Passionnés artisans entrepreneurs’ Ils refont le monde en 3D

Passionnés artisans entrepreneurs' Ils refont le monde en 3D

Le Monde
| 29.04.2016 à 14h35
Mis à jour le
30.04.2016 à 14h18
|

Par Yves Eudes

Les « makers », qui ont rendez-vous ce week-end à la Foire de Paris, pourraient révolutionner l’artisanat.

Né aux Etats-Unis, au début des années 2000, le mouvement est en passe de conquérir la France. Bricoleurs d’un genre nouveau, passionnés de l’artisanat assisté par ordinateur et armés de leurs imprimantes 3D, les « makers » ont déjà créé de ce côté de l’Atlantique des centaines d’ateliers numériques, de « fablabs » et autres « makerspaces » où ils expérimentent de nouvelles façons de créer des objets et de transmettre les savoir-faire.

Au sein de cette mouvance foisonnante cohabitent trois grandes familles de « faiseurs » : les entrepreneurs, les alternatifs et les « mécanos ». Régulièrement, tous ces « makers » se retrouvent dans des événements festifs, où ils viennent partager leur passion et leurs savoirs avec le grand public.

Nouvelles technologies et savoir-faire traditionnel

En ce week-end printanier, le lycée maritime Florence-Arthaud de Saint-Malo a prêté ses ­ locaux pour accueillir une tribu exubérante, bariolée et encombrante : la Maker Faire, la « foire aux faiseurs », des amateurs qui aiment travailler de leurs mains, et qui créent en toute liberté des objets, utiles et inutiles, en faisant appel aux technologies numériques. Pendant deux jours, 140 ­makers ont travaillé sans relâche sur une quarantaine de stands, devant plus de 2 500 visiteurs. Des électroniciens, des ­informaticiens, des chimistes, des roboticiens, des experts en imprimantes 3D et en découpeuses laser ont côtoyé des menuisiers, des couturiers, des maroquiniers, des soudeurs et des réparateurs de vélos. Ce mélange des genres constitue le c’ur du projet des makers’ : rapprocher les adeptes des nouvelles technologies et les artisans traditionnels, afin qu’ils partagent librement leurs savoir-faire et inventent ensemble une nouvelle façon de travailler et de produire, plus solidaire et plus équitable.

Très axé sur le local, le mouvement maker n’en est pas moins un réseau mondial, avec à sa tête la société américaine Maker ­Media, qui coordonne certaines activités, ­impose des règles précises et touche des royalties sur chaque événement (3 000 euros au ­minimum). En France, le concept a été importé par l’entrepreneur Bertier Luyt, patron du studio de design industriel FabShop et de la ­société de communication événementielle Makers Events, qui va organiser cette année une dizaine de Maker Faire à travers le pays.

Pour chaque rencontre, Makers Events fait un dosage subtil’ : un tiers de sociétés commerciales et deux tiers de « projets amateurs désintéressés ». D’ordinaire, l’entrée d’une Maker Faire est payante, mais celle de Saint-Malo est gratuite, car la municipalité a aidé à son organisation. Elle est aussi sponsorisée par la chaîne de magasins Leroy Merlin, qui, par ailleurs, commence à ouvrir ses propres TechShops, des ateliers payants ouverts au public.

« Notre mission est transmettre les connaissances plus librement. » Bertier Luyt, patron du studio de design FabShop

Selon Bertier Luyt, la France est en train de s’imposer comme leader du mouvement à l’échelle européenne : « En un sens, nous sommes un pays prédestiné, grâce à l’immense richesse de notre tradition artisanale. » Mais les makers viennent perturber l’ordre établi : « Chez nous, les artisans ont longtemps été organisés en guildes et en réseaux qui cultivaient l’entre-soi, le secret, et qui bridaient le partage du savoir. Notre mission est de faire sauter certaines barrières mentales, et de transmettre les connaissances plus librement, en dehors des cadres existants. »

Les makers sont aussi les fils spirituels des militants du logiciel libre et des données en libre accès. A Saint-Malo, des lycéens venus de Brest exposent ainsi un engin qu’ils ont ­inventé et fabriqué de toutes pièces’ : le Panobus, une caisse en bois équipée de cartes électroniques et de lumières multicolores, qui ­indique quand le prochain autobus arrivera. Pour cela, le Panobus est relié au réseau informatique de la compagnie de transports ­publics de Brest, qui, depuis juin 2015, offre ses données techniques en libre accès.

A terme, les makers espèrent insuffler une nouvelle attitude : « Quand on comprend le fonctionnement des appareils qui nous ­entourent, affirme Bertier Luyt, on acquiert plus de confiance en soi, et on peut prendre le pouvoir sur son environnement » par exemple, pour créer son entreprise.

Dans le public de Saint-Malo, la mutation semble amorcée. Nicole, une menuisière semi-professionnelle qui fabrique des poissons en bois pour les vendre sur Internet, découvre, fascinée, les ­logiciels de modélisation, les imprimantes 3D et les découpeuses laser, qui pourraient faciliter son travail et l’aider à diversifier sa production. Marie-Mathilde, une kinésithérapeute qui a été initiée aux imprimantes 3D par son fils, étudiant en arts plastiques, envisage de se lancer dans la fabrication d’ustensiles adaptés au handicap particulier de chacun de ses patients : « Les perspectives sont infinies, notamment pour les prothèses sur mesure.’» A sa ­demande, son fils a déjà construit, avec une ­imprimante 3D, un porte-gobelet qui se fixe aisément sur un fauteuil roulant. Un début modeste, elle en convient, mais prometteur.

De leur côté, les membres de l’Atelier de la Flibuste, le nouveau fablab de Saint-Malo, estiment que, pour devenir un pur ­maker, chacun doit pratiquer simultanément les techniques numériques de pointe et l’artisanat traditionnel. Eux partagent leur temps entre la fabrication d’un mini­robot piloté par smartphone et la construction d’une petite fonderie à l’ancienne, pour créer leurs propres outils, comme les forgerons du temps jadis.

Ateliers associatifs

Parallèlement aux Maker Faire à l’esprit start-up, un autre circuit d’échanges s’est mis en place’ : celui des Open Bidouille Camp (OBC), un réseau résolument alternatif et ­libertaire, même si cela ne l’empêche pas de tisser des liens avec le monde de l’entreprise. Cette année, une douzaine de Bidouille Camp devraient avoir lieu en France. Ophelia Noor, l’une des responsables de l’association, insiste sur l’ambiance participative qui y ­règne’ : « Ce ne sont pas des expositions, mais des ateliers temporaires, où les gens viennent apprendre et fabriquer ensemble. Contrairement aux Maker Faire, nos événements sont entièrement bénévoles et gratuits. » Le réseau OBC est aussi très décentralisé : « L’association fournit une coordination nationale, mais chaque territoire ­s’organise à sa guise, il n’y a pas de recette à ­appliquer uniformément. »

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Les entreprises à l’écoute des « makers »

Le Bidouille Camp de Paris s’est tenu fin mars, sur deux lieux situés dans le même pâté de maisons du 19e arrondissement’ : l’Ourcq Blanc, un ancien bâtiment de Pôle emploi transformé en squat artistique, et le WoMa, un atelier associatif de quartier mettant à la disposition de ses adhérents des ­machines numériques imprimante 3D, ­découpeuse laser, fraiseuse électrique’

« Nous remettons à la disposition des gens les outils dont ils ont été dépossédés » Alexandre Guerguadj, organisateur du Bidouille Camp de Paris

Dans une ambiance très festive, une vingtaine d’équipes montrent leur travail aux ­visiteurs. Le stand le plus fréquenté est ­celui du Lorem, un fablab du 14e arrondissement, devenu un centre réputé de fabrication de drones artisanaux. Les « dronistes » ont ­apporté à l’Ourcq Blanc leurs engins les plus spectaculaires notamment une machine à six hélices pouvant transporter plusieurs ­caméras, et un minidrone de compétition qui vole à 160 km/h.

L’organisateur du Bidouille Camp du 19e, Alexandre Guerguadj, 25’ans, travaille au WoMa comme salarié à mi-temps, et habite à l’Ourcq Blanc, dont un étage a été transformé en résidence. Installé dans la cuisine collective du squat, il explique le sens de sa mission : « Aujourd’hui, les gens n’ont pas ­accès à ces machines, ou alors seulement en tant que salariés subalternes, privés de toute liberté créative. Nous remettons à leur disposition les outils dont ils ont été dépossédés. » Le WoMa doit aussi être un lieu d’apprentissage collectif’ : « Ce n’est pas un simple parc de machines en libre-service, la dimension communautaire est essentielle. »

Alexandre ne se considère pas comme un militant, mais il est conscient que son ­action a une dimension politique’ : « Si, grâce à nous, la population s’approprie une technologie qui a été confisquée par quelques-uns, c’est un acte politique. » A court terme, il se fixe un objectif plus pragmatique : « Nous devons d’abord apprendre à ­réparer nos ­objets usuels, au lieu de les ­jeter et de courir au ­magasin en acheter des nouveaux. »

A l’étage au-dessous, l’Open ­Bidouille Camp bat son plein. Un ­maker explique aux enfants le principe du passage du courant électrique ­entre deux bijoux ­lumineux fabriqués pour l’occasion. Un autre montre comment tordre un tuyau en PVC sans le pincer, tandis qu’une jeune femme donne un cours de ­fabrication de produits de maquillage à partir d’ingrédients naturels.

Melting pot de compétences

Au rez-de-chaussée d’une grande bâtisse ­située dans une zone industrielle de Nanterre, dans la banlieue parisienne, les bénévoles de l’Electrolab construisent un repaire de 1’500 m2, une enfilade de salles de ­réunion et d’ateliers qu’ils ont rénovés et aménagés eux-mêmes. Aujourd’hui, ce ­makerspace géant, encore en travaux, propose un vaste arsenal d’outils et de machines permettant de fabriquer n’importe quoi, ou presque. Ses 180 adhérents sont des jeunes avides de ­découvrir différentes technologies et des techniciens voulant travailler pour leur plaisir. Sylvain Radix, l’un des responsables de l’association, résume la philosophie du lieu : « Nos maîtres mots sont pluridisciplinarité et croisement. Nous sommes un melting-pot de compétences. »

Près de l’entrée, le premier atelier est un espace multifonctions abritant divers projets’ : réparation d’un poste de radio, construction d’un système inédit de chauffage pour camping-car’ Plus loin, la « zone électronique » est un capharnaüm d’appareils de ­mesure, d’assemblage, de soudure, etc. Certains outils manquent, mais les makers ont récupéré des instruments de dentisterie qu’ils ont modifiés pour travailler sur leurs cartes électroniques. A l’établi, Nicolas Roux, informaticien, s’en sert pour essayer de réparer son vieil aspirateur : « Le potentiomètre est mort, l’aspirateur sera toujours à fond, mais ce n’est pas grave, j’apprends. »

Non loin de là, Martin Lindenmeyer, électrotechnicien, termine la fabrication d’une « valise pédagogique », un engin bourré de modules électroniques amovibles, qui servira à enseigner les bases de l’électronique à des débutants. Pressé d’aboutir, il passe ici tout son temps libre, parfois jusqu’au milieu de la nuit.

Il y a aussi un atelier de couture. Un peu par hasard, il a été installé dans une salle d’électronique, mais cette proximité s’est avérée fructueuse. Les geeks et les ­couturiers ont travaillé ensemble pour transformer une vieille machine à coudre en brodeuse numérique connectée à un PC, capable de reproduire sur tissu n’importe quel motif dessiné sur écran. Raffinement suprême, qui illustre l’esprit maker : le bras de guidage de l’aiguille est amovible, permettant de rendre la machine à coudre à son usage normal.

Mission : fabriquer un supercalculateur

Au fond d’un recoin obscur, on ­découvre un serveur informatique de la taille d’une armoire’ : « Nous l’avons récupéré dans un ­ministère, explique Sylvain Radix. Ils ­allaient le mettre à la poubelle. Une fois ­réparé, il fonctionne parfaitement. » A présent, les ­makers informaticiens vont se ­lancer dans une tâche encore plus ambitieuse : la fabrication d’un supercalculateur.

L’autre moitié du local a un tout autre aspect, car il est en train de devenir un atelier de mécanique lourde, avec des équipements récupérés dans diverses usines’ : des fraiseuses, des tours, une coupeuse de tôle datant de 1904′ Evidemment, pour ­accéder à ces ­machines, les utilisateurs ­devront d’abord suivre un stage de sécurité.

Dans l’avenir proche, les adhérents souhaitent créer un atelier de menuiserie, un minilabo de biologie, et un studio pour enregistrer des vidéos didactiques qui ­seront diffusées sur Internet. Malgré cette activité intense, l’association réussit à s’autofinancer : « Nos adhérents paient 15 euros par mois, 7 euros s’ils sont vraiment fauchés. Nous accueillons également des ­petites start-up, qui paient un loyer. » Aujourd’hui, l’ElectroLab est ouvert tous les après-midi, et deux soirs par semaine, mais Sylvain Radix espère qu’il fonctionnera bientôt 24 heures sur 24. Comme tous les services indispensables à la vie des citoyens.

Les rendez-vous « makers »

Maker Faire

Paris (au sein de la Foire de Paris) : 30 avril et 1er mai.

Lyon : 28 et 29 mai.

Rouen : 3 et 4 juin.

Nantes : 9 et 10 juillet.

Lille : en septembre.

Grenoble : en octobre.

Strasbourg : décembre.

Open Bidouille Camp

Aix-en-Provence (Bibliothèque Méjanes) : 27 et 28 mai.

Lille (gare Saint-Sauveur) : 28 et 29 mai.

Binic (OBC de Saint-Brieuc) : en juin.

Toulouse : en juin ou septembre.

Auxerre (salle Silex): 24 septembre.

Lyon : en septembre.

Mont-de-Marsan : 8 octobre.

Nancy : en octobre.

Bourg-en-Bresse : 10 et 11 octobre (pendant la Fête de la science).

Vitry-sur-Seine: 5 octobre (à l’Exploradôme sur la thématique du bois): octobre.

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