Flegme excentricité courage , clichés ou pas ces traits britanniques semblent appartenir au passé 

 Flegme excentricité courage , clichés ou pas ces traits britanniques semblent appartenir au passé 

Par Mark Rice-Oxley, journaliste au « Guardian »

Dans l’été du mécontentement que traverse le Royaume-Uni, deux romans parus au printemps nous ont offert un peu d’évasion, ils nous ramènent tous deux à la Seconde guerre mondiale.

Les personnages principaux de Freya, d’Anthony Quinn, et d’Everyone Brave Is Forgiven, de Chris Cleave, sont de courageuses Britanniques présentant toutes les qualités qu’on nous reconnaît depuis longtemps : stoïcisme, flegme, indépendance, une certaine excentricité, et, surtout, la décence.

La plupart du temps, ces jeunes femmes restent calmes et sereines. La gratification est différée, la récompense est obtenue grâce aux vertus de la patience, du labeur et d’innombrables tasses de thé.

« Coule Britannia »

Qu’est-il donc arrivé à ces clichés britanniques ‘ Jamais, auparavant, la nation n’avait perdu son sang-froid comme elle l’a fait depuis la Saint-Jean. En l’espace de deux semaines, les deux plus grands désastres qui aient frappé le pays depuis 1945  sans parler de la défaite de nos footballeurs face à l’Islande ‘ ont poussé le Royaume-Uni au bord de la folie. Le slogan « Cool Britannia » qui reste attaché à la Grande-Bretagne blairiste des années 1990 s’est transformé en « Coule Britannia ».

Rien n’a tant divisé le pays que le vote du 23 juin en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE), scrutin durant lequel les provinciaux anglais (et gallois) ont eu grand plaisir à adresser un bras d’honneur à l’élite. Les pro-européens ont laissé éclater leur colère sur Facebook, de vieux amis se sont brouillés et, dans les familles, certains ne se parlent plus.

Sonné, l’establishment n’a pas réagi avec ses stoïques commentaires habituels, mais par ce qui ressemble à une dépression nerveuse politique. Au lieu de « lèvres supérieures rigides », on voit partout des mentons fragiles.

Dans les deux camps, les meneurs de la campagne sont aujourd’hui presque tous au tapis. Le premier ministre, David Cameron, a donné le ton en annonçant sa démission le 24 juin à l’heure du petit-déjeuner, et depuis il ne s’est quasiment pas passé un jour sans que quelqu’un, fâché, déclare forfait (y compris, bien entendu, le sélectionneur de l’équipe d’Angleterre Roy Hodgson).

La seule personnalité qui n’ait pas (encore) démissionné est le chef de l’opposition, Jeremy Corbyn, qui a probablement mené la pire des campagnes contre le Brexit, apparaissant la plupart du temps comme un otage lisant un texte auquel il ne croyait pas.

Terrain miné

Curieusement, il n’y a pas que les perdants qui ont jeté l’éponge. Les partisans du Brexit se sont vite rendu compte que le terrain était miné, et certains ont explosé en vol.

L’ancien maire de Londres, Boris Johnson, et le leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), Nigel Farage, ont annoncé leur retrait respectif à moins de 24 heures d’intervalle, s’empressant d’enterrer un autre cliché anglais l’excentricité. Le conservateur Michael Gove les a imités le jeudi soir suivant après avoir échoué dans sa pitoyable tentative de devenir le nouveau dirigeant des Tories.

Voilà donc où nous en sommes, messieurs dames : les quinquagénaires qui nous ont amenés au Brexit ont ouvert les yeux, constaté ce que cela voulait vraiment dire, et décidé qu’ils n’allaient pas s’embêter à remettre de l’ordre dans cette pagaille ce qui est l’antithèse du séculaire esprit battant des Britanniques.

Au volant d’un de ces bus Routemaster si chers à Boris Johnson, ces garçons bon chic bon genre ont quitté l’autoroute pour s’engager dans les impasses de l’Angleterre profonde jusqu’à ce que le GPS tombe en panne, que Nigel vide quelques pintes et que Boris s’esquive pour aller jouer au cricket.

Mais ce n’est pas tout. L’esprit churchillien si joliment incarné par les héroïnes des romans susmentionnés a lui aussi disparu. C’est ce que nous apprend la condamnation accablante de Tony Blair au terme d’une enquête de sept années sur la guerre d’Irak, dont les résultats viennent d’être publiés.

Boule de nerfs pleurnicharde

Dans l’histoire britannique, la guerre s’écrit toujours ainsi : ivre de pouvoir, affamé de territoire ou de statut, peut-être même anatomiquement déficient, l’étranger s’en prend à la puissante et fière Albion, lui porte quelques coups sans gravité et, au final, reçoit une sévère correction.

Les mêmes discours de temps de guerre sont transmis de génération en génération à nos écoliers qui, semblent-ils, comprennent d’emblée ce que tout cela veut dire : « Encore une fois sur la brèche, chers amis, encore une fois ! », exhortait Henry V. « Nous les combattrons sur les plages », lui fait écho Winston Churchill plusieurs siècles plus tard.

Hélas il n’y avait rien de churchillien dans la guerre d’Irak. C’est en gros le verdict de Sir John Chilcot au terme de son enquête. Blair se refuse toujours à voir les choses ainsi, et s’entête dans des contorsions exaspérantes pour tenter d’expliquer l’inexplicable : certes je suis désolé que des gens soient morts ; mais je serais prêt à refaire la même chose demain si je pouvais. Encore moins plausible : le monde est plus sûr depuis que Saddam n’est plus là.

Essayez d’expliquer ça aux habitants de Falloujah, d’Istanbul ou même de Paris. Même Blair a perdu son sang-froid désormais. Avec sa voix rauque et ses yeux larmoyants, il donne l’impression d’être un type mal dans sa peau : un parfait symbole vivant de cette boule de nerfs pleurnicharde qu’est devenue la Grande-Bretagne.

Tragédie shakespearienne

Bien entendu, ce n’est pas en ce maudit jour de la Saint-Jean que la confiance s’est brusquement brisée dans le pays. Elle avait été sapée depuis longtemps. Les gens brandissent des pancartes « Bliar » [jeu de mots entre Blair et « liar », « menteur »] depuis 2003, date à laquelle l’espoir et la confiance dans l’establishment ont fini par s’évaporer.

Et depuis lors, le vote de protestation n’a cessé de gagner du terrain, le fossé entre les élites et les gens ordinaires de se creuser. Jusqu’au 23 juin, personne ne s’était vraiment rendu compte à quel point il était profond. On peut dire que dans un certain sens, la guerre en Irak nous a coûté notre appartenance à l’UE. Un prix que nos enfants vont devoir payer pendant des décennies.

Quelles sont aujourd’hui les nouvelles valeurs britanniques ‘ Eh bien, il y a d’abord la malhonnêteté. Le genre de tromperie qui a empoisonné la campagne du Brexit et fait en sorte que très peu de gens, en définitive, ont réellement compris ce qui était en jeu. Le genre d’entourloupe que Johnson a jouée à son ancien copain d’université Cameron en prenant en marche le train du Brexit. Le genre de trahison que Gove a commise à l’encontre de Johnson, son partenaire dans la campagne du Brexit, en lui retirant son soutien dans la course au poste de premier ministre. Les mensonges qui ont été au c’ur de l’argumentaire de Blair en faveur de la guerre en Irak. Les enjolivures apportées au CV d’Andrea Leadsom, qui pourrait devenir premier ministre cet automne.

Mais ce n’est pas tout. Il y a d’autres valeurs britanniques plus obscures avec lesquelles vous allez devoir vous familiariser : la xénophobie, l’ignorance (« les gens en ont assez des experts »), la trahison, la jalousie. Le Royaume-Uni est devenu une tragédie shakespearienne.

Flegme, tolérance, manières, excentricité ‘ Clichés ou pas, ces traits foncièrement britanniques semblent aujourd’hui appartenir au passé. La jeune et courageuse Britannique de la Seconde guerre mondiale est désormais une parente éloignée que nous avons de plus en plus de mal à reconnaître.

(Traduit de l’anglais par Gilles Berton)

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