante ans. Imaginez encore, pour revenir au cas du H5N1 évoqué plus haut, que quelqu’un donne un petit « coup de pouce » à la nature pour rendre ce virus aisément transmissible entre humains.

Les auteurs du rapport Global Catastrophic Risks 2016 évoquent également les inconnues liées au développement de l’intelligence artificielle, à laquelle nous allons confier de plus en plus de tâches, ou encore le possible dérapage d’une expérience de géo-ingénierie au cours de laquelle nous tenterions, afin de contrecarrer le réchauffement climatique, de diffuser des aérosols dans l’atmosphère pour limiter le rayonnement solaire incident, sans savoir par exemple l’impact que cela pourrait avoir sur le système des précipitations…

Tout au long de ce déprimant catalogue, les auteurs rappellent que l’humanité ne reste tout de même pas inerte face à ces risques : les accords, même timides, sur les émissions de GES existent, tout comme des traités pour la réduction des armes nucléaires, sans oublier les efforts de la recherche sur la compréhension de la machine climatique, les maladies émergentes, la détection d’astéroïdes potentiellement dangereux pour la Terre. Mais, assurent-ils, la communauté internationale ne met pas suffisamment l’accent sur le traitement de ces risques globaux.

L’année prochaine, en 2017, l’horloge de la fin du monde fêtera, probablement dans une grande discrétion, ses 70 ans. Depuis 1947, elle symbolise les plus ou moins grands risques de catastrophe globale (nucléaires, environnementaux, technologiques) qui pèsent sur l’humanité. Minuit représente l’irruption d’une de ces catastrophes et, régulièrement, le Bulletin des scientifiques atomistes de l’université de Chicago avance ou recule l’aiguille des minutes en fonction du contexte international. En 1947, au moment de la création de l’horloge, il était 23 h 53. Avec la guerre froide, il a rapidement été 23 h 58. Puis, quand l’Union soviétique s’est disloquée, la tension nucléaire s’est relâchée et l’heure a reculé jusqu’à 23 h 43. Mais depuis plusieurs années, l’aiguille se rapproche de minuit, notamment en raison de l’incapacité notoire de la communauté internationale à gérer le réchauffement climatique. Depuis 2015, à cette horloge de malheur, il est 23 h 57.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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