Les médias à l’heure de la  post-vérité  Posez vos questions à Julia Cagé

Les médias à l'heure de la  post-vérité   Posez vos questions à Julia Cagé

Oui une partie du problème vient en effet que les médias traditionnels sont en train de perdre la bataille de l’intérêt et de l’attention face aux réseaux sociaux. C’est ce qui explique en partie la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis.

Informer est important. Cela doit être la mission première du journaliste. Mais il faut aussi convaincre les lecteurs de venir lire l’information produite. Il ne suffit pas de dire « nous avions décortiqués le programme de Trump », il faut s’assurer que les citoyens ont une envie de lire cette analyse.

D’où une priorité aujourd’hui : redonner de l’envie aux lecteurs, par exemple avec des supports alternatifs. Et rétablir la confiance. Malheureusement informer ne suffit plus.

La question du financement des médias est en effet une question centrale et je pense qu’une partie de la solution à la crise de confiance se jouera en effet sur le financement.

Le financement public peut être considéré comme une partie de la solution, mais il faut être extrêmement attentif à la forme que celui-ci prend. En effet, il doit se faire sans aucune intervention de l’Etat et des pouvoirs publics, de manière neutre et automatique.

Dans mon livre Sauver les médias, je propose un nouveau modèle, la société de média à but non lucratif, qui répond à cette question et qui va plus loin.

La société de média à but non lucratif fonctionne comme une fondation : les citoyens qui donnent de l’argent aux médias bénéficient en échange d’une réduction d’impôt. Ceux sont donc les citoyens et non l’Etat qui décident du financement.

De plus, dans la société de média à but non lucratif, les droits de vote des plus petits actionnaires augmentent plus que proportionnellement avec leur apport en capital, et les droits de vote des plus gros actionnaires sont eux limités. C’est une manière d’introduire davantage de démocratie dans la propriété des médias et de protéger l’indépendance des journalistes. En donnant du pouvoir politique (des droits de vote) aux citoyens actionnaires, c’est aussi une façon de renouer un lien de confiance !

Je pense que la question clef est celle du poids démesuré donné aux sondages, alors même que les marges d’erreurs ne sont pas publiées. On discute depuis lundi de sondages qui classent les candidats dans un ordre puis dans l’autre, comme si chaque nouveau sondage était un scoop, alors même que tous les candidats sont dans la marge d’erreur ! Autrement dit on n’en sait rien !

Il devrait y avoir je pense une régulation obligeant les médias à publier avec les sondages les écarts-types. Cela aurait deux conséquences positives : les médias publieraient moins de sondages, car ces derniers se ressembleraient beaucoup plus, et d’autre part, les citoyens ne seraient de cette manière plus trompés.

Merci Bernays pour votre question. C’est l’occasion pour moi de faire une clarification plus nécessaire que jamais : il y a d’un côté des journalistes, et de l’autre des éditorialistes. Les éditorialistes éditorialisent, ce qui revient le plus souvent pour eux à nous assommer de leurs opinions conservatrices.

Je pense que c’est un vrai problème aujourd’hui car cela affecte négativement la confiance dans les médias. Les citoyens ont tendance à identifier tous les journalistes à cette figure de l’éditorialiste et les médias en souffrent. Mais la réalité des journalistes (tous ceux qu’on ne voit pas à la télé) est bien différente. Ceux sont des gens qui pensent, analysent, réfléchissent avant d’asséner.

Et puis que vous en parlez, la gauche d’Hamon n’est pas utopiste !

Il n’existe pas de « faits alternatifs » : un fait est un fait. Il ne peut pas y avoir deux nombres différents sur les participants à l’investiture de Donald Trump : il y a une réalité qui correspond à un seul nombre. C’est ce qui caractérise les faits.

Ensuite il est vrai qu’un fait peut donner lieu à des analyses différentes, mais on entre dans une autre dimension. Que faire par exemple face au problème du chômage : une politique de l’offre ou une politique de la demande Les opinions peuvent diverger, les politiques publiques également. C’est pour cela qu’un traitement journalistique peut être biaisé.

Mais les faits eux n’ont jamais tort. Vous devriez relire Orwell !

Je pense que les médias ne cessent de se remettre en question, et en particulier les journalistes. Le lancement de Décodex par Le Monde aujourd’hui en témoigne (non non je n’écris pas ça sous la pression du journaliste du Monde assis à ma droite !)

Par contre il est vrai que les actionnaires n’ont pas suffisamment pris conscience des conséquences de leurs ingérences, ou alors s’en préoccupent peu. Que penser de Bolloré à Canal + et à I-télé ! Les journalistes dans de nombreuses rédactions se battent aujourd’hui pour davantage protéger leur indépendance, la mise en place de véritables chartes éthiques,… Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et soutenir leur combat pour l’indépendance !

La méfiance des Français dans les médias est malheureusement de plus en plus élevée. La Croix publie demain son baromètre annuel sur la question, les résultats sont effrayants. Non seulement les Français ne font plus confiance aux médias, mais ils se désintéressent également de plus en plus de l’information que ceux-ci produisent.

Je pense que le contexte actuel, et notamment les événements de l’an dernier avec le combat perdu des journalistes d’I-télé, n’a pas aidé. Heureusement il existe des solutions, mais il faudrait que celles-ci soient davantage poussées politiquement !

Il y a deux dimensions.

Tout d’abord, un certain nombre de sites de fake news n’ont pas de modèle économique car leurs motivations ne sont pas économiques, elles sont politiques ou idéologiques. Les sites identitaires par exemple ne sont pas créés pour gagner de l’argent mais pour désinformer les citoyens.

Ensuite, il faut savoir que ça ne coûte pas cher de produire des fake news… donc pas besoin de recettes élevées pour financer cette production ! Les revenus publicitaires en ligne peuvent ainsi être suffisants.

Bonjours à tous. Ravie de participer à ce chat du Monde.

Merci Nicolas pour cette question sur la post-vérité. Je pense en effet que l’on donne trop de place à ce nouveau concept : la post-vérité, ça n’existe pas.

Mais la place prise par cette idée récemment témoigne d’une inquiétude bien réelle : comment s’informer aujourd’hui A quel site peut-on faire confiance Qui croire ou ne pas croire L’enjeu des médias aujourd’hui est de renouer une relation de confiance avec leurs lecteurs, afin que ceux-ci ne soient pas toujours dans le doute.

Bonjour à tous et bienvenue dans ce chat. Julia Cagé, économiste et spécialiste des médias, répond à vos questions sur la « post-vérité », la crise de l’information et la montée des fausses informations.

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