Canicule et bière dans le Nord , dans les coulisses d’une vidéo devenue culte et récurrente

Canicule et bière dans le Nord , dans les coulisses d'une vidéo devenue culte et récurrente

A chaque canicule, un reportage de France 3 Nord de 1975 qui conseille d’en boire « jusqu’à 1,5 litre sans danger pour la santé » réapparaît dans les médias et sur les flux de vos amis.

Le Monde
| 22.06.2017 à 18h35
Mis à jour le
22.06.2017 à 18h55
|

Par Romain Geoffroy

A chaque canicule son marronnier, ce sujet médiatique récurrent qui se prête particulièrement bien aux fortes chaleurs. Les mêmes angles en ligne, à la télé, à la radio, avec les mêmes témoignages et les mêmes conseils : « J’ai chaud », « il faut bien s’hydrater », « quel ventilateur choisir ‘ ».

En août 1975, FR3 Nord-Picardie n’y échappait pas. L’angle du reportage paraît un peu particulier aujourd’hui. A l’époque, le journaliste Yves Sécher réalise un reportage de quatre minutes sur la canicule et dans lequel il se demande « qu’est-ce qu’on peut bien faire pour se rafraîchir ‘ ».

Très vite, la boisson arrive, et avec elle « la préférée de la région », la bière. « Le Comité national de défense contre l’alcoolisme dit même qu’on peut en boire jusqu’à 1,5 litre sans danger pour la santé », informe le journaliste après avoir rencontré patrons de bar et de brasserie.

A cause de sa légèreté de ton et de son conseil de santé, difficilement imaginables aujourd’hui, la vidéo archivée par l’Institut national de l’audiovisuel (INA) réapparaît à chaque canicule.

Cette année n’y échappe pas, alors que mercredi 21 juin a été la journée de juin la plus chaude en France depuis 1945. Le site de France 3 Hauts-de-France l’a republiée, Le Figaro également, Le Dauphiné et même la radio belge RTBF l’évoque, avec souvent des titres sur des variantes de « Quand on recommandait de boire 1,5 litre de bière’ ».

En 2016, elle était reprise par le Huffington Post, en 2015 par Rue89. En 2012, même Big Browser vous en parlait, après que Le Courrier picard ait ressorti le sujet. Sur Facebook, le nombre de vidéos partagées de France 3 ou de l’INA avoisine les 5 millions de vues et apparaissent partagées sur les murs de vos amis qui ne l’auraient pas encore vu lors de la précédente vague de chaleur.

« Qu’il soit 11 heures ou 18 heures, du moment qu’on a soif »

Près de quarante-deux ans plus tard, Yves Sécher se souvient encore dans les moindres détails de ce reportage qui refuse de disparaître. A l’époque fraîchement diplômé de l’école de journalisme de l’ESJ Lille, il vient d’obtenir un CDD d’été à la rédaction de FR3.

Le 2 août 1975, il fait plus de 30 oC dans la capitale des Flandres. Le sujet est vite trouvé. « J’arrive pour la conférence de rédaction, à 9 heures. Il fait une chaleur caniculaire, raconte celui qui est aujourd’hui retraité. Les plus vieux journalistes sont peu motivés. Moi, je suis parmi les plus jeunes, donc ça me tombe dessus : les chefs me demandent de faire un sujet pour l’ouverture du journal, quatre minutes sur la chaleur. »

« A l’époque il n’y avait pas Internet, alors je vais aux archives et je trouve une étude sur la consommation de boisson pendant la chaleur. J’avais que ça dans les mains, il fallait se dépêcher, tourner le reportage avant 15 heures pour le diffuser à 19 heures. Faut pas oublier qu’on est dans le Nord, et que c’est une région productrice de bière. »

Accompagné d’un caméraman, d’un preneur de son, et d’un collègue qui s’occupe de la lumière, Yves Sécher décide d’aller au bar d’en face, interroger le patron. Il lui confie très vite que les clients boivent un peu plus quand il fait chaud :

« Habituellement on en boit une, on en boit deux’ bah maintenant on en boit trois ou quatre. (‘) Qu’il soit 11 heures, midi ou 18 heures, du moment qu’on a soif, on boit de la bière. »

Le journaliste se rappelle quand même que la boisson consommée à l’époque était plutôt une « bière de table, faible en alcool, à 2,5 % ou 3 % ».

« Le pire, c’est que je n’ai pas gagné une thune avec tout ça »

Avec bonhomie, il reconnaît bien sûr qu’un tel format ne serait plus possible aujourd’hui :

« A l’époque, le sujet était déjà décalé. Mais mes chefs étaient très contents : il y avait des images de femmes dénudées à la piscine et c’était rare et de la bière. Même les gens de la région ont très bien réagi. Aujourd’hui avec Internet, tu verrais se lever tous les lobbys antialcool et de l’autre côté j’aurais quelques soutiens : le lobby de la bière et tous les jeunes qui font la fête. »

Et que pense-t-il de la longévité improbable de son reportage ‘ Il soupçonne l’un de ses anciens étudiants en journalisme de l’avoir ressorti des archives. « Le pire, c’est que je n’ai pas gagné une thune avec tout ça, dit en rigolant celui qui a aussi été formateur à l’ESJ Lille. Les reportages de l’époque sont devenus propriété de l’INA. Dommage, ça m’aurait bien fait rire de me payer des bières grâce à cette vidéo. »

Depuis 1991, la loi Evin est de toute façon passée par là. Elle interdit la publicité sur les boissons alcoolisées à la télévision. Les pouvoirs publics évaluent également mieux les risques sanitaires liés à la consommation d’alcool. Selon les chiffres de l’Insee datant de 2010, il est responsable de 49 000 morts par an. L’alcool est même la drogue la plus nocive dans la société, justement parce qu’elle est très répandue. Alors on s’en tient aux bonnes pratiques, on s’hydrate, mais en buvant de l’eau.

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