La mort de l’historien Louis Châtellier

La mort de l'historien Louis Châtellier

Historien du catholicisme à l’époque moderne, Louis Châtellier est mort à Luxembourg le 28 juillet à l’âge de 81 ans.

D’origines normandes, tant par son père que par sa mère (Cherbourg et Granville), il naît à Pont-de-l’Arche (Eure) au sein d’une famille de navigateurs et d’ingénieurs (un de ses grands-pères travaille à l’arsenal à l’élaboration des premiers sous- marins et des aéroplanes de la Grande Guerre). Il grandit à Rouen, élève des Frères des écoles chrétiennes avant de bifurquer dans le public, au lycée Corneille. Hormis le rejet d’un enseignement confessionnel médiocre, l’événement marquant de ces années restera, pour lui, le bombardement de la ville, lors du débarquement de 1944, qui détruit près de la moitié de la cité.

Sitôt bachelier, il se destine au droit, se rêvant avocat ou magistrat. Cap sur Paris. Mais, si les cours sont là de bonne tenue il a pour professeur Raymond Barre très vite, Louis réalise que seuls les cours à dominante historique histoire du droit, histoire économique’ le captivent. Il en tire la leçon, et, après un bref passage par Sciences Po, s’inscrit en Sorbonne pour suivre un cursus d’historien classique. Cursus à peine perturbé par une interruption de deux ans, due à la maladie, une tuberculose l’amenant à un séjour à l’« université des neiges », le sanatorium accueillant les étudiants. Il s’essaie à la radio, affichant son goût pour la musique Stravinsky alors, lui qu’une cantatrice amie de Gabriel Fauré avait initié à l’art lyrique dans son adolescence rouennaise. Son appétence pour la création contemporaine ne se démentira plus, pour la peinture surtout et particulièrement le courant de l’abstraction lyrique dont il fut un collectionneur passionné (Jean Piaubert, Pierre Alechinsky).

La religion des humbles

Les années en Sorbonne sont déterminantes : Châtellier y reçoit l’enseignement de Charles-Edmond Perrin et Robert Fawtier, formés avant 1914 par ceux-là même qui posèrent l’Histoire comme science (Ernest Lavisse, Charles-Victor Langlois, Ferdinand Lot). Il a également pour professeurs ceux qui portaient les stigmates de la Grande Guerre (Pierre Renouvin) dans un contexte marqué par la guerre civile en Algérie, et ceux qui défrichent d’autres approches historiques dans le sillage des Annales, tels Henri-Irénée Marrou, qui a introduit la patristique en Sorbonne, ouvrant ce bastion laïc et républicain à une histoire religieuse résolument scientifique, Victor-Lucien Tapié, spécialiste de l’Europe centrale à l’époque moderne qui initie les approches comparatistes qui décloisonnent, Ernest Labrousse enfin qui décape le regard sur l’Ancien Régime et la Révolution par son approche économique et sociale.

Sans doute est-ce de Tapié, qui l’ouvre au baroque du Saint Empire, que Châtellier se sent le plus proche. En attendant la rencontre d’Alphonse Dupront, champion d’une sociologie religieuse et d’une anthropologie historique que Châtellier fera sienne.

Reçu à l’agrégation en 1963, le jeune historien, qui veut orienter ses recherches sur une histoire religieuse européenne des prémices de la guerre de Trente ans au siècle des Lumières, dans un espace géographique où les engagements s’expriment avec éclat et ostentation le modèle Tapié à éprouver , commence sa carrière d’enseignant dans le secondaire au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. Terrain idéal pour le chantier à venir.

Mais la greffe n’est pas simple, tout étant étranger au jeune Normand dans un territoire que sa langue, son histoire et ses traditions isolent. C’est Tapié qui lui vient en aide, l’enrôlant dans la mission que le ministre de la culture André Malraux lui a confiée dans son projet d’inventorier monuments et objets d’art du pays. Comme il privilégie mobilier d’église et retables, il charge Louis Châtellier de l’enquête alsacienne. C’est ainsi en collectant chaque richesse oubliée des cantons de la région que l’historien perçoit la religion des humbles, avec les espoirs, les craintes, les attentes qui la nourrirent. Ce faisant il se fond dans une société locale qu’il interroge et dont il partage bientôt la sociabilité.

Détaché comme assistant de recherche au CNRS dès 1966, il consacre toute son énergie à une enquête de terrain, fonds d’archives et visites in situ. Cependant Tapié, bientôt malade, ne peut plus encadrer le travail de Châtellier qui transfère sa thèse à Strasbourg où le doyen, Georges Livet, moderniste spécialiste des relations internationales, lui laisse le champ libre. Il l’autorise à continuer la fréquentation des séminaires de ses maîtres parisiens, au premier rang desquels Alphonse Dupront, notamment sur le dossier des pèlerinages, où il étudie la fortune moderne du voyage à Compostelle.

Histoire de la spiritualité et histoire sociale

Pour assurer sa carrière universitaire, il lui faut toutefois parallèlement enseigner, comme maître-assistant à Strasbourg, jusqu’à la soutenance de sa thèse d’Etat en juillet 1979. Intitulée Tradition chrétienne et renouveau catholique dans l’ancien diocèse de Strasbourg (1650-1770), la somme, qui est publiée en 1981 chez Ophrys, augmentée d’une cartographie que signe celle qui est devenue sa femme, Annik Schon, établit comment l’Alsace est devenue française tout comme elle est revenue dans le giron catholique après un long épisode luthérien.

En un temps où l’historiographie allemande était mal connue en France, avant les travaux décisifs de Gérald Chaix et Patrice Veit, Châtellier, qui fut un des premiers à dépouiller les fonds germaniques dès la fin des années 1950, y trouve les instruments pour construire des objets d’enquêtes à la fois transnationaux et profondément originaux. Il allie bientôt histoire de la spiritualité et histoire sociale des réseaux dévots pour son grand livre L’Europe des dévots (Flammarion, 1987).

S’il est nommé à l’université de Lyon (1980), l’année suivante Louis Châtellier retrouve l’Est et Nancy où René Taveneaux, spécialiste du jansénisme, ne se voit pas de plus digne successeur. Il y reste jusqu’à l’heure de sa retraite (1981-2003). Par son enseignement, d’une impeccable probité, il diffuse les fruits d’un chantier qui l’amène à établir comment la diffusion des décisions du concile de Trente (1545-1563) par les missions, jésuites ou autres, qui conduisent à l’éclosion d’écoles et de sociétés culturelles, répond aux besoins spirituels et matériels des populations européennes et permet leur lecture ethnographique (La Religion des pauvres, Aubier, 1993). Le troisième volet de ce qui finit par définir un triptyque, Les Espaces infinis et le silence de Dieu (Aubier, 2003), montre comment, avec là encore la mise en place d’un réseau d’académies et de publications savantes, s’imposent de nouveaux outils pour penser Dieu, tandis que la foi sort progressivement du champ scientifique, sans vacarme ni tumulte, pour se jouer dans la sphère privée. Un angle inédit pour repenser le catholicisme moderne.

Le rayonnement d’une uvre qui conduit à la rapide traduction de chacun de ses essais l’amène naturellement à intégrer dès 1994 le tout jeune Institut universitaire de France, puis l’Ecole pratique des hautes études (1998), à la chaire d’Histoire du catholicisme moderne. En communion de démarche avec Jean Delumeau et Pierre Chaunu, proche de Marc Venard, Jean Quéniart, François Lebrun et Claude Langlois, Louis Châtellier n’a pas eu de disciples, mais des apprentis au premier rang desquels Philippe Martin et Bernard Heyberger.

Pour cet homme discret, d’une droiture sans faille, l’élégance physique comme morale était une seconde nature. D’une fidélité qui n’attendait aucun retour il ne fut jamais soucieux de sa carrière, consacrant les vacances universitaires à ses travaux de recherches sans s’autoriser de pause cet homme discret dialoguait, avec ses confrères comme ses étudiants avec une sobre acuité. D’une exigence constante et « très silencieuse », comme la qualifie Philippe Martin, il ne se satisfaisait que lorsque la version initiale, relue, reprise, émondée, réduite, ne conservait que l’essentiel : « vous n’avez pas eu le temps de faire court ! », commentait-il devant un travail trop bavard.

Sans doute aurait-il jugé cette notice trop longue.

Louis Châtellier en sept dates

3 mars 1935 Naissance à Pont-de-l’Arche (Eure)

1987 L’Europe des dévots (Flammarion)

1993 La Religion des pauvres (Aubier)

1994 Entre à l’Institut universitaire de France

1998 Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études

2003 Les Espaces infinis et le silence de Dieu (Aubier)

28 juillet 2016 Mort à Luxembourg

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