J0 2016 , les championnes de Champigny

J0 2016 , les championnes de Champigny

Le Monde
| 02.09.2016 à 11h09
Mis à jour le
03.09.2016 à 14h09
|

Par Florent Bouteiller

Quand Emilie Andéol est rentrée chez elle, tard dans la soirée du mardi 23 août, encore barbouillée du décalage horaire et de la fiesta dans l’avion qui rapatriait la délégation tricolore, la nouvelle championne olympique des + 78 kg de judo n’était pas au bout de ses surprises. « Les voisins se sont mis à m’applaudir depuis leur balcon. Et ­devant ma porte, il y avait plein de mots de ­félicitations. Je ne pensais pas que j’aurais droit à un si beau comité d’accueil. Et depuis, les sollicitations n’arrêtent pas. »

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Il faut dire que l’exploit est de taille. Loin d’être favorite, la judoka a surpris tout le monde, y compris ses entraîneurs, en s’emparant du premier titre olympique du judo français dans cette catégorie, vendredi 12 août. Et pour ne rien gâcher, l’athlète de 28 ans a réussi à griller la politesse à Teddy Riner, titré comme elle dans la catégorie reine (+ 100 kg) une demi-heure plus tard. « C’est une petite fierté d’avoir obtenu l’or avant lui », glisse la judoka qui jusqu’alors évoluait dans l’ombre média­tique de l’octuple champion du monde, ­toujours en lice le même jour qu’elle.

Une semaine plus tard, Estelle Mossely l’imitait en remportant le premier titre olympique de la boxe française dans la catégorie des 60 kg. Le lendemain, la taekwondoïste Haby Niaré complétait l’escarcelle déjà bien remplie par la médaille d’argent des 67 kg.

« Il y a un vrai dialogue avec le milieu associatif parce qu’il joue le jeu de l’accès au plus grand nombre en pratiquant des tarifs raisonnables »

« Elles sont notre fierté », clame Philippe ­Sudre, maire adjoint de Champigny-sur-Marne. Responsable de la politique sportive depuis 1995, il a assisté, à Rio, au triomphe de ses protégées et s’enorgueillit de l’image positive renvoyée par ses championnes. « Ce sont des filles bien dans leurs baskets. Chacune a construit un double projet professionnel et sportif. Au-delà de leurs performances, elles ont transmis à notre jeunesse les valeurs ­d’engagement, de partage et de solidarité que nous avons toujours prônées dans la ville. »

En plus du potentiel de ces championnes, le bon cru 2016 est aussi le juste retour sur investissement d’une politique mise en ‘uvre par les trois maires, tous communistes, qui se sont succédé depuis 1945. « Je ne vais pas remonter à 1936. Quoique’, ­commence Philippe Sudre. 1936, c’est les loisirs, la pratique sportive, l’accessibilité à tous les services pour le plus grand nombre. Et Champigny, depuis l’après-guerre, a toujours eu comme axe prioritaire la culture, le sport et la solidarité. »

« Tous les sports pour tous, le plus haut niveau pour chacun et chacun pour tous. » Plus que la devise du Red Star de Champigny (RSC), c’est devenu le mot d’ordre de la municipalité. Aujourd’hui, sur les 130 millions d’euros de budget de fonctionnement de la ville, 7 % sont consacrés au sport, soit 10 millions d’euros pour 45 disciplines. Une somme astronomique comparée au petit 0,14 % que l’Etat attribue chaque année au sport.

Pour autant, pas question de gaspiller. Chaque nouvelle subvention, chaque projet d’infrastructure est décidé en collaboration avec les acteurs du secteur sportif de la ville selon un cahier des charges strict. « Chaque année, nous organisons des réunions sur site afin de faire le bilan de ce dont chacun a besoin. Il y a un vrai dialogue avec le milieu associatif parce qu’il joue le jeu de l’accès au plus grand nombre en pratiquant des tarifs raisonnables », ­assure M. Sudre.

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Lorsque, à l’âge de 12 ans, Estelle Mossely a poussé pour la première fois la porte du RSC, elle était la seule fille. Pire, les boxeurs ­évoluaient dans un préfabriqué avec un seul ­vestiaire. Des conditions d’entraînement qui ont changé avec l’inauguration, en 2013, du gymnase Jesse-Owens. Situé à l’entrée de la zone sensible des Mordacs, il figure désormais parmi les plus belles salles de boxe de l’Hexagone avec ses trois rings flambant neufs. Et attire désormais près de 30 % de filles. « Avant, ce n’était pas terrible, se souvient Estelle Mossely. La ville a compris l’enjeu de cette nouvelle salle, car le sport sert les ­jeunes et leur donne à tous des perspectives. De mon côté, elle m’a permis de m’entraîner dans des conditions optimales. »

Ce nouveau gymnase n’est qu’un des nombreux projets sportifs réalisés ces dernières années. Les salles de tennis de table et d’escrime ont été remises à neuf et la priorité est donnée à l’entretien du patrimoine sportif de la ville. « La patinoire, par exemple, c’est une infrastructure qui demande beaucoup d’entretien mais qui profite à nos administrés, soutient Philippe Sudre. Et cela se fait de plus en plus rare. Il n’en reste plus que 150 en France. » Autant d’atouts sur lesquels les élus de la ville comptent capitaliser lors de l’ouverture de la ligne 15 du métro, qui devrait voir le jour à l’horizon 2030.

« Début octobre, nous organiserons de grandes festivités pour célébrer leurs exploits. Dans un second temps, on voudrait faire participer nos champions à des projets dans les écoles. »

En attendant, Champigny pariera sur ses championnes. « L’objectif va être de surfer sur la vague jusqu’aux JO de Tokyo, où l’on fera encore mieux. Début octobre, nous organiserons de grandes festivités pour célébrer leurs exploits, on va mettre des affiches dans toute la ville et des oriflammes sur les grands axes, ­anticipe Philippe Sudre. Dans un second temps, on voudrait faire participer nos champions à des projets dans les écoles. »

Le projet a un coût, tout comme le financement du haut niveau. Mais contrairement à d’autres villes, comme Levallois, épinglée par la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France pour avoir notamment financé le salaire de Teddy Riner (24 000 euros) grâce aux fonds de la municipalité, Champigny-sur-Marne a trouvé un système pérenne. « C’est notre réseau de partenaires (Suez, Eiffage), fidèles depuis les années 2000, qui finance l’essentiel du haut niveau, explique Philippe Sudre. Le contribuable est très peu sollicité : 50 000 euros pour l’ensemble des ­disciplines. Pour les frais de déplacement, le ­conseil départemental rembourse à hauteur de 40 %. » Preuve que le Red Star de Champigny ne compte pas s’arrêter là, la judoka Clarisse Agbegnenou, médaillée d’argent aux JO de Rio chez les  63 kg, quittera son club d’Argenteuil pour grossir les rangs de l’écurie campinoise à la rentrée.

« Franchement, je ne suis pas à plaindre, reconnaît Emilie Andéol. C’est parce que je suis au Red Star, qui forme des champions depuis 1996, que j’ai pu me consacrer à 200 % à mon sport. Tous les judokas n’ont pas la chance d’avoir mes conditions. » Débarquée de sa ­Gironde natale en 2007, la championne de France juniors d’alors a tout de suite été intégrée dans un processus de professionnalisation. « Le club m’a permis d’avoir un salaire confortable, des sponsors et une convention avec le conseil général de Val-de-Marne. » Le tout sans trop de contraintes, tant au niveau des sponsors que de son club. « En mars, alors qu’il y avait les championnats de France par équipes, nous avons laissé partir Emilie à un stage au Japon. Ce n’était pas dans notre intérêt, mais c’était mieux qu’elle s’entraîne pour avoir une médaille aux Jeux, concède M. Sudre. C’est ça aussi, prendre en compte l’humain. »

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Pour Estelle Mossely, en revanche, la route a été plus sinueuse. Si la ville a mis depuis 2010 un entraîneur à sa disposition et pris en charge nombre de ses déplacements à l’étranger, la boxeuse a longtemps enchaîné les ­petits boulots pour arriver à joindre les deux bouts, entre ses entraînements quotidiens et ses études d’informatique. « J’ai fait de l’événementiel, du gardiennage de nuit pour m’en sortir », raconte la championne olympique de 24 ans, qui a bénéficié du pacte de performance mis en place par l’Etat en novembre 2015 et obtenu un poste de concepteur-développeur chez Allianz informatique.

« L’essentiel, c’est de montrer aux jeunes qu’on peut y arriver, explique Estelle Mossely. C’est le plus beau message qu’on pouvait faire passer aux jeunes de France et de Champigny. » Très attachée au développement du sport ­féminin, la boxeuse espère que le triplé campinois permettra de faire évoluer les mentalités. « Je me suis aperçue que les parents étaient souvent un frein à la pratique du judo, du taekwondo ou de la boxe. C’est dommage car ces sports sont porteurs de valeurs, de respect, d’une philosophie de vie. Et nos parcours l’ont bien montré. » Un discours que ne renierait pas Philippe Sudre, qui se voit déjà faire la promotion de ses athlètes en dehors des frontières campinoises. « J’aimerais bien les emmener à la Fête de L’Huma [du 9 au 11 septembre, à La Courneuve]. On pourrait débattre, parler du sport féminin avec Marie-George Buffet. » Malheureusement pour lui, les championnes ne seront pas disponibles pour échanger avec l’ancienne ministre des sports (1997-2002), trop occupées à savourer des ­vacances bien méritées.

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