L’enfer des contrôles de sécurité dans les aéroports aux Etats-Unis

L'enfer des contrôles de sécurité dans les aéroports aux Etats-Unis

Le Monde
| 17.05.2016 à 14h24
Mis à jour le
17.05.2016 à 15h13
|

Par Luc Vinogradoff

La période où les aéroports sont submergés par les voyageurs n’a pas encore atteint son pic aux Etats-Unis, mais la situation est déjà à un niveau critique. Assez pour que depuis quelques semaines, des centaines de vols soient retardés et des milliers de passagers, pourtant arrivés à temps, ratent leur avion. Assez pour que le gouvernement débloque des fonds d’urgence et que les compagnies aériennes incitent leurs clients à se plaindre publiquement.

Le problème n’est pas météorologique, il est systémique. La Transportation Security Administration (TSA), agence fédérale qui gère les contrôles de sécurité, est complètement dépassée. En cause, des problèmes techniques, mais surtout un manque criant de personnel pour fouiller bagages et passagers.

Ces défaillances chroniques sont montées d’un cran, jusqu’à atteindre un pic de dysfonctionnement depuis une semaine, entraînant des attentes interminables dans les couloirs surpeuplés des plus grands aéroports américains.

L’adage veut qu’on arrive à l’aéroport au moins deux heures avant de prendre son avion si on ne veut pas courir. La semaine dernière, les compagnies américaines ont fait savoir aux passagers qu’il fallait maintenant se donner au moins trois heures. Juste pour être sûr d’embarquer.

A l’aéroport international O’Hare de Chicago, plus de mille passagers d’American Airlines ont raté leur vol à cause de contrôles trop longs en mars. Un porte-parole de la compagnie résume la situation :

« La TSA est notre problème numéro un en ce moment, et ça ne va qu’empirer »

Comment en est-on arrivé là ‘

Le site Quartz a fait un graphique très simple qui résume le problème auquel sont confrontés les aéroports américains : depuis 2010, il y a de plus en plus de passagers, et de moins en moins de « screeners », les employés de TSA qui réalisent les fouilles.

Depuis 2013, le gouvernement et TSA ont supprimé 4 622 postes de screener, soit 10 % des effectifs, en vantant un système automatisé complémentaire auprès des passagers : le « PreCheck », permettant d’éviter la file d’attente ou de ne pas enlever ses chaussures et sa ceinture.

Ils espéraient que ce dispositif payant par l’usager (entre 17 et 20 dollars par an et par personne) ait un succès assez important pour désengorger les files d’attente classiques et compenser la réduction de personnel. La TSA visait 25 millions d’utilisateurs en mars 2016 sur ce service ; le chiffre actuel n’est que de 9,3 millions. Un pari complètement raté, dont les effets se font sentir maintenant.

« TSA, vous vous foutez de ma p***** de gueule ‘ »

La vidéo a été vue plus de deux millions de fois et symbolise le calvaire que vivent actuellement de nombreux passagers aux Etats-Unis. Le 12 mai, un homme arrive à l’aéroport de Midway, à Chicago, et se rend compte que l’attente avant de passer les contrôles de sécurité est’ longue.

Il va presque au début de la file, et la filme jusqu’à la fin. « Quand je suis arrivé au bout, je me suis dit p*****, les gens vont probablement vouloir voir ça’ », annonce-t-il après coup. La vidéo est un long travelling surréaliste, comme un dessin animé répétitif dont on pense qu’il va s’arrêter mais qui continue chaque fois un peu plus. Elle s’appelle « TSA, vous vous foutez de ma p***** de gueule ‘ »

Des scènes similaires ont eu lieu dans d’autres aéroports majeurs, à Denver, New York, Phoenix, Atlanta, Los Angeles ou Las Vegas. A l’aéroport international Hartsfield-Jackson d’Atlanta, le plus grand au monde par le trafic, des compagnies aériennes ont distribué de l’eau et de la nourriture aux personnes qui attendaient lors des contrôles.

Les journaux locaux publient des « guides de survie » pour ne pas devenir fou en attendant, avec des conseils un peu débiles comme « prenez toujours la file de gauche, parce que la majorité des gens sont droitiers et ont tendance à aller vers la droite ».

Tu détestes l’attente ‘ Partage ta colère

La colère est telle qu’une alliance improbable s’est formée entre passagers, aéroports et compagnies aériennes. A Phoenix, la situation a atteint des niveaux d’absurdité comique lorsque des valises ont dû être envoyées à l’aéroport voisin de Las Vegas pour être contrôlées aux rayons X, les machines étant défectueuses. Les responsables de l’aéroport de Phoenix-Sky Harbor ont alors menacé d’arrêter de travailler avec la TSA et de faire appel à des compagnies privées.

La Port Authority de New York et du New Jersey, qui gère les aéroports J. F. Kennedy, LaGuardia et Newark, a posé le même ultimatum : ou la TSA fait en sorte que l’attente se réduise, ou ils se passeront de leurs services. Un responsable, cité par ABC, est très clair :

« Nous ne pouvons plus tolérer les insuffisances des services au client de la TSA. »

Les compagnies aériennes jouent leur propre jeu de pression. En plus de rejeter la responsabilité totale du chaos sur la TSA, elles incitent les passagers à se plaindre, à prendre des photographies et à les diffuser sur Internet. Airlines for America, qui regroupe les principales compagnies américaines, a lancé le site #IHateTheWait (je déteste l’attente) pour centraliser plaintes et photos.

« Merde alors, la file va jusqu’au bout du terminal et à travers la porte. »

« Trois cent cinquante personnes au PreCheck à 5 h 30 à ORD [aéroport de O’Hare]. »

« Véritable chaos, d’un mur à l’autre à O’Hare Airport. »

L’autre levier est d’inciter à des actions de guérilla contre les comptes de la TSA sur les réseaux sociaux. Son compte Twitter n’ose plus écrire de messages depuis le 6 mai. Son compte Instagram est encore actif, mais quand il essaie d’être un peu léger en mettant la photo d’un zombie transporté pour un film, la première réponse est : « Ce mec est mort en faisant la queue avant les contrôles de sécurité. »

La TSA est restée relativement silencieuse ces derniers jours. Seuls des communiqués laconiques promettent que tous les moyens sont mis en uvre pour réduire les temps d’attente, et que leur priorité reste les menaces terroristes.

Un bras de fer budgétaire se joue en coulisse. Le Congrès vient d’approuver une enveloppe de 34 millions de dollars supplémentaires (30 millions d’euros) pour l’agence fédérale, notamment pour payer des heures supplémentaires et embaucher 768 screeners d’ici au mois de juin. Selon le principal syndicat de la TSA, cela ne fera aucune différence puisqu’il estime qu’il faut au moins 6 000 screeners supplémentaires pour un fonctionnement correct.

En attendant, le secrétaire à la sécurité intérieure, Jeh Johnson, a appelé les passagers « à être patients » avant que les premières mesures d’urgences ne prennent effet. Et a ajouté qu’il y a « plusieurs facteurs qui expliquent que les attentes soient plus longues (‘) », au-delà du manque de moyens et des équipements défectueux, « notamment le fait que de plus en plus de passagers voyagent avec trop de bagages de cabine ».

Leave A Reply