La CGT et le Medef principaux perdants du passage en force de la loi travail

La CGT et le Medef principaux perdants du passage en force de la loi travail

Le Monde
| 12.05.2016 à 11h10
Mis à jour le
13.05.2016 à 12h27
|

Par Michel Noblecourt

L’épilogue qui se profile sur la réforme du code du travail a déjà fait trois victimes : François Hollande, Manuel Valls et Myriam El Khomri. Le président, qui s’était fait, avec succès pour ses premières réformes, le chantre de la démocratie sociale est obligé de constater que la culture du compromis peine à s’imposer en France. Le premier ministre paie ses erreurs de méthode  l’absence de véritable concertation, le déficit de communication et de pédagogie ‘ qui, dès le départ, ont dynamité le projet de « loi travail ». Le chef de la majorité est comme le maréchal de Soubise, il a perdu ses troupes et se trouve dans l’incapacité de faire voter par sa propre majorité une réforme qui se veut de gauche. La ministre du travail, qui s’est pliée avec courage à un exercice difficile auquel elle n’était pas préparée, aurait bien aimé se passer du passage en force du 49-3 pour faire adopter sa réforme. Mais les principaux perdants se trouvent chez les acteurs sociaux, avec au premier rang Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, et Pierre Gattaz, le président du Medef.

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Pour les syndicats contestataires, qui réclament le retrait pur et simple du texte de Mme El Khomri, c’est un échec. La « casse du code du travail » qu’il symbolise à leurs yeux continuera son chemin. Le 10 mai au soir, après l’annonce du recours au 49-3 qu’elles ont jugé « inacceptable », les sept organisations qui depuis trois mois se mobilisent CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL ont appelé à « amplifier la mobilisation face au déni de démocratie ». Des manifestations étaient prévues, jeudi 12 mai, jour du vote de la motion de censure, et deux nouvelles « journées de grèves et manifestations » sont programmées pour les 17 et 19 mai, tandis qu’une manifestation nationale n’est pas exclue. Les sept invitent leurs structures « à organiser des assemblées générales avec les salarié(e)s pour débattre des modalités d’actions, de la grève et de sa reconduction ».

« De l’huile sur le feu »

Mercredi, M. Martinez a appelé sur Europe 1 à « durcir le mouvement », tout en reconnaissant qu’il n’est « pas facile de se mobiliser ». Dans L’Humanité du 12 mai, le secrétaire général de la CGT juge la mobilisation « plus que jamais indispensable » et invite à « passer à la vitesse supérieure ». Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, qui n’a pas bougé d’un iota sur sa demande de retrait du texte, même s’il a aussi tenté de négocier des amendements, est sur la même ligne. « Le 49-3 va mettre de l’huile sur le feu », avait-il déclaré dans L’Humanité du 11 mai : « Pour nous, la bagarre n’est pas terminée (‘). Nous allons affiner nos stratégies pour les semaines à venir », jusqu’au débat au Sénat, début juin.

Les opposants ne désarment pas mais la mobilisation s’essouffle. Le point d’orgue avait été atteint le 31 mars avec 1,2 million de manifestants dans toute la France (390 000 selon le ministère de l’intérieur) contre autour de 500 000, selon les syndicats, le 9 mars (224 000 selon la police) mais le 9 avril, qui était pourtant un samedi, on ne comptait plus que 120 000 manifestants. Le 28 avril, alors que de nouveaux heurts se produisaient en marge des cortèges, les autorités faisaient état de 170 000 manifestants (500 000 selon la CGT). Et le 1er mai, qui a vu défiler, une première, Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly côte à côte à Paris, la mobilisation a été de faible ampleur (84 000 manifestants sur l’ensemble du territoire selon la police).

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Contrairement à ce que prétend la CGT, la mobilisation en cours n’est en rien « exceptionnelle ». Elle prend souvent en référence le combat contre le contrat première embauche (CPE) en 2006 où de puissantes manifestations à répétition de tous les syndicats et des organisations de jeunesse avaient conduit Jacques Chirac à promulguer la loi tout en annonçant’ qu’elle ne serait pas appliquée. Mais c’est le dernier exemple où les syndicats ont fait reculer un gouvernement. Les syndicats contestataires font mine d’oublier que leur échec en 2010, quand ils ne sont pas parvenus à faire reculer Nicolas Sarkozy sur la réforme des retraites, a traumatisé leurs militants. Les dix manifestations qui avaient émaillé l’année, dans une unité sans faille de tous les syndicats, avaient été pourtant de grande ampleur : selon les chiffres de la police, elles avaient rassemblé 797 000 manifestants le 24 juin ; 1,12 million le 7 septembre ; 997 000 le 23 septembre ; 1,23 million le 12 octobre (3,5 millions selon la CGT) ; 1,1 million le 19 octobre. Le pouvoir n’avait pas cédé et aujourd’hui, on est très loin de tels records d’affluence.

« Un premier pas »

Le patronat est l’autre grand perdant de la réforme. Le Medef avait accueilli favorablement la première version du texte puis il avait marqué sa déception sur la seconde mouture, qui donnait satisfaction aux demandes de la CFDT, d’abord sur un mode modéré avant de durcir sa position. Après l’annonce de M. Valls sur une surtaxation des CDD, il avait menacé de suspendre sa participation aux négociations sur l’assurance-chômage. Mercredi 11 mai, le Medef a réagi avec mesure, jugeant que « le texte répond en partie aux fortes attentes exprimées », notamment « l’absence de surtaxation des CDD, le retour à un compte personnel d’activité un peu plus cohérent et des avancées sur la capacité à conclure des accords pour toutes les entreprises ». Mais il estime « au final » que « cette loi ne répondra pas aux attentes des entreprises et ne relancera pas la dynamique de création d’emplois qui était pourtant son objectif premier ». 

« C’est un premier pas, note un proche de M. Gattaz, mais on est très loin de l’ambition initiale. C’est un coup pour rien. L’obsession de l’équilibre conduit à ne toucher à rien. Il vaudrait mieux un déséquilibre actif qui favoriserait la création d’emplois. » Pour autant, le Medef ne menace plus de suspendre sa participation aux négociations sur l’assurance-chômage, qui reprenaient jeudi 12 mai : « Les gros cailloux qui empêchaient d’avancer ont été levés. »

Le seul gagnant semble bien être la CFDT. Si Laurent Berger juge que le recours au 49-3 n’est pas « une bonne méthode », comme il l’a déclaré mercredi sur France Info, il dénonce surtout « le manque de maturité des responsables politiques ». « J’en ai assez des outrances, des postures, déclare-t-il au Monde. Le jeu politicien, c’est la négation du dialogue social. C’est un texte équilibré qui contient des avancées importantes et est porteur de progrès pour les salariés. » Mais le front réformiste est fissuré la CFE-CGC et l’UNSA contestent toujours le recours au référendum prévu par la loi sur le temps de travail et la fracture entre les syndicats s’est fortement accentuée. Dommages collatéraux.

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