En Italie l’exclusion d’une élève de sa cantine pour avoir amené son sandwich fait polémique

En Italie l'exclusion d'une élève de sa cantine pour avoir amené son sandwich fait polémique

Le Monde
| 22.09.2016 à 15h00
Mis à jour le
22.09.2016 à 16h50
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Par Violaine Morin

L’affaire aurait pu rester cantonnée à l’école primaire Pirelli, à Milan, et ne concerner qu’une poignée de parents d’élèves et l’administration scolaire. Elle a fini à la « une » du Corriere della Sera, l’un des plus grands quotidiens italiens, provoquant une discussion idéologique sur les limites de l’autorité parentale, le rôle de l’école dans l’éducation nutritionnelle des enfants et l’égalité de tous dans l’enceinte de l’école publique. Avec, en toile de fond, un des sujets de discussion préférés des Italiens, la nourriture.

Au début, il y a un modeste sandwich au thon et une décision qui peut paraître extrême, exacerbant les tensions déjà existantes : pour avoir apporté à l’école son propre sandwich, préparé par ses parents avec des ingrédients bio, une fillette de 10 ans a été renvoyée de la cantine et obligée de manger son déjeuner toute seule dans une salle de classe.

Chaque ville italienne décide du fonctionnement de ses cantines. A la rentrée, celle de Turin a été contrainte par la justice d’accorder aux parents qui le souhaitent le droit de préparer eux-mêmes le déjeuner des enfants. Cette décision de justice, obtenue à la suite d’une plainte de 58 familles, a poussé une dizaine de familles milanaises à réclamer la même chose : pouvoir choisir d’envoyer leurs enfants à l’école avec leur schiscetta, le petit repas préparé à la maison.

Tyrannie de la cantine

La ville de Milan a très vite fait savoir à toutes les écoles que la décision du tribunal de Turin ne changeait rien et que le règlement en vigueur continuerait de s’appliquer : il est toujours interdit aux élèves d’introduire dans les réfectoires de la nourriture de l’extérieur. En revanche, ils peuvent rentrer déjeuner chez eux si les parents le souhaitent.

Les parents de la petite fille bannie de la cantine le savaient mais ils l’ont quand même envoyée à l’école avec une schiscetta, pour montrer qu’ils refusaient la tyrannie du repas de la cantine. Après plusieurs avertissements, la directrice décide de « punir » la petite fille, pour le symbole, et pour punir indirectement ses parents.

L’adjointe au maire chargée de l’éducation, Anna Scavuzzo (Parti démocrate, centre gauche), a reconnu que la décision d’« exclure » l’enfant n’était pas la bonne, et que la règle en cas de problème était désormais de confisquer le déjeuner apporté par l’enfant, et de le forcer à manger au réfectoire avec les autres.

Question de principe

Mais elle n’a pas donné raison aux parents en colère, défendant la loi en vigueur à Milan, en rappelant qu’elle sert à « protéger les enfants » et à garantir que les repas soient pris dans des conditions d’hygiène contrôlées par l’école. Elle a vanté l’importance d’éduquer les enfants à la nutrition et à la composition d’un repas équilibré. Sans oublier le partage et la convivialité qu’on apprend sur les bancs des cantines.

« Le moment du repas a une valeur éducative. La cantine garantit à tous les enfants, indépendamment des ressources des parents, au moins un repas complet par jour. »

La mère de la petite fille exclue de la cantine, Marilu Santoiemma, a dit au Corriere della Sera ne pas vouloir « gagner à tout prix », mais « simplement une nourriture de meilleure qualité pour [le] s enfants ».

« Nous avons demandé pendant des années la possibilité de préparer nous-mêmes les repas pour certains jours convenus à l’avance avec l’école. »

Les critiques sur la mauvaise qualité de la nourriture proposée par la cantine ne sont, selon l’adjointe au maire, pas justifiées. Des efforts sont faits pour rénover les infrastructures, et les 80 000 repas distribués chaque jour par ses services sont composés à 40 % de nourriture issue de l’agriculture biologique, avec l’objectif de servir des pâtes et de l’huile d’olive bio à tous les enfants d’ici à la rentrée prochaine.

Dimension politique

L’affaire a pris une dimension politique. Valentina Aprea, conseillère régionale pour l’éducation du parti de droite Forza Italia, a pris position en faveur des parents, et contre l’administration milanaise dirigée par le Parti démocrate. Elle a demandé des excuses publiques pour la famille de la fillette et jugé que la décision judiciaire prise à Turin donnait le droit à « tous ceux qui décident de se passer de la cantine » de pouvoir quand même y envoyer son enfant pour qu’il mange un repas apporté de la maison.

Ce à quoi Anna Scavuzzo répond que non, l’ordonnance du tribunal de Turin « n’a pas l’effet d’un jugement définitif » et n’est valable que pour les 58 plaignants. Elle s’est étonnée que « l’affaire de schiscetta » (les guillemets sont de nous), qui ne concerne que « quelques dizaines de personnes », soit devenue une querelle « purement idéologique », alors qu’une « majorité de familles reconnaît la valeur éducative du moment du déjeuner ».

Malgré les appels de la municipalité à « laisser les enfants en dehors des batailles idéologiques des adultes », une réunion publique avec institutions et associations aura lieu, sur demande de Forza Italia, pour évaluer l’application de l’ordonnance de Turin à Milan. Et la mère de la petite-fille-au-sandwich-bannie-de-la-cantine a déposé une mise en demeure auprès de la ville de Milan, et se fait aider par l’avocat qui a défendu les familles de Turin.

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