France-Allemagne , Toni Kroos et Paul Pogba génies sans étiquette

France-Allemagne , Toni Kroos et Paul Pogba génies sans étiquette

Le Monde
| 07.07.2016 à 11h32
Mis à jour le
07.07.2016 à 16h52
|

Par Les Cahiers du Football

Par Raphaël Cosmidis, « Les Cahiers du Football »

Un décrochage à droite, puis un à gauche, une transversale vers Hector puis une vers Kimmich. Un regard vers l’avant, un vers l’arrière. Presque cent-dix fois par match, Toni Kroos oriente le jeu de son équipe. Personne ne fait mieux dans cet Euro 2016. Le seul qui rivalisait, le Suisse Granit Xhaka (104 transmissions par rencontre), a été éliminé dès les huitièmes de finale, tout comme les passeurs espagnols. Le flegme de Kroos est désormais bien solitaire en France, et pose une question : comment peut-on être si fort sans jamais donner l’impression de courir ‘

« J’ai adoré regarder jouer Johan lorsqu’il était au Werder Brême. Je n’avais jamais vu un joueur capable de mener et d’organiser le jeu de son équipe de cette manière. » Kroos a toujours été un grand admirateur du Français Johan Micoud, numéro 10 du Werder entre 2002 et 2006, un poste que le milieu du Real Madrid a connu à l’adolescence, notamment avec les sélections de jeunes allemandes. A l’époque, Kroos évolue en retrait de l’attaquant, marque des buts et enchaîne les passes décisives, à tel point qu’au Bayern Munich, où il signe à ses 15 ans, le directeur général Uli Hoeness lui réserve le numéro le plus sacré du football.

Kroos, fruit de la révolution de la formation allemande

Mais Kroos ne s’installera pas en Bavière avant 2010, après une saison 2009-2010 réussie en prêt à Leverkusen. A son retour, la question refait surface : veut-il du numéro 10, attribué depuis à Arjen Robben ‘ « Ça m’est égal. J’ai réalisé une très belle saison à Leverkusen avec le numéro 39. Le plus important, c’est que je joue. » Kroos ne sera de toute façon plus très longtemps un meneur de jeu. En tout cas pas à la hauteur habituelle. En six ans, il va reculer petit à petit, jusqu’à être placé juste devant la défense, où Pep Guardiola (au Bayern Munich) et Carlo Ancelotti (au Real Madrid) l’apprécient énormément. Depuis le début de l’Euro, que l’Allemagne joue en 4-2-3-1 ou en 3-5-2, c’est lui qui vient demander le cuir très bas, dans les pieds de ses défenseurs centraux avant de trouver un coéquipier entre les lignes adverses. Bilan : Kroos a plus souvent trouvé le chemin des filets en 35 matchs avec les moins de 17 ans allemands (17 réalisations) qu’en 70 capes avec les grands de la Mannschaft (10 buts).

Face à des espaces resserrés, les numéros 10 n’ont plus la liberté de vagabonder plein axe et s’enfuient pour continuer à exister, parfois se rapprochant de leur propre but

L’évolution de Kroos raconte à la fois celle de l’Allemagne et celle, plus globale, du football. Son pays a embrassé les idées françaises de l’époque et espagnoles d’aujourd’hui en refondant sa formation, en misant sur la qualité technique et la possession du ballon, principe accentué par le passage de Guardiola en Bundesliga. Le football, à une échelle plus large, offre beaucoup moins de temps aux joueurs dans leurs prises de décision. Face à des espaces resserrés, les numéros 10 n’ont plus la liberté de vagabonder plein axe et s’enfuient pour continuer à exister, parfois sur l’aile (David Silva), parfois en se baladant un peu partout (Mesut Ozil), et parfois, donc, en se rapprochant de leur propre but.

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C’est le cas de Kroos comme ce fut celui d’Andrea Pirlo il y a bientôt quinze ans, quand il est arrivé à l’AC Milan. Privé de la mobilité et de la vivacité indispensables pour survivre plus haut, les deux hommes se sont éloignés pour garder leur influence et découvrir qui ils devaient être sur un terrain de football. Après sa transformation, l’Italien a remporté deux Ligues des champions et une Coupe du monde. Depuis son repositionnement, entamé au Bayern en 2013 et poursuivi au Real Madrid depuis, Kroos a gagné une Ligue des champions et une Coupe du monde. Même si sa carrière tire de plus en plus le portrait d’un meneur de jeu reculé (« deep-lying playmaker » outre-Manche, « mediocentro » en Espagne, « regista » en Italie), les derniers mois ont rouvert un débat qu’on pensait clos : le Real Madrid a glané sa onzième Ligue des champions en plaçant un destructeur en numéro 6 (Casemiro) et non un clairvoyant. Toni Kroos était un peu plus haut, à la gauche de Casemiro. Si en équipe d’Allemagne, son rôle est précis, il est encore un peu flou et en suspens en club.

Pogba, enfant de tous les grands joueurs français

C’est plutôt l’inverse pour Paul Pogba, bourré de certitudes à la Juventus et source d’interrogations en équipe de France. L’ex-Mancunien a pourtant une ambition claire. « Je veux tout faire parce que je pense que je peux tout faire et que l’entraîneur dit que je peux tout faire, expliquait-il dans les colonnes de So Foot en mai. J’ai envie de créer quelque chose. De créer le nouveau milieu de terrain. » Depuis le début de l’Euro, Pogba a tout fait, tout joué : milieu relayeur droit et milieu relayeur gauche dans un trio, milieu avancé et milieu reculé dans un duo. On dit parfois que la polyvalence peut faire du mal à un joueur. Celle de Pogba ne l’embête pas techniquement, mais elle fait exiger beaucoup de sa part. La France voudrait, comme il le veut lui, le voir tout faire. Et tout à la fois si possible, au mépris des consignes tactiques et du bon sens footballistique.

Attribuer un poste ou une zone à un tel joueur est un casse-tête. Que faire d’une alliance si improbable entre puissance, vitesse et technique chez un seul joueur ‘

De Lionel Messi, Pep Guardiola disait en 2013 : « Si vous le faisiez jouer latéral gauche, il serait tout aussi fort. Il est le meilleur défenseur du monde. » Ce que le Catalan voulait dire par là de l’Argentin, c’est qu’il serait le meilleur joueur à son poste, quel qu’il soit. Dire la même chose de Pogba serait sans doute présomptueux, mais le Turinois est à la fois le meilleur milieu défensif, relayeur et offensif de l’équipe de France. Il l’a rappelé contre l’Islande en mélangeant récupérations de balle, éliminations, jeu long et passes entre les lignes. Les Bleus souffrent à la relance et ne veulent pas impliquer les défenseurs centraux dans le jeu vers l’avant ‘ Pogba décroche et allonge avec précision. Les Bleus veulent contre-attaquer face à la Suisse ‘ Pogba dévore les espaces et claque une frappe sur la barre, du pied gauche, puis une volée, toujours du pied gauche.

Contrairement à Toni Kroos, omniprésent et immanquable sur le terrain, la présence de Pogba est plus discontinue. Si Toni Kroos fait ce qu’il sait faire tout le temps, Pogba est plus imprévisible, pas toujours en contrôle mais susceptible de tout réaliser à tout moment. Attribuer un poste ou une zone à un tel joueur est un casse-tête, et ses performances satisfaisantes mais pas à la hauteur de ses insolentes capacités lors des premiers matchs ont multiplié les débats sur son positionnement. Que faire d’une alliance si improbable entre puissance, vitesse et technique chez un seul joueur ‘ La révolution de la formation allemande a donné naissance à Toni Kroos. La venue au monde de Pogba paraît plus fortuite ; c’est comme si « la Pioche » était l’enfant de tous les grands joueurs français, des foulées de Vieira aux dribbles de Zidane, en passant par le numéro de Platini à la Juventus et son talent sur coup franc.

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Pour définir Pogba en équipe de France, il faudra d’abord définir l’équipe de France. Didier Deschamps se réclame du pragmatisme et de la victoire. Plus simplement, de la contre-attaque s’il le faut. La demi-finale face à l’Allemagne présente aux Bleus la première vraie opposition de styles de sa compétition, et une qui lui convient : pour une fois, l’adversaire prendra le contrôle du ballon avec joie. En attendant de trouver son poste, Pogba devra se muer en magicien technique et force de percussion à la récupération du ballon pour casser le pressing allemand, et amener les Bleus jusqu’à Toni Kroos. Le forcer à défendre, à courir. Car la plupart du temps, quand le ballon est à sa hauteur, c’est qu’il est dans ses pieds.

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