En Afrique du Sud l’opposition utilise l’héritage de Mandela pré carré de l’ANC

En Afrique du Sud l'opposition utilise l'héritage de Mandela pré carré de l'ANC
Nelson Mandela en 2005 à Johannesburg.
Crédits : REUTERS

Nelson Mandela, icône de la « Nation arc-en-ciel » ‘ Pas seulement. Ses descendants contrôlent déjà la fondation Mandela, créée en 1999, de son vivant. Elle détient l’exclusivité sur l’usage de la marque « Nelson Mandela », déposée à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle de Genève. De fait, elle contrôle le nom et l’image du héros sud-africain et leurs déclinaisons : son matricule de prisonnier « 46664 », son surnom « Madiba » et même une gamme de vins, en réalité une simple opération de négoce en vin.

Lire aussi : Le président sud-africain pourrait à nouveau faire face à des accusations de corruption

Ce « Mandela business » est prospère et, jusque-là, l’ANC, le mouvement de libération qu’il présida, ne s’était pas beaucoup ému de cette exploitation abusive. Mais, cette fois, les familles biologique et politique de Nelson Mandela sont très en colère. En cause, un clip de campagne de l’Alliance démocratique (DA, premier parti d’opposition) qui utilise la voix de Nelson Mandela pour mieux cibler l’électorat noir et les déçus de l’African National Congress (ANC) à l’approche des élections municipales, prévues le 3 août.

Affaibli par la crise économique et la succession de scandales qui touchent le président Jacob Zuma, le parti au pouvoir refuse de se laisser « voler » sa caution morale par le deuxième parti au Parlement, qui avait remporté 22 % des suffrages et 89 sièges sur 400 aux dernières législatives de 2014. Après la fin de l’apartheid, l’ANC a remporté toutes les élections et domine encore largement la vie politique sud-africaine. Mais l’ancien mouvement de libération déçoit depuis qu’il est aux affaires.

Captation d’héritage

La vidéo de campagne du DA se nourrit de cette déception. Elle met en scène la journée de vote d’une maman noire. Depuis le pas de sa maison, où la jeune femme salue son voisin désabusé par la politique, puis à bord du bus qui longe des quartiers défavorisés et jusqu’à son bureau de vote, où elle est brièvement accostée par des militants de l’ANC plutôt agressifs qui tiennent un stand de campagne.

Le spot publicitaire ne s’arrête pas là. La caméra accompagne la jeune femme jusque dans l’isoloir. Au moment de faire son choix, elle semble hésiter devant le logo de l’ANC. Elle finit par cocher la case « DA », après avoir écouté la voix de Nelson Mandela, extraite de son discours d’investiture, à Pretoria, le 10 mai 1994 :

« Que la justice soit présente pour tous !
Que la paix soit là pour tous !
Que le travail, le pain, l’eau et le sel soient à la disposition de tous ! »

Si cette tentative de captation de l’héritage moral de Nelson Mandela fait autant scandale, c’est sans doute à cause de l’histoire de l’Allaince démocratique. Pendant longtemps, DA est passée pour la voix de l’élite blanche. Moins raciste que l’ouvertement ségrégationniste Parti national, l’Alliance restait associée à la domination de la minorité blanche sur la majorité noire, écartée du jeu politique durant la période d’apartheid.

Société post-raciale

« DA [utilise l’icône] au bénéfice d’un parti dont Mandela n’était pas membre », s’est agacé Madla Mandela, petit-fils de l’ancien président sud-africain et député ANC au Parlement. Il a demandé au parti d’opposition de retirer immédiatement le clip et menacé de saisir la Commission électorale indépendante (IEC) pour « violation grossière du Code électoral ». « Le nom de Madiba ne peut jamais être associé à la trahison de notre combat, » a-il ajouté.

La porte-parole de l’Alliance démocratique, Refiloe Nt’sekhe, lui a rétorqué que son parti « était le seul capable de mener l’Afrique du Sud vers l’avenir post-racial qu’elle mérite. Dire que Mandela n’appartient pas à tous les Sud-Africains est scandaleux ».

Lire aussi : En Afrique du sud, l’opposition mise sur un noir pour bousculer l’ANC

En mai 2015, DA a d’ailleurs porté à sa tête Mmusi Maimane, 35 ans, premier Noir à diriger la formation. Ce jeune de Soweto a succédé Helen Zille, une Blanche qui avait déjà beaucoup fait pour dépoussiérer le parti. Journaliste, militante anti-apartheid, elle s’était signalée par des révélations sur l’assassinat par la police du militant Steve Biko, en 1977.

L’Alliance démocratique, qui tente une synthèse entre libéralisme et conservatisme, s’attache à gommer son image de « parti de Blancs » afin de s’ouvrir aux Noirs, aux métis et aux Indiens. Pour l’instant, la formation politique a conquis ces deux dernières catégories, inquiètes d’une hégémonie de l’ANC, qui recueille toujours largement les suffrages des Noirs, ceux-ci constituant plus des trois quarts de la population sud-africaine.

Lire aussi : Mmusi Maimane, fils prodige de la nation arc-en-ciel’

En 2014, lors des dernières législatives, seulement 6 % des Noirs avaient voté pour l’Alliance démocratique. La figure de Mmusi Maimane, un diplômé en théologie qui a arrêté de prêcher dans une église évangélique de Johannesbourg pour rejoindre le Parlement du Cap, augmente théoriquement les chances de son parti de capter les déçus de l’ANC. Il a récemment révélé qu’il votait ANC avant de rejoindre DA, en 2007.

L’Alliance démocratique mise aussi sur la génération « born free », c’est-à-dire les jeunes de moins de 25 ans nés après la fin de l’apartheid. Pour le « Barack Obama de Soweto », cet emprunt à l’icône de l’ANC est un pas de plus sur le long chemin vers une société post-raciale.

Leave A Reply