Loi travail , derrière la surenchère de Gattaz des tensions au sein du patronat

Loi travail , derrière la surenchère de Gattaz des tensions au sein du patronat

Le Monde
| 20.04.2016 à 10h35
Mis à jour le
20.04.2016 à 12h55
|

Par Audrey Tonnelier

Rien ne va plus entre le patronat et le gouvernement à propos de la loi travail. « Cette loi, dans son état actuel, nous n’en voulons pas ! », a martelé François Asselin, le président de la CGPME, mercredi 20 avril.

« Nous demandons que le projet d’amendement sur la surtaxation des CDD [qui vise à rendre obligatoire la modulation des cotisations patronales sur les contrats courts] ne soit pas inscrit dans la loi. Sinon, nous ne signerons pas d’accord dans le cadre des négociations sur l’assurance -chômage. »

La Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises avait déjà averti le 11 avril qu’elle « posera[it] prochainement à ses instances la question de son départ de la négociation en cours sur l’assurance-chômage » en cas de surtaxation des CDD.

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« Point de rupture »

Cette position fait écho à l’ultimatum adressé à l’exécutif, mardi 19 avril, par Pierre Gattaz, le président du Medef. « Politique de gribouille », « délire », « absurdité »’ M. Gattaz a fustigé le projet de réforme du code du travail, dont l’examen doit débuter le 3 mai à l’Assemblée nationale.

« Je demande solennellement que ce texte soit corrigé rapidement. Si rien ne bouge d’ici trois semaines [un conseil exécutif de l’organisation patronale aura lieu le 9 mai], nous demanderons la suspension des négociations sur l’assurance-chômage. »

Le Medef demande le retrait de trois points du texte : le mandatement syndical obligatoire pour les petites entreprises sans représentant du personnel, c’est-à-dire l’obligation de négocier des accords d’entreprise avec des salariés mandatés par un syndicat ; le compte personnel d’activité (CPA) ; et la surtaxation des CDD. Cette dernière disposition ne figure pas encore dans le texte, mais doit faire l’objet d’un amendement du gouvernement.

« Nous avons atteint notre point de rupture », a lancé mardi M. Gattaz, déplorant la « politisation » du débat à un an de l’élection présidentielle et l’attitude de « lutte des classes » adoptée, selon lui, par la Confédération générale du travail (CGT) et Force ouvrière (FO).

Prise « en otage »

Du côté du gouvernement, la manière ne passe pas. Mercredi matin, sur France Info, le premier ministre, Manuel Valls, a regretté un « ultimatum » sur la loi travail, qui prend selon lui « en otage la négociation de l’assurance-chômage ».

« La nation, c’est-à-dire les Français, a consenti un effort de plus de 40 milliards d’euros [dans le cadre du pacte de responsabilité] (‘) pour faire baisser le coût du travail, la fiscalité sur les entreprises qui avait trop augmenté (‘) », a rappelé M. Valls, enjoignant à M. Gattaz de « respecter le Parlement ».

De fait, le texte actuel, bien qu’édulcoré pour apaiser la colère de la majorité et des organisations lycéennes et étudiantes, répond à plusieurs revendications patronales : clarification des critères de licenciement économique, assouplissement du temps de travail, accords dits « offensifs » en faveur de l’emploi’

Face au bras de fer qui se profile, la CGPME semble néanmoins sur une ligne moins radicale que le Medef. M. Asselin :

« Nous ne souhaitons pas prendre la négociation Unedic en otage. Même si nous la quittions, le problème resterait entier sur la loi travail. Nous n’attendons pas de miracle, mais nous souhaitons voir réintroduites les mesures favorables aux PME. »

A savoir, la possibilité pour les apprentis mineurs de travailler jusqu’à quarante heures par semaine, l’introduction d’un barème pour les indemnités prud’homales, et la négociation du passage au forfait-jour directement avec un salarié.

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Là aussi, le texte a pourtant déjà été modifié au début d’avril, afin de prendre davantage en compte les TPE-PME, avec un barème pour les ruptures du contrat de travail provoquées par des difficultés économiques. Une société employant moins de onze personnes pourra se séparer de salariés si elle est confrontée à une baisse de ses commandes ou de son chiffre d’affaires « au moins égale à un trimestre », alors que le barème va jusqu’à quatre trimestres consécutifs pour les groupes de plus de trois cents salariés.

Mais la CGPME craint que ce système ne soit retoqué par le Conseil Constitutionnel, comme l’avait été le barème prud’homal de la loi Macron, à l’été 2015.

Rapport de forces

Au-delà des querelles sur le texte, la crispation des organisations patronales illustre l’évolution des rapports de force en leur sein. M. Gattaz s’est bien gardé de préciser, mardi, quelles fédérations avaient fait pencher la balance en faveur du net durcissement de son discours.

Mais, alors que le patron des patrons doit passer la main en 2018 (il a dit qu’il ne briguerait pas un second mandat), les tensions semblent de plus en plus nombreuses entre les défenseurs des petites entreprises, qui constituent l’essentiel du tissu économique hexagonal, et les représentants des grands groupes, au premier rang desquels la puissante Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM).

Le tout se déroule sur fond de débat sur la représentativité des organisations patronales, où chacun compte ses troupes : un article du projet de loi sur le code du travail prévoit justement de tenir compte à la fois du nombre d’adhérents (à hauteur de 20 %) et du nombre de salariés représentés (à 80 %) pour être consulté, par exemple, en cas d’accord interprofessionnel. Une mesure perçue comme favorable aux grands groupes, au détriment des artisans et des professions libérales.

Dans ce jeu de poker menteur, la CGPME a aussi sa carte à jouer. M. Asselin :

« On ne peut que se réjouir que le Medef, beaucoup plus enthousiaste que nous lors de la première version du projet de loi, se réveille enfin. »

En agitant le chiffon rouge d’un abandon pur et simple des négociations, les organisations patronales prennent toutefois le risque d’apparaître aussi radicales dans leurs méthodes que ceux qu’elles critiquent, à savoir les organisations syndicales. Et de laisser le gouvernement décider seul de l’avenir de l’Unedic, en cas d’échec des négociations au 30 juin, date de l’expiration de la convention actuelle.

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