Lingot du Nord ail d’Arleux carotte de Tilques , où sont nos légumes anciens

Lingot du Nord ail d'Arleux carotte de Tilques , où sont nos légumes anciens

«
Quand le lilas est fleuri, le cresson est fini.
» Et le lilas sera bientôt là’ Bernard Ledoux façonne parmi les dernières bottes de cresson de la saison. D’octobre à avril, la plante potagère prolifère dans l’eau. Le producteur en a jusqu’aux genoux. «
Là-bas, c’est pire, ça monte jusqu’aux cuisses.
» Il arrache les feuilles, les taille au couteau. Tout est fait à la main. Il est le dernier cressiculteur de l’Audomarois. Ils ne sont d’ailleurs plus qu’une poignée dans le Nord et le Pas-de-Calais, une quinzaine quand ils étaient 200 au moment de la Seconde Guerre mondiale’

Certaines variétés de légumes ont disparu. D’autres sont menacées. Pensez. La barbe-de-capucin, très répandue au milieu du XXe siècle, n’est plus cultivée que par un seul producteur dans les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais’ Tenez. Les carottes étaient presque cuites pour la chicorée tête d’anguille. C’était pourtant la chicorée à café la plus populaire au début du XXe siècle, appréciée pour sa qualité et son rendement, explique Richard Boucherie, responsable des légumes anciens au centre régional des ressources génétiques. «
Elle est moins amère que les autres. Elle a la particularité d’avoir une longue racine et un collet qui se termine’ en tête d’anguille.
» Mais la taille de sa racine la rendait difficile à arracher. Il y avait trop de casse.

Le SAMU des légumes

Des maraîchers de Rosendael ont commencé à vendre la chicorée tête d’anguille en tant que légume. Entre Calais et Dunkerque, les cuisiniers ont pris l’habitude de préparer les racines de la plante. Une habitude qui a fini par se perdre. Progressivement délaissée, on la croyait même disparue, jusqu’à ce qu’un grainetier de Bourbourg la fasse sortir de ses tiroirs. «
Nous avons obtenu son inscription au catalogue des variétés potagères en 2012
», précise Richard Boucherie. La chicorée tête d’anguille a sorti la tête de l’eau. Des graines sont à nouveau disponibles dans les magasins.

«
Nous sommes un peu le SAMU des variétés anciennes !
» Dernière intervention Le sauvetage inespéré de l’oignon rouge d’Abbeville. «
On le croyait perdu. On a appris qu’un jardinier avait encore une souche. On est allés le voir et on a récupéré la semence.
» Elle est aujourd’hui précieusement conservée au centre régional des ressources génétiques (lire par ailleurs) qui sauvegarde les variétés de fruits et de légumes cultivées sur notre territoire.

« Un peu de notre histoire »

«
Quand nous trouvons une variété, nous recueillons d’abord toutes les informations auprès du propriétaire. Nous la comparons à ce qui existe. Nous analysons ses caractéristiques et déterminons en quoi elle est originale. Ensuite, nous multiplions les semences rapidement pour augmenter les stocks.
» Les graines sont ensuite placées pour partie au réfrigérateur, pour partie au congélateur. Elles sont ressemées régulièrement.

«
La préservation d’une variété tient souvent au savoir-faire. Par exemple, le lingot du Nord fait traditionnellement l’objet d’un séchage en perroquet, sur des structures en bois en formes de tentes indiennes.
» Une tradition qui se perd. Richard Boucherie est vigilant. «
Les variétés anciennes ont un vrai intérêt. Celles qui ont su traverser les années ont des facultés de rusticité. Elles sont très adaptées au terroir. Elles nécessitent donc moins de traitements. C’est intéressant pour les jardiniers amateurs comme pour les producteurs. Au-delà, ces légumes font partie de notre patrimoine. C’est un peu de notre histoire.
»

Plus d’informations sur la cressonnière de Tilques sur
http://www.la-cressonniere-de-tilques.com/

Une si aimable carotte de Tilques

La chaise est installée dans le jardin. Mais le soleil ne brille pas encore tout à fait assez pour trier les graines de carotte. «
Il faut une journée pour obtenir une livre.
» Patrick Bédague regarde son père faire tourner les graines dans un seau. Un doux parfum s’évapore en même temps que les particules superflues s’envolent. «
Moi, je ne l’ai jamais fait. Il faut beaucoup de patience. Mon fils, lui, devra s’en occuper.
» «
Je vais peut-être inventer une petite machine pour le faire
», dit-il.

Trois générations

Trois générations. Une seule carotte de Tilques. C’est l’une des gloires du territoire. Elle a même son panneau à l’entrée du village. La plante à racine pivotante du coin est reconnue tant pour sa rusticité que pour sa saveur sucrée. Pour son c’ur gros et tendre, aussi. Il est probable que cette variété ait une parenté avec la Rouge pâle de Flandre aujourd’hui disparue. Semée mi-mai les anciens choisissaient plutôt juin , elle est récoltée en automne. La carotte de Tilques a connu son apogée de 1930 à 1950. Elle était alors cultivée sur une centaine d’hectares. «
Il y a vingt ou trente ans, les clients venaient chercher des sacs de 10 ou 25 kilos de carottes. À l’époque de mon père, ça allait jusqu’à 50 kilos. Les gens les stockaient dans leur cave. Aujourd’hui mon fils les vend en petits sacs en papier
», explique Patrick Bédague.

Comme le lingot du nord ou l’ail d’arleux

Il y a quelques années, ils se comptaient sur les doigts d’une seule main, les agriculteurs qui faisaient lever les carottes de Tilques. Ils sont aujourd’hui une dizaine. Sept d’entre eux viennent de s’associer afin de se mettre en quête de l’indication géographique protégée (IGP), déjà attribuée au lingot du Nord et à l’ail d’Arleux. Ce signe est attribué à un produit dont les qualités, la notoriété ou d’autres caractéristiques (savoir-faire traditionnel, techniques de production’) sont liées à une zone géographique d’origine.

La carotte de Tilques bénéficie déjà de la marque « Parc naturel régional des caps et marais d’Opale ». «
On veut protéger la carotte de Tilques afin qu’elle ne puisse pas être cultivée n’importe où tout en étant présentée comme carotte de Tilques. L’obtention de l’IGP serait une reconnaissance. Alors c’est vrai qu’en tant que tilquois, on est un peu chauvins. Mais ce qui est sûr, c’est que cette carotte fait partie du patrimoine.
»

Avis de recherche et portés disparus

‘ Le centre régional de ressources génétiques pour sauvegarder les espèces

L’histoire, c’est celle d’un homme, René Stiévenard, qui craignait de voir disparaître la biodiversité domestique en raison de l’industrialisation de l’agriculture. L’histoire, c’est celle du centre régional de ressources génétiques (CCRG) créé en 1984, un modèle unique en France. Il s’est d’abord intéressé à la sauvegarde des arbres fruitiers : les pommiers, les poiriers puis les pruniers, les cerisiers et même les abricotiers, les pêchers et plus récemment la vigne. Entre 1 300 et 1 500 variétés sont conservées dans un verger à Villeneuve-d’Ascq, près du parc du Héron. D’autres vergers ont ensuite été créés dans la région et possèdent des doublons de ces mêmes variétés.

La structure, qui compte aujourd’hui 11 personnes, se consacre aussi à la préservation des espèces animales (chevaux Traits du Nord, moutons boulonnais, coqs combattants du Nord…), des légumes et plus récemment des céréales. « Il ne s’agit pas de faire de la conservation pour la conservation
», explique Michel Marchyllie, le directeur du CRRG. « Nous accompagnons la structuration de filières et participons à la mise sur le marché de variétés qui ont pu être préservées. Il faut que ça serve aux habitants de la région, à ses agriculteurs et à ses entreprises. »

‘ Comment en prendre de la graine

Les graines Bocquet, installées à Moncheaux, entre Lille et Douai, diffusent des semences de ces légumes de la région qui avaient été oubliés mais auxquels le centre de ressources génétiques veut donner une nouvelle chance : la carotte géante de Tilques à pétioles verts, la laitue lilloise, le flageolet blanc de Flandre, la chicorée tête d’anguille, la laitue grand-mère à feuilles rouges, le haricot Princesse du Pévèle, la laitue Gotte de Loos ou encore le haricot flageolet Verdelys. www.graines-bocquet.fr

‘ Portés disparus

Le pois chaud de Pecquencourt. L’asperge de Marchiennes. La carotte jaune longue d’Achicourt. La laitue paresseuse du Pas-de-Calais. Le pois très hâtif d’Arras. Le chou Gloire des Flandres’ Et tant d’autres. Mentionnées dans les livres spécialisés du XVIIIe ou du XIXe siècles, citées dans les bulletins des anciennes sociétés d’horticulture, ces variétés semblent avoir malheureusement disparu de nos contrées. Les jardiniers qui pensent détenir l’un ou l’autre de ces spécimens peuvent toutefois se rapprocher du centre régional de ressources génétiques (CRRG), ferme du Héron, chemin de la ferme Lenglet à Villeneuve-d’Ascq. Tél. : 03 20 67 03 51.

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