Michel Cymes ,  J’ai adoré être un tyran sur son trône 

Michel Cymes ,  J'ai adoré être un tyran sur son trône 

Le Monde
| 08.05.2016 à 07h45
Mis à jour le
08.05.2016 à 07h54
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Propos recueillis par Pascale Krémer

Si je n’avais pas un ange qui plane au-dessus de ma tête depuis ma naissance. Une chance incroyable, à laquelle s’ajoute un culot à toute épreuve. Je rate le bac, c’est un traumatisme, mais grâce à cet échec, je me retrouve l’année suivante en fac de médecine avec mon meilleur copain, qui me sert de locomotive. Je suis le 111e sur 111 reçus en deuxième année de médecine. Je rencontre un journaliste radio quand je commence à avoir envie d’en faire. Je demande un entretien à Jean-Marie Cavada, que je ne connais pas mais que j’admire, juste avant qu’il soit nommé patron de la Cinquième’ Je n’ai jamais galéré. Mais j’ai toujours bossé et tenté. Je ne me dis jamais que c’est impossible. Dans dix jours, je ferai des essais pour un rôle de médecin dans un long-métrage. Si à la fin, on me dit « Vous savez, vous êtes bien à l’hôpital », je m’arrêterai là, sans souci. Mais je commence toujours par penser « Pourquoi pas ‘ »

Ce bac passé à deux reprises, vous en parlez toujours à 58 ans, malgré le parcours accompli depuis ‘

J’ai encore en tête mon arrivée dans le salon. Mes parents qui avaient préparé le champagne dans un seau. J’étais le premier Cymes à tenter le baccalauréat. Je voulais leur offrir ça. Mais à l’école, tout était compliqué pour moi. J’ai redoublé la sixième et la terminale. Je n’étais pas, et je ne suis toujours pas, capable de me concentrer longtemps. Quand je mène une interview, dans Le magazine de la santé, mon esprit part souvent ailleurs ce qui ne m’empêche pas de répondre si l’on me pose une question. Un ami pédopsychiatre m’a fait prendre conscience que j’avais sans doute des troubles de l’attention, mais quand j’étais enfant, on ne dépistait pas l’hyperactivité. J’étais le rigolo de la classe, qu’on ne parvient pas à canaliser. Celui qui « a du potentiel mais ne pense qu’à amuser la galerie ». Il faut dire qu’à la maison j’étais imprégné de ce fameux humour juif. Tout tourner en dérision pour supporter le plus horrible, pour alléger la vie.

Vous avez grandi en petit Parisien’

Mon père était tailleur mais, en même temps, il était là. Il travaillait à domicile, avec ses machines dans l’appartement. C’était dans le 18e arrondissement de Paris, près de Barbès. Il y avait mon petit frère, le foot au Red star de Saint-Ouen, les croissants du boulanger d’en bas, le gigot-pommes de terre qu’on lui amenait à cuire dans le four, j’allais chercher le vin à côté avec le casier métallique’ C’était une enfance à la Amélie Poulain. Sauf que mes parents passaient leur vie à se disputer. J’ai retrouvé une carte postale que je leur avais envoyée de colo, à 7 ans. J’écrivais : « J’espère que quand je rentrerai, vous ne vous battrez plus ». J’en ai souffert. Aujourd’hui, j’essaie de ne jamais laisser les choses s’envenimer.

La médecine a-t-elle été une vocation ‘

Pas du tout ! Tous les juifs de la confection veulent que leur fils soit avocat ou chirurgien. Pour le prestige et la sécurité. Et puis Mithri, le fils du boulanger, mon meilleur copain, redoublait sa première année de médecine à Necker. Cette fac, c’était le must, la Champions league. Statistiquement, après un bac D mention Assez bien obtenu du deuxième coup, j’avais 0,0001 % de chances de passer en deuxième année. J’ai bossé comme un fou. Une année de prison. Mais j’ai mis à mal les statistiques. Et passé ce bachotage, j’ai tout aimé : le contact, les gestes, le corps humain, le port de la blouse, col relevé, stéthoscope autour du cou, qui fait qu’un jour on vous dit « Bonjour docteur ». Et les quatre années d’internat à Chartres. J’étais l’économe de la salle de garde, lieu défouloir pour un jeune de 25 ans qui voit la misère, la maladie, la mort toute la journée. J’ai adoré être un tyran sur son trône aux accoudoirs en forme de phallus. J’ai organisé une soirée ferme (« Beauce et Perche »), avec dindes, oies et poulets. Amené un cochon shooté au Lexomil. Rempli les tiroirs des secrétaires de souris. Mon côté carabin vient de là.

Pourquoi avoir choisi de devenir ORL ‘

Si je vous dis que c’est la spécialité dans laquelle il y a le plus d’orifices, vous ne l’écrirez pas dans Le Monde ‘ Je voulais aussi faire de la chirurgie maxillo-faciale’ J’ai démarré comme attaché à l’hôpital, et je me suis installé avec un copain à Antony (Hauts-de-Seine), mais je me suis vite ennuyé. A l’époque de l’internat, j’avais tenté d’écrire des petites chroniques santé sur le format de celles que j’entendais sur France info. Ensuite, j’en ai fait d’autres qui ont vraiment servi, sur Europe 2. J’avais rencontré quelqu’un de cette radio dans un rallye dont j’assurais les rapatriements sanitaires. Un jour, le journaliste pour lequel j’écrivais la chronique chaque semaine était absent, c’est moi qui l’ai lue à l’antenne. J’adore expliquer. J’ai des facilités pour traduire dans ma langue maternelle cette langue étrangère qu’est la médecine. Cela a été Europe 2, puis cette vitrine extraordinaire qu’est France info, puis Télématin, la Cinquième et Le journal de la santé en 1998 avec Marina Carrère d’Encausse, qui m’a donné une autre dimension.

Vous présentez un magazine quotidien sur France 5 et plusieurs autres émissions médicales très suivies sur France Télévisions, vous avez publié une dizaine de livres, dont le dernier, Vivre mieux et plus longtemps (Stock), s’est écoulé à 270 000 exemplaires en trois mois, vous êtes l’animateur préféré des Français, et même au neuvième rang des personnalités préférées. Comment vivez-vous cette notoriété ‘

La surexposition m’effraie. Quand je me vois partout dans les médias, je m’auto-saoûle. Je refuse toutes ces invitations qui m’arrivent non pas pour ce que j’ai à dire, mais parce que je fais venir du monde. J’accepte les selfies dans la rue parce qu’ils sont la contrepartie du succès. Ceux qui me les demandent sont les mêmes qui regardent mes émissions, qui lisent mes bouquins. Heureusement, ils s’adressent à moi d’un « Bonjour docteur », cela instaure une distance respectueuse, je ne suis pas un chanteur. Devenir animateur préféré (selon TV mag), cela m’a fait très plaisir, mais un peu gêné. Dans ma tête, je ne suis que médecin. Et je me retrouve devant Nagui ‘ J’ai une consultation ORL deux matinées par semaine à l’hôpital Georges Pompidou. J’ai un besoin viscéral d’aller à l’hosto, lire dans le regard des patients que je suis médecin, me rendre utile dans le métier que j’ai voulu faire. J’ai une secrétaire pitbull qui sait écarter ceux qui voudraient voir le médecin de la télé, et le prennent pour un Dieu vivant. Si ma merveilleuse vie actuelle s’arrête, je m’installe avec des potes. J’ai cette sécurité. La Roche tarpéienne est proche du Capitole.

Pour l’instant, vous êtes en haut de la falaise, parmi les dix personnalités préférées des Français (selon le JDD). Cela vous confère-t-il une responsabilité particulière ‘

Enorme. J’ai le sentiment que ma parole porte. J’ai coupé tout lien avec l’industrie pharmaceutique depuis une quinzaine d’années. Quand j’ai commencé dans le métier, j’ai animé des symposiums, j’ai profité de voyages, j’ai pu être un peu manipulé, parler d’une maladie, et des bienfaits d’un traitement, sans réaliser qu’il n’était pas besoin de citer le médicament pour que le laboratoire leader sur le marché en profite’ C’est inenvisageable aujourd’hui. Je dois être encore plus au fait de l’actualité médicale, ne pas me prononcer de façon péremptoire. Et je veux en profiter pour passer davantage de messages de santé publique, en luttant contre la désinformation venant de certains confrères, même professeurs. Sur la vaccination contre l’hépatite B, qui peut tuer en 48 heures. Sur le cancer, encore trop associé à une condamnation, dans l’esprit des gens, alors que les taux de guérison atteignent maintenant 60-70 %.

Cette popularité, c’est la belle revanche du recalé au bac ‘

J’ai surtout immédiatement pensé à mon grand-père paternel. Le même pays qui l’a envoyé à la mort, en 1942, donne cette preuve d’affection à son petit-fils 74 ans après. Il y a quelque chose d’une rédemption. Mes deux grands-pères sont venus de Pologne dans les années 1920, et ont été déportés. Quand mon grand-père paternel a été convoqué par la police française, en mai 1942, il a rassuré ma grand-mère : il s’était engagé, il avait servi dans l’armée, il ne pouvait rien lui arriver ! Il a été envoyé à Drancy, Pithiviers, puis Auschwitz’ Il est parti dans le convoi numéro 4. En juillet, ma grand-mère paternelle a échappé à la rafle du Vel d’Hiv parce qu’elle avait été avertie par un policier communiste, et s’est cachée sous les cartons de la boutique voisine’ Quand j’ai été informé du classement du JDD, je suis allé au gymnase Jappy, où a été convoqué mon grand-père, et moi qui ne suis pas croyant, je me suis adressé à lui.

La mémoire de l’Holocauste a plané au-dessus de votre enfance ‘

On n’en parlait pas trop, mais comme tout enfant, j’ai certainement fait l’éponge’ C’est en vieillissant que je me suis senti concerné, peut-être par besoin de transmettre à mes trois garçons. Je suis allé à Auschwitz il y a huit ans, sur la trace de mes grands-pères. Cette période continue de me perturber. Il y a des angoisses, une insécurité. Je ne suis pas tranquille en lettres majuscules.

Votre livre le plus personnel, Hippocrate aux enfers (Stock, 2015), sur les médecins des camps de la mort, a déclenché une polémique’

Cela a été une grosse souffrance de le préparer, de l’écrire, de le porter. Je faisais des cauchemars tout le temps. Comment des hommes qui exerçaient le même métier que moi avaient-ils pu faire ça ‘ Pour décrire ce que les cobayes avaient ressenti dans leur chair, je devais me mettre à leur place’ Dans la préface, j’ai écrit que je ne suis pas historien, juste un médecin, petit fils de déportés, qui essaie de comprendre. Je ne m’attendais pas à prendre autant de coups, à être traîné dans la boue. Je n’avais pas mesuré le problème de certains avec le passé de l’Alsace. Cela fait presque un an que l’université de Strasbourg s’est engagée à créer une commission scientifique qui doit vérifier s’il reste des coupes anatomiques de déportés. Je ne vais pas les lâcher. Si des restes demeurent, le respect dû aux déportés veut qu’ils soient incinérés.

Propos recueillis par Pascale Krémer

Enquête de santé, « Faut-il fermer les hôpitaux et les maternités de proximité ‘ ». France 5. Mardi 10 mai. 20h45

Vivez mieux et plus longtemps, Stock, février 2016 (279 p., 18,50 euros)

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