Nouveaux éléments accablants concernant un cas de plagiat universitaire

Nouveaux éléments accablants concernant un cas de plagiat universitaire

Copier, c’est voler. Cet adage anti-plagiat est au c’ur de l’affaire Rigaux qui secoue le petit monde des médiévistes français depuis deux ans. Elle rebondit aujourd’hui, avec une nouvelle démonstration d’un comportement plagiaire qui met les institutions universitaires et les communautés scientifiques devant leurs responsabilités. Et pose la question plus générale de la capacité du système universitaire à s’attaquer à ce problème, au delà du cas mis en exergue.

L’Université de Grenoble, la section concernée du Conseil national des université (le CNU dont dépend la qualification permettant de se présenter aux concours de recrutement de maître de conférence puis de Professeur et qui intervient dans la carrière des universitaires) mais aussi la SHMESP (Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public) ont en effet reçu début mai 2016 un épais dossier. Un rapport de plus de 220 pages qui effectue une nouvelle recension de nombreux plagiats réalisés par l’historienne Dominique Rigaux dans sept textes (thèse, articles, habilitation à diriger des recherches’) publiés entre 1989 et 2012. Il complète un premier rapport, de 2014, qui portait sur la période 1994 à 2010 avec trois textes.

«c’est vraiment trop systématique pour y voir autre chose qu’une volonté délibérée.»

 Des textes où les médiévistes qui se sont coltinés ce travail de’ bénédictin à la recherche des morceaux

page 41 du rapport

plagiés, dans une oeuvre qui a par ailleurs valeur de production scientifique normale, ont procédé par sondage au hasard. Un exemple en est fourni dans cette page du rapport, très représentative, où l’on observe de la simple copie verbatim ou des astuces de citation éloignant la partie copiée de la source précise d’origine.

Les dizaines de preuves de plagiats ainsi découverts ne constituent donc pas un bilan exhaustif de ce comportement qui apparaît «systématique», s’indigne un médiéviste de l’Université de Genève. «Tout le monde peut faire une erreur de citation, plagier un texte de manière involontaire par un effet de mémoire, mais là, c’est vraiment trop systématique pour y voir autre chose qu’une volonté délibérée.» Ce médiéviste me fait d’ailleurs remarquer qu’il ne s’agit pas d’un problème limité à la France, voir cet exemple italien.

La lutte anti-plagiat est de plus en plus prise au sérieux par les universités, comme en témoigne cette « charte » que l’on peut trouver sur le site de l’ex-Université Pierre Mendès France, là où travaille Dominique Rigaux. On y trouve la définition du plagiat: «Le plagiat consiste à reproduire un texte, une partie d’un texte, une illustration ou des idées originales d’un auteur, sans lui en reconnaître la paternité par un référencement bibliographique ou iconographique adéquat.» Et l’on y apprend que l’Université Grenoble Alpes est dotée d’un logiciel anti-plagiat nommé Compilatio’ un moyen utile, mais pas à l’épreuve des astuces classiques du plagiaire. La détection du plagiat et l’action pour le contrer peut être un peu plus compliquée, souligne Jean-Noël Darde dans son « archéologie du copier-coller« .

Un procès perdu

Ce rapport a été communiqué le 10 mai dernier à la direction de l’UFR Sciences Humaines de l’Université Pierre Mendès France, donc à son directeur Philippe Saltel. Accompagné d’une demande de saisine d’une instance disciplinaire de l’Université (avant la fusion des universités grenobloise il s’agissait du CA de l’UPMF). Puis transmis à la Présidente de l’Université Grenoble Alpes (issue de la fusion des trois universités de la ville) à cet effet. Jusqu’à ce que je contacte Mme Dominique Rigaux, le 30 mai, pour lui demander si elle avait connaissance de ce rapport, il semble que la Présidente de l’UGA (Mme Lise Dumasy), ne lui avait pas fourni d’information sur l’existence de ce document ou la copie du rapport. Ce n’est que «récemment», me confirme Lise Dumasy autrement dit après que je l’ai contactée que l’information serait parvenue à Mme Rigaux de la part de la présidence de l’Université, ce que me confirme cette dernière par courriel.

Mme Dumasy semble assez embarrassée par cette patate chaude, et m’indique par courriel que «N’ayant ni la compétence ni l’intention de traiter cela moi-même, j’ai redirigé l’ensemble vers la vice-présidence recherche de l’établissement pour avis, et j’ai présumé que c’était la même chose que les mêmes personnes avaient envoyé en 2014. L’ensemble des documents en ma possession, transmis par le directeur de l’UFR, a été transmis à la référente intégrité.» Alors que Mme Dumasy était au courant du document de 2014, par ailleurs public, elle n’avait donc pas réalisé qu’il s’agissait d’une démonstration plus étendue dans le temps et portant sur un plus grand nombre de textes.

Or, si ce nouveau document, accablant pour Dominique Rigaux, existe, c’est en raison d’un silence, d’une inaction’ et d’une action.

L’action, c’est celle de la plagiaire qui, loin de présenter des excuses à sa communauté, après la publication du premier rapport en 2014 a intenté un procès en diffamation à’ Michelle Bergadaà (Université de Genève). Laquelle n’a fourni, pourtant, que la méthode utilisée par les médiévistes pour traquer les plagiats. Une méthode aujourd’hui publiée sous la forme d’un livre: Le plagiat académique. Comprendre pour agir, L’Harmattan, Col. Questions contemporaines. L’initiative judiciaire de Dominique Rigaux ne s’est pas très bien terminée pour elle, puisque le TGI de Grenoble, le 16 février dernier, l’a déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer les dépens.

Omerta sur le plagiat

Le silence et l’inaction, c’est celui d’une communauté et d’institutions. Lorsqu’en 2014 un document recense, selon une méthode sûre, la série de plagiats dont Dominique Rigaux semble l’auteur dans différents textes tout au long de sa carrière, on s’attend à des réactions des collectivités concernées : son établissement (l’Université Pierre Mendes France à Grenoble), la section du Conseil national des universités concernée, ou la SHMESP (Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public). Or’ rien. Ou presque. L’Université annonce certes que Dominique Rigaux n’est plus vice-présidente, mais lui exprime son soutien. Un soutien concret, il semble que ce soit l’Université qui ait pris en charge ses dépenses de justice, comme si plagier était une activité normale d’un universitaire, justifiant le soutien financier de l’établissement si cela le conduit devant un tribunal, de surcroît à son initiative. Du côté des médiévistes, isolément ou collectivement, c’est silence radio. On accepte parfois de parler au journaliste, on s’indigne souvent’ mais sous réserve d’anonymat.

Cette omerta provient en partie de la réaction de Dominique Rigaux, virulente, cherchant et obtenant ce silence par l’intimidation. Intimider, c’est, dans ce petit milieu, faire jouer ses relations, professionnelles et personnelles, susceptibles d’intervenir dans les carrières des uns et des autres.

Craintes pour chacun, crainte pour tous

Or, les relations de Dominique Rigaux ne sont pas anodines, en particulier dans le milieu des études historiques consacrées à la religion à l’époque médiévale. Elle dispose en effet du soutien d’André Vauchez, un historien catholique, chrétien fervent, spécialiste de la sainteté et des laïcs dans l’église médiévale. Membre de l’Institut, récipiendaire du prestigieux prix Balzan en 2013, André Vauchez est très respecté (et fait partie des plagiés par Dominique Rigaux) pour la force et l’originalité de ses travaux. Très influent, il a pu orienter des carrières, plaidant pour les uns et contre les autres, selon une pratique mandarinale bien ancrée dans les fonctionnements parfois occultes de l’Université et des commissions de recrutement.

Ecouter les universitaires en parler est parfois déroutant. Ainsi, dans leur langage le mot «patron» ne désigne pas l’employeur l’Etat mais bien souvent un Professeur, dont l’influence intellectuelle, reconnue, se double d’une influence officieuse, orale et sans traces, pour soutenir ici, défavoriser là. Voire intervenir dans un tel dossier, Mme Bergadaà aura ainsi la surprise de se voir tancée par son Recteur’ après une intervention de Mr Vauchez. Dominique Rigaux, de son côté, siège et à siégé dans des instances universitaires (les Commissions de spécialistes, à l’Université Louis Lumière de Lyon ou dans son université grenobloise) dont dépend la nomination, ou le refus de poste, de collègues. Peut-on sans risques se fâcher avec elle et donc avec ses soutiens Non, pensent manifestement nombre de médiévistes. Et tant pis pour la déontologie.

A ces craintes pour chacun, s’ajoute une crainte pour tous. Porter sur la place publique ce genre de faux pas ne peut que nuire à la réputation d’une discipline l’histoire médiévale qui, tout comme l’histoire de l’Antiquité, est plutôt vue par les gouvernants comme un luxe dont on pourrait sans dommage diminuer les moyens. Sous Sarkozy, on le pratique en daubant la Princesse de Clèves, sous Hollande, on continue, sans le discours provocateur ad hoc. Autant de raison pour faire profil bas, au grand bénéfice des fautifs. Mais lorsque cette crainte conduit à l’omerta, c’est une politique de gribouille, car les Universitaires ne peuvent réclamer libertés académiques et moyens de travailler qu’en faisant preuve de fermeté dans l’exigence de respect des règles déontologiques de leurs métiers.

Le nouveau rapport d’expertise est donc dans les mains de la «référente intégrité» de l’Université Grenoble Alpes, souligne Lise Dumasy. De sa réaction dépend la suite que donnera l’institution à cette affaire.

Je recopie ci-dessous le début de la note parue dans {Sciences²} le 7 juillet 2014 sur ce sujet:

Le 16 juin dernier, un communiqué étrange du Président de l’Université Pierre Mendes France à Grenoble, Sébastien Bernard, annonçait que Dominique Rigaux quittait son poste de Vice-Présidente, chargée de la recherche et des relations internationales. Un communiqué (ici) qui précise : «Afin de préserver notre établissement, Madame Rigaux cessera d’exercer ses fonctions début juillet.»

Ce communiqué affirme que Dominique Rigaux«doit faire face à de graves accusations selon un procédé abject combinant absence de plainte, délation anonyme et large diffusion à la communauté. Elle conteste ces allégations et a porté plainte pour diffamation et contrefaçon à l’encontre de la publication diffusée».Concilier ce limogeage et une défense aussi virulente peut sembler étrange. Il faut donc creuser l’affaire.

Les pièces de ce dossier sont publiques. On les trouve ici sur le site web de l’Université de Genève qui héberge le site Responsable, consacré au plagiat scientifique et universitaire. Le site manifestement visé par la plainte que Madame Rigaux est censée avoir déposée, selon la présidence de l’Université. Il est animé par Michelle Bergadaà, Professeure à l’Université de Genève, qui mène une action exemplaire sur le plagiat et la fraude en science et à l’Université. Elle doit d’ailleurs faire une conférence demain, mardi 8 juillet à l’invitation de l’Université de Grenoble dans le cadre «d’une journée consacrée au plagiat universitaire et aux dispositifs mis en place pour lutter contre ce fléau», annonce son site web.

Alertée sur le cas de Dominique Rigaux, elle explique sa démarche sur son site: «Nous avons donc procédé comme à notre habitude : sur la base du travail d’experts de cette discipline à qui nous avons demandé d’analyser trois échantillons de la production de cet auteur, un récent, un datant d’au moins vingt ans et un de dix ans. Ceci nous permet de dégager l’enracinement du mode opératoire, puis son évolution dans le temps.»

‘ la suite est ici.

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