Le coeur brisé des Européens de Londres

Le coeur brisé des Européens de Londres

L’amphithéâtre de l’Imperial College, à Londres, est archicomble en ce samedi 2 juillet. En plus des 350 sièges occupés, des gens sont assis partout dans les escaliers et d’autres sont obligés de rester debout. Il a déjà fallu changer une première fois de salle, puis organiser une deuxième session pour recevoir toute la foule. Des Français de Londres, qui ont fait leur vie au Royaume-Uni, ont accouru par centaines à une session d’information avec des avocats spécialisés sur les questions d’immigration et de ­naturalisation britannique.

« Le Royaume-Uni est mon pays d’adoption et je le croyais tolérant, ouvert sur le monde, explique ­Patricia Connell, déléguée consulaire et l’une des organisatrices de la conférence. Le résultat du référendum me fend le c’ur. Cela m’inquiète aussi pour mes enfants. Ce pays a cassé quelque chose. »

Dans les travées, l’ambiance est électrique. On se rassure en se disant que l’expulsion des 3 millions d’Européens du Royaume-Uni, dont environ 300 000 Français, est hautement improbable. Mais beaucoup ont leur vie et leur famille sur place et ne peuvent se permettre de partir. Alors, les questions fusent : comment demander la nationalité britannique ‘ Quels papiers apporter ‘ Quid des enfants ‘ Les lois sur l’immigration, changées à de nombreuses reprises, créent des méandres administratifs particulièrement complexes, que les avocats s’efforcent d’expliquer. Et quand ils rappellent qu’il faut jurer allégeance à la reine pour devenir britannique, c’est la bronca dans les rangs.

« Une partie de ma personnalité »

Ces Français vivent au Royaume-Uni depuis dix, vingt, trente ans. Quarante et un ans pour Christine Seddon, veuve d’un mari britannique, mère d’enfants britanniques. « C’est la première fois que je ne me sens pas la bienvenue. J’ai même versé des larmes. Je ne veux pas revenir à cette période où on mettait un tampon dans mon passeport quand je venais ici. » Peut-être demandera-t-elle la nationalité britannique, pour être sûre de pouvoir rester au Royaume-Uni, mais elle n’en a guère envie. « Mes enfants sont britanniques mais je suis française. C’est une partie de ma personnalité. »

Son amie Anne Cole, mariée à un Britannique, présente elle aussi depuis quatre décennies outre-Manche, a déjà la double nationalité. « Je l’ai fait parce que je voulais voter. Mais depuis le référendum, je suis complètement déprimée. » Tous partagent ce sentiment d’avoir été rejetés par ce vote, qui concernait en premier lieu l’immigration européenne.

L’angoisse est d’autant plus renforcée que les candidats à la succession de David Cameron entretiennent le flou sur leur sort. A commencer par Theresa May, favorite pour prendre la succession de David Cameron, qui estime que les Européens du Royaume-Uni font partie des « négociations » à venir avec Bruxelles.

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Theresa May, une eurosceptique loyale à David Cameron

Sipke Visser, un Néerlandais de 39 ans installé à Londres depuis onze ans, vit avec une Espagnole, et ils ont une petite fille qui a 3 ans et autant de nationalités. « Je suis triste, en colère et blessé. Le pays a décidé d’être une petite île superficielle tournée sur elle-même. » Sa femme, qui a déjà la nationalité britannique, est furieuse. « Elle est originaire de Cuba et ne s’était jamais vraiment sentie à l’aise en Espagne. En Angleterre, elle se croyait intégrée, faisant partie du pays. »

La capitale britannique, ville-monde à l’immense brassage multiculturel, a offert à ce couple européen le point de chute idéal. M. Visser prépare désormais sa naturalisation britannique. Non pas qu’il craigne une expulsion  « Ma femme et ma fille ont toutes les deux la nationalité britannique, je serai le dernier visé » ‘­ mais parce qu’il veut pouvoir voter : « Je veux faire entendre ma voix. »

« Ici, c’est chez nous »

Margot Myers, 34 ans, représente aussi ce mélange européen typique de Londres. Vivant à Londres depuis quatorze ans, cette Française mariée à un Espagnol a deux enfants en bas âge qui ont des passeports britanniques. « J’ai été soudain remise à ma place d’immigrée. »

Mme Myers dirige une petite entreprise de création de sites Internet tandis que son mari travaille dans une association pour sans-abri. Ils ont pris un important prêt immobilier pour acheter un logement dans la banlieue sud-est de Londres et leurs enfants vont dans les écoles britanniques. « Ici, c’est chez nous. Mais pour la toute première fois, on s’est demandé si on allait y vivre toute notre vie. » Pedro Baztan, son mari, confirme. « On n’avait jamais imaginé déménager, mais si on ne se sent plus les bienvenus, pourquoi pas ‘ Est-ce que les Britanniques croient vraiment qu’on est désespéré quand on vient ici ‘ »

Souvent, le vote a aussi des répercussions au sein des familles. Sandra, une Française de 34 ans mariée à un Anglais, a découvert avec horreur que sa belle-mère anglaise avait voté « Leave ». Le week-end passé chez elle une semaine après le référendum a été particulièrement tendu. « J’ai un sentiment de trahison. Je suis arrivée à Londres en 1999 et j’ai fait énormément d’efforts pour m’intégrer, pour perdre mon accent. Maintenant, j’ai paradoxalement envie de cultiver mon identité française. » A se sentir rejeté, chacun se détourne de l’autre.

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