Le Kenya brûle son stock d’ivoire contre le braconnage des éléphants

Le Kenya brûle son stock d'ivoire contre le braconnage des éléphants

Le Monde
| 30.04.2016 à 07h37
Mis à jour le
30.04.2016 à 09h26
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Par Bruno Meyerfeld

C’est la saison des pluies, mais les flammes promettent d’être visibles à des kilomètres. Le Kenya a brûlé samedi 30 avril quelque 105 tonnes d’ivoire, soit la plus grande cérémonie de destruction d’« or blanc » par le feu jamais organisée en Afrique.

Onze bûchers de 16 000 défenses ont été dressés face au Parc national de Nairobi. Le symbole est fort, spectaculaire, car il y a urgence. L’Afrique ne compte plus que 500 000 éléphants, moitié moins qu’il y a trente ans, et 30 000 y sont tués chaque année par les braconniers. Près d’un animal toutes les quinze minutes.

Tout le continent est frappé, ou presque. Seul le Botswana semble faire exception, abritant 40 % de la population du continent grâce à une ambitieuse politique de lutte contre le braconnage. « Les éléphants vont disparaître de certaines parties d’Afrique centrale et orientale, c’est inévitable, admet Mike Chase, directeur d’Elephants Without Borders. Ils viennent au Botswana car ils sont pourchassés dans les pays alentour. Aujourd’hui, les éléphants sont comme des réfugiés. »

5 % du stock mondial en fumée

Samedi, le premier coup de torche sera donné par le président kényan, Uhuru Kenyatta. L’ensemble des réserves nationales en ivoire, soit 5 % du stock mondial, partira en fumée dans un brasier qui pourrait brûler pendant plusieurs jours, aidé par les milliers de litres de diesel et de kérosène déversés. L’ivoire, en effet, brûle très mal, voire pas du tout.

L’événement conclut le « Sommet des géants », consacré à la protection des éléphants et organisé cette fin de semaine à Nanyuki, dans le centre du Kenya. Durant deux jours, planifié comme un vaste exercice de communication, il a mêlé échanges réunissant les meilleurs spécialistes de la lutte contre le braconnage et ateliers ludiques incluant des pièces de théâtre’ Les « stars » annoncées par les organisateurs (Leonardo DiCaprio, Elton John, Nicole Kidman’) n’ont pas fait le déplacement. Comme invités de marque, il a fallu se contenter des présidents gabonais et ougandais, Ali Bongo et Yoweri Museveni : moins glamour.

Outre l’élan politique, la réunion visait à créer une prise de conscience chez les populations locales. Les éléphants sont souvent mal aimés ; ils « peuvent détruire une ferme et le produit d’une vie entière en l’espace d’une minute », a-t-on rappelé au sommet. Dans la lutte contre les braconniers, les réserves sont devenues des champs de bataille, et les rangers des troupes d’élite. A Ol Pejeta, une réserve proche de l’hôtel abritant la conférence, ces derniers ont fait une démonstration de force, alignant plusieurs hélicoptères le long de la route et posant au milieu de la savane, fusil au poing et chiens d’attaque au bout de la laisse. L’équipement du ranger moderne comprend radios cryptées, GPS, lunettes à infrarouges et armes de guerre. Les clôtures électriques nouvelle génération coûtent au minimum 10 000 dollars le kilomètre. « C’est nécessaire, insiste Ibrahim Thiaw, directeur adjoint du Programme des Nations unies pour l’environnement. Il faut faire face à des trafiquants internationaux bien armés, riches à millions et prêts à tuer les animaux mais aussi leurs gardiens. »

Des cours en chute

Lors de son discours, Uhuru Kenyatta a appelé à « l’interdiction totale du commerce de l’ivoire », une demande qu’il formulera à la réunion, en septembre, en Afrique du Sud, de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Si le commerce d’ivoire est en effet interdit au niveau international depuis 1989, des niches de légalité existent toujours : ainsi, en France, une dérogation existe concernant les « antiquités », soit les objets travaillés en ivoire datant d’avant 1947.

La survie des éléphants « ne sera jamais assurée tant qu’une demande existe », a insisté Uhuru Kenyatta. Au c’ur des critiques, on trouve la Chine, principal consommateur d’ivoire de contrebande et friande d’or blanc ouvragé, sous forme de statuettes bouddhistes ou d’éléments de décoration, alimentant le massacre des éléphants africains.

Mais brûler l’ivoire servira-t-il la cause des éléphants ‘ Au sommet de Nanyuki, certains s’interrogent : faire disparaître 5 % du stock mondial ne va-t-il pas faire flamber les prix ‘ Car les cours de l’or blanc sont en chute libre. De plus de 2 000 dollars (1 747 euros) le kilo il y a quelques années, ils auraient dégringolé, selon les spécialistes, au-dessous des 500. Pékin a en effet cédé à la pression et travaille aujourd’hui avec les Etats-Unis à une interdiction de l’import et de l’export « d’or blanc ». « Nous brûlons l’ivoire car pour nous il n’a aucune valeur », a pour sa part clamé Richard Leakey, légende vivante de la lutte contre le braconnage au Kenya et présent au sommet.

Pour l’Afrique, « la fin des éléphants serait une perte irremplaçable, estime Ibrahim Thiaw, qui lui-même a vu la carcasse du dernier éléphant de Mauritanie, son pays natal. « C’était en 1983, se rappelle-t-il. J’ai vu l’extinction d’une espèce chez moi. Je vois à quel point les éléphants nous manquent aujourd’hui, alors qu’ils étaient si importants dans notre culture. Leur disparition serait comme la perte d’un organe vital pour notre continent. »

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