Divorce à l’amiable débat à la sauvette

Divorce à l'amiable débat à la sauvette

Editorial du « Monde ». Cela fait partie de ces révolutions silencieuses qui transforment une société. Il y a quarante ans seulement, le divorce était rare. Il concernait à peine plus de 10 % des couples mariés et supposait la faute, par exemple l’adultère, de l’un des conjoints. Ce cadre légal et social a volé en éclats. La loi de 1975 a instauré le divorce par consentement mutuel. La loi de 2004 en a allégé la procédure. Aujourd’hui, un mariage sur deux se termine par un divorce et, dans plus de la moitié des cas, celui-ci relève d’un accord entre les conjoints, entériné par le juge.

Bref, le divorce s’est simplifié, banalisé et, en quelque sorte, privatisé. Le gouvernement entend prendre acte de cette mutation. Dans le cadre du projet de loi sur la « Justice du XXIe siècle », il a décidé de réformer à nouveau la procédure du divorce par consentement mutuel. Si le texte qui arrive en discussion à l’Assemblée nationale est adopté, le passage devant le juge des affaires familiales sera supprimé : les époux, accompagnés chacun de leur avocat, pourront négocier leur divorce et le faire enregistrer par un notaire.

Une justice expéditive

Pour le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, soucieux de soulager une justice « sinistrée », c’est une réforme de bon sens. Les tribunaux doivent traiter, chaque année, 60 000 à 70 000 divorces par consentement mutuel, les juges aux affaires familiales sont noyés sous ces dossiers et les greffes engorgés. Dans la quasi-totalité des cas, le juge valide les conventions préparées par les conjoints. C’est une justice expéditive, puisque le temps moyen d’audience pour un tel divorce est de huit minutes. En outre, les deux tiers des Français considèrent la procédure actuelle trop longue et trop coûteuse, et sont favorables à sa simplification.

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Cette réforme est, pourtant, plus problématique qu’il n’y paraît. D’ailleurs, depuis une vingtaine d’années, la plupart des ministres de la justice de droite ou de gauche ont voulu s’engager dans cette voie, avant d’y renoncer. A chaque fois, ils se sont heurtés à de sérieuses objections. C’est à nouveau le cas aujourd’hui. Des voix aussi diverses que celles du Défenseur des droits, d’associations de magistrats, des évêques de France ou de spécialistes du traitement judiciaire des séparations conjugales mettent en garde contre les risques que comporte la suppression de l’intervention du juge.

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Leurs craintes ne peuvent être balayées d’un revers de main. Elles portent notamment sur le sort réservé aux enfants mineurs. Il n’est pas rare, en effet, que le désir de séparation des parents, les tensions ou la souffrance liées à cette décision conduisent les candidats au divorce à perdre de vue ou à sous-estimer l’intérêt des enfants. Si la réforme est adoptée, c’est aux seuls avocats qu’il reviendra de « juger » que l’intérêt des enfants est préservé au mieux, ce qui n’est pas leur métier. Il en va de même pour l’équilibre des intérêts de chacun des époux. Ce n’est pas parce qu’un accord se fait à l’amiable qu’il est équitable. Le risque est de consacrer, de fait, la loi du plus fort. Sans le garde-fou du juge.

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Sans mésestimer la compétence des députés, il est regrettable qu’un tel sujet soit tranché à la sauvette. La réforme résulte, en effet, d’un amendement déposé par le gouvernement sur un texte déjà voté par le Sénat en novembre 2015 et contraint par la procédure d’urgence. Ce qui laisse bien peu de place au débat. Le bon sens ne dispense pas de la pédagogie.

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