Municipales au Royaume-Uni , la bataille des deux Londres

Municipales au Royaume-Uni , la bataille des deux Londres

Le Monde
| 03.05.2016 à 11h41
Mis à jour le
05.05.2016 à 08h31
|

Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)

Londres, l’une des villes les plus cosmopolites du monde, pourrait être dirigée par un maire musulman au lendemain des élections municipales du jeudi 5 mai. Si les sondages répétés qui le créditent d’une avance de vingt points disent vrai, le travailliste proeuropéen Sadiq Khan, 45 ans, fils d’un chauffeur de bus immigré du Pakistan et qui affiche un islam ouvert comme « une partie de [s]on identité », succédera au conservateur eurosceptique Boris Johnson.

Après huit années flamboyantes mais contestées passées au City Hall, « Boris », dont la très étudiée coiffure blonde en bataille était devenue l’image de marque, ne se représente pas : sa dernière incartade l’a conduit à défier le premier ministre David Cameron en prenant la tête de la campagne pour la sortie de l’Union européenne au référendum du 23 juin. Il confirme que le poste de maire de Londres, même s’il confère des pouvoirs limités (transports, police, urbanisme), offre un fabuleux tremplin politique.

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« Mon parcours symbolise le fait que Londres est une ville formidable. J’aime cette ville qui m’a donné toutes mes chances », résume M. Khan dans un entretien au Monde en égrenant les étapes de son ascension : élevé en HLM avec ses six frères et s’urs, poussé par ses professeurs de l’enseignement public, étudiant en droit puis avocat, député depuis 2005 de la circonscription populaire de Tooting, puis ministre dans le gouvernement de Gordon Brown.

Un duel à forte dimension symbolique

Le choix du parti conservateur de lui opposer Zac Goldsmith, 41 ans, député de Richmond (ouest chic de Londres), fils du milliardaire franco-anglais d’origine juive Jimmy Goldsmith, mort en 1997, et marié à une héritière de la famille Rothschild, a inévitablement conféré au duel une dimension symbolique. « Les origines ne sont pas un sujet dans une élection municipale, affirme M. Goldsmith au Monde. J’ai été choisi parce que j’ai énormément amélioré mon score aux dernières législatives et parce que j’ai un programme cohérent pour Londres. »

Pourtant, la campagne électorale, qui oppose un énergique et charismatique tenant de la gauche « probusiness » à un conservateur eurosceptique et écologiste à la personnalité effacée, a été pesamment marquée par les questions religieuses et raciales.

M. Khan a systématiquement mis en avant ses origines modestes, son identité musulmane et son parcours pour se présenter comme le mieux placé pour gérer l’extraordinaire diversité qui caractérise la ville et combattre les inégalités sociales qui s’y creusent, mais aussi l’extrémisme islamiste. Il a aussi critiqué le port très courant à Londres du voile pour les musulmanes. De son côté, M. Goldsmith a gommé son propre profil social tout en dépeignant inlassablement son adversaire comme un dangereux ami des islamistes.

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La campagne est aussi sur Twitter

Depuis des mois, le candidat des tories accuse Sadiq Khan de pratiquer une « politique radicale et de division », allant jusqu’à le comparer aux « dégoûtants personnages » de l’islam radical. Le premier ministre David Cameron a entonné le même discours en accusant M. Khan d’avoir « servi de couverture pour des extrémistes », provoquant en avril une bronca à la Chambre des communes. Il est reproché au candidat travailliste d’être apparu à neuf reprises aux côtés de Suliman Gani, un imam radical de sa circonscription.

« Hé, Zac Goldsmith, pas la peine de me montrer du doigt en criant il est musulman’. C’est écrit sur mes propres tracts. »

Sadiq Khan répond qu’en tant qu’avocat des droits de l’homme, il lui est arrivé de défendre de « dégoûtants personnages ». « Tous les musulmans britanniques sont en contact avec des extrémistes à un moment ou à un autre, explique-t-il. Quand j’ai fait campagne pour être élu en 2005, des extrémistes m’attendaient devant la mosquée où je prie pour me traiter d’apostat car, pour eux, seul Dieu peut faire des lois. Quand j’ai voté en faveur du mariage gay, ils ont lancé une fatwa contre moi et j’ai dû faire protéger mes filles. »

Ripostant aux messages répétés de son adversaire, il a fini par écrire sur Twitter : « Hé, Zac Goldsmith, pas la peine de me montrer du doigt en criant il est musulman’. C’est écrit sur mes propres tracts. »

Selon plusieurs sources, le candidat conservateur ne ferait qu’appliquer la consigne du stratège des tories, Lynton Crosby, qui conseille de centrer entièrement la campagne sur un argument censé être destructeur pour l’adversaire et de le marteler. Dans le Mail on Sunday, M. Goldsmith va jusqu’à associer M. Khan aux attentats terroristes de 2005.

« Sale campagne jouant la carte raciale »

Interrogé sur ce que le Labour appelle une « sale campagne jouant la carte raciale », Zac Goldsmith jure que ses discours sont « très largement positifs » et que « l’idée que ces questions [sur l’islam] puissent ne pas être posées est tout simplement absurde ». Lui-même s’est lancé dans un ciblage précis de l’électorat : les électeurs hindous ont reçu un tract où M. Goldsmith fait l’éloge du premier ministre indien, Narendra Modi, un hindou. Pour les sikhs, le candidat s’engage à faire campagne pour que le disputé Temple d’or d’Amritsar, au Pendjab, reste « dans les mains de la communauté sikh ». Un marketing pas toujours bien reçu dans les communautés concernées.

Dans ce contexte chargé, la polémique sur l’antisémitisme qui enflamme le Labour depuis que, jeudi 28 avril, l’ancien maire de Londres Ken Livingstone a été suspendu après avoir qualifié Hitler de « sioniste » est survenue au pire moment pour M. Khan. Même s’il a été le premier à qualifier de « consternants et inexcusables » les propos de M. Livingstone, le candidat est désormais mal placé pour dénoncer la racialisation de la campagne adverse. M. Goldsmith n’hésite d’ailleurs pas à citer la ville de Paris comme un « triste » contre-exemple, « une ville tellement divisée racialement », selon lui, que certains juifs parisiens ont trouvé refuge à Londres.

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L’héritage de Boris Johnson

La focalisation sur ces enjeux a presque fini par faire oublier les vrais problèmes de Londres : la gravissime pénurie de logements abordables qui fait fuir à présent même les classes aisées ; les transports en commun saturés parmi les plus chers du monde et le taux de pollution, l’un des plus élevés d’Europe. Sur ces sujets, les deux candidats ne se différencient qu’à la marge. Ils promettent de construire davantage et d’investir dans les transports  M. Khan veut geler les tarifs.

Mais aucun ne critique directement les réalisations du maire sortant. Talentueux promoteur de sa ville, Boris Johnson l’a projetée parmi les centres urbains les plus dynamiques de la planète, l’a hérissée de gratte-ciel et l’a transformée en une terre de choix pour les milliardaires du monde entier.

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Des scrutins à hauts risques pour les travaillistes

Les Britanniques sont appelés aux urnes jeudi 5 mai dans le cadre des élections régionales aux Parlements écossais, gallois et d’Irlande du Nord et locales 124 municipalités renouvelées en Angleterre. Les scrutins du 5 mai seront surtout cruciaux pour le chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn. A en croire les sondages, le Labour pourrait y laisser des plumes, après un excellent score réalisé aux municipales de 2012. D’après les projections, il pourrait perdre 170 postes de conseiller municipal en Angleterre, son pire résultat depuis trente-quatre ans. En Ecosse, l’un de ses anciens fiefs, le Parti travailliste pourrait se retrouver dans la situation humiliante de se faire doubler par les conservateurs au rang de deuxième parti du Parlement régional. Au Pays de Galles, les travaillistes devraient souffrir de l’usure du pouvoir, alliée à une poussée attendue du parti europhobe UKIP, qui pourrait glaner ses premiers sièges au sein d’une assemblée régionale.

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