L’aspirine prévient aussi des cancers

L'aspirine prévient aussi des cancers

Le Monde
| 18.04.2016 à 17h51
Mis à jour le
20.04.2016 à 12h20
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Par Florence Rosier

L’aspirine peaufine ses métamorphoses. La dernière émane d’un grou­pe d’experts américain respecté, le US Preventive Services Task Force (USPSTF). Le 12 avril, il a publié ses recommandations sur l’utilisation préventive au long cours de faibles doses d’aspirine (75 à 160 milligrammes par jour)’: l’enjeu, ici, est de limiter la survenue d’accidents cardio-vasculaires (infarctus, AVC’), mais aussi de cancer colorectal, chez celles ou ceux qui ne souffrent pas déjà d’une maladie cardio-vasculaire. Cette prévention dite «’primaire’» s’adresse toutefois aux personnes qui ont un risque accru de faire un accident cardio-vasculaire’: elles sont diabétiques ou cumulent plusieurs facteurs de risque (tabac, hypertension, âge’).

«’Pour la première fois, la prévention du risque de cancer colorectal est reconnue comme un bénéfice secondaire, quoique modeste, d’un traitement par l’aspirine qui vise d’abord à prévenir le risque cardiovasculaire’», résume Gabriel Steg, cardiologue à l’hôpital Bichat (Paris). Il souligne aussi la prudence des experts américains’: par rapport à 2009, ces recommandations restreignent un peu l’utilisation de l’aspirine en prévention primaire, en raison du risque de saignements liés à ce traitement. «’Les patients à faible risque cardiovasculaire ne bénéficient pas d’un tel traitement, commente Gabriel Steg. Leur pronostic peut même être aggravé en raison d’hémorragies, même de gravité modérée.’»

Les experts de l’USPSTF ont colligé les données de nombreux essais cliniques, en y ajoutant les résultats de cinq études parues depuis 2009. Ils ont aussi pris en compte les données de suivi du risque de cancer colorectal, notamment celles des travaux du Britannique Peter Rothwell. Puis, à l’aide d’un modèle de microsimulation, ils ont chiffré les bénéfices et les risques de ce traitement selon les tranches d’âge et le niveau de risque cardio-vasculaire.

Pour les 50-59’ans

Résultats’: le bénéfice apparaît maximal pour les 50-59’ans. Plus précisément, l’USPSTF recommande l’aspirine à faibles doses chez les 50-59’ans dont le risque cardio-vasculaire à dix ans est supérieur ou égal à 10 %, du moment qu’ils n’ont pas de risque accru de saignements, que leur espérance de vie est d’au moins dix ans et qu’ils sont prêts à suivre ce traitement pendant au moins dix ans. Pour les 60-69’ans dans la même situation, la décision est à prendre au cas par cas. Aucun bénéfice net n’apparaît au-dessous de 50’ans, et les données sont insuffisantes pour les plus de 70’ans.

Chez les 50-59’ans, les bénéfices ont été chiffrés’: par exemple, pour 10’000 hommes de cette tranche d’âge qui ont un risque cardio-vasculaire de 10 % sur dix ans, l’aspirine évite 225 infarctus, 84 accidents vasculaires cérébraux ischémiques et 139 cancers colorectaux. C’est au prix de 284 saignements digestifs sérieux et de 23 hémorragies cérébrales. Au final, 588 années de «’vie de qualité’» et 333 années de vie sont ainsi gagnées.

«’Ces recommandations devraient permettre de mettre en place une prévention primaire plus adaptée au risque. On passerait ainsi d’une prévention prêt-à-porter’ à une prévention sur mesure »», estime Joseph Emmerich, responsable de l’unité de médecine cardio-vasculaire de l’Hôtel-Dieu (Paris). Mais on sait qu’outre-Atlantique le risque cardio-vasculaire est ­su­périeur au risque français moyen’; et l’utilisation de l’aspirine à titre préventif est bien plus répandue, notamment en raison d’une automédication fréquente. «’Près de 40 % des Américains de plus de 50 ans prennent de l’as­pirine en prévention cardio-vasculaire’», signale l’USPSTF. C’est énorme. En France, la proportion de patients sous aspirine au long cours sans avoir jamais fait d’infarctus ni eu d’angioplastie ou de pontage est très faible, «’inférieure à 5 %’», estime Gabriel Steg.

«’C’est intelligent d’avoir réuni les bénéfices de l’aspirine pour la prévention du risque cardio-vasculaire et de cancer colorectal. Dans certains cas, l’intérêt sur la prévention de ce cancer peut faire pencher la balance en faveur de ce traitement’», dit Joseph Emmerich. En revanche, l’intérêt de l’aspirine pour prévenir le seul risque de cancer colorectal n’est ici pas reconnu. «’Il faudrait disposer des résultats ­d’essais randomisés prospectifs en population générale’», commente Fabien Calvo, directeur scientifique du consortium Cancer Core Europe à Gustave-Roussy (Villejuif). «’Ces essais ne viendront sans doute jamais, car trop chers et pas assez rentables pour l’industrie, ­estime François Chast, chef du service de pharmacie clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre. Pour autant, cette recommandation s’engage positivement’: les auteurs indiquent que la prise de 75 mg et plus d’aspirine pendant dix à vingt ans peut diminuer jusqu’à 40 % le risque de cancer colorectal.’» Pas au point de la préconiser chez tous, cependant.

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