L’État a déclaré majeure et livré à la rue une adolescente en l’excluant du centre de rétention de Lesquin
Son parcours
C’est une jolie jeune fille avec un air calme et triste, qui raconte son histoire d’un ton fatigué. À 14ans, D. a été, dit-elle, enlevée à Kinshasa puis violée pendant des mois par les supérieurs de son père qui était policier. Elle s’échappe grâce à la femme de ménage, se cache chez le pasteur de son village puis est emmenée par une dame qui lui propose de fuir, avec trois autres enfants, vers Paris. On lui donne de faux papiers. À l’aéroport, la dame lui demande d’attendre et ne revient jamais.
Au final, la jeune fille se retrouve au commissariat de Beauvais puis au centre de rétention de Lesquin pour usage de faux papiers : «
J’ai expliqué que j’étais mineure mais on ne m’a pas crue à cause de mes tests osseux.
» Elle y restera presque un mois : «
C’était l’enfer, je ne dormais plus.
» Grâce à son avocate et un vice de procédure, elle est libérée et se retrouve seule devant la porte du centre de rétention. On est en août, D. a 16 ans et nulle part où aller.
L’intervention
«
On a été contacté par l’Ordre de Malte, raconte Bernard Lemettre, président régional du Nid, une association de lutte contre la prostitution. Ils nous ont dit qu’il y avait une situation d’urgence avec une fille visiblement mineure qui allait se retrouver dehors. On a envoyé quelqu’un.
» Pour le responsable, le cas de D. est emblématique : «
Tout ce qui lui est arrivé depuis son départ du Congo est symptomatique des méthodes des proxénètes : on paye le billet, les papiers, on met la victime dans une situation de détresse puis on cherche à récupérer son investissement. Ils allaient la prostituer, elle était en danger.
»
Avocate de D. et spécialiste des mineurs isolés, Me Émilie Dewaele confirme : «
Vu son parcours, elle allait, au minimum, être happée par un réseau d’esclavage domestique.
» Grâce aux contacts du Nid, le certificat de naissance de D. est récupéré au Congo. Le juge des enfants tranche : D. est bien mineure. Les services de l’État ont remis une ado de 16 ans à la rue plutôt que de la prendre en charge, dès son arrivée au commissariat, via le service d’aide sociale à l’enfance (1).
Y a-t-il faute de l’État
«
Ce qu’il s’est passé n’est même pas illégal, soupire Me
Dewaele.
Depuis 2013, c’est au mineur de prouver son âge. D’après les tests osseux effectués à Beauvais, D. était majeure. Personne n’a cherché à vérifier plus en avant’
» Selon l’avocate, les conditions d’accueil se sont durcies : «
Il n’y a plus de placements provisoires en attendant le jugement pour la minorité sauf si on a affaire à un petit enfant. Sinon ils écrèment au maximum. Et comme les tests osseux sont souvent bidon, il y a beaucoup d’erreurs !
»
1. La préfecture n’a pas souhaité communiquer.