Burkini  , le trouble à l’ordre public en débat devant le Conseil d’Etat

 Burkini  , le trouble à l'ordre public en débat devant le Conseil d'Etat

Le Monde
| 26.08.2016 à 06h49
Mis à jour le
26.08.2016 à 07h31
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Par Gaëlle Dupont

Le seul fait d’arborer une tenue islamique sur la voie publique peut-il susciter dans la population une tension telle que le maire soit contraint d’en interdire le port ‘ Etait-ce le cas sur les plages de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) avant la publication, le 5 août, d’un arrêté « anti-burkini » par le maire (Les Républicains, LR) Lionnel Luca ‘

Ces questions ont été au centre des débats, jeudi 25 août, devant le Conseil d’Etat. Un collège de trois juges examinait les requêtes déposées par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) contre une ordonnance en référé rendue le 22 août par des juges du tribunal administratif de Nice. Elle validait l’arrêté de la municipalité, donnant tort aux deux associations qui réclamaient son annulation en urgence.

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Le pouvoir de police du maire est en jeu

La décision que rendra le Conseil d’Etat, vendredi 26 août dans l’après-midi, est très attendue. Une trentaine de communes ont en effet pris des arrêtés comparables. Ils sont susceptibles d’être confortés ou à leur tour contestés devant les tribunaux en fonction de l’arrêt de la plus haute juridiction administrative.

Au-delà, selon les avocats de la LDH et du CCIF, l’étendue des pouvoirs de police du maire est en jeu. « Le burkini’ est un vêtement de bain qui ne présente aucune différence réelle avec le voile, a argumenté Me Patrice Spinosi, l’avocat de la LDH. C’est un voile porté sur une tenue couvrante adaptée pour la baignade. » Par ailleurs, le domaine maritime, où la baignade en burkini est interdite à Villeneuve-Loubet, est un espace public. « Quelle sera la limite ‘, a poursuivi l’avocat. Si le maire régule les signes religieux dans l’espace maritime, pourquoi pas sur la plage et dans la rue ‘ »

L’arrêté constitue, selon ses opposants, une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience, qui garantit le droit d’exprimer ses convictions religieuses. « Le port d’un signe religieux, quoi qu’on puisse penser de ce signe, est une liberté », a ajouté Me Spinosi.

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« Un climat particulier »

En réponse, les avocats de la commune de Villeneuve-Loubet n’ont invoqué ni le respect de l’hygiène, ni celui de la laïcité, ni celui des bonnes m’urs, pourtant mentionnés dans l’arrêté municipal. L’impératif d’égalité entre les sexes, cité dans l’ordonnance des juges du tribunal administratif de Nice, n’a pas non plus été mentionné.

Aucun n’offrait de base juridique suffisante pour motiver l’arrêté. Leur défense s’est concentrée sur un seul point : le risque de trouble à l’ordre public, seul susceptible en l’état actuel du droit de justifier la restriction de liberté imposée aux porteuses de tenues couvrantes à la plage, si elle est « proportionnée » au risque.

« Il y avait de nombreux burkinis sur la plage de Villeneuve-Loubet avant l’arrêté du 5 août, et, depuis l’arrêté, la situation est parfaitement calme », a affirmé l’un des avocats de la commune, Me François Pinatel.

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« Le risque doit être objectivement démontré, a riposté Me Spinosi. Y a-t-il eu des émeutes, des violences ‘ » Interrogés par l’un des juges, qui leur demandait des précisions sur les faits, les avocats de Villeneuve-Loubet ont admis qu’aucun incident n’avait eu lieu, mais que la quantité « pléthorique » de burkinis sur les plages générait une « tension » spécifique après les attentats subis par la France, en particulier dans la commune voisine de Nice, le 14 juillet.

« Il y a dans cette région, les résultats aux élections le démontrent, un climat particulier, a poursuivi Me Pinatel. Les réactions qui ont suivi l’attentat de Nice ont été sans commune mesure avec celles qui ont suivi les attentats de novembre 2015 à Paris. Les maires essaient d’apaiser les choses. Ils prennent des mesures préventives, afin d’éviter que la situation ne dégénère. »

« Le chemin des libertés »

L’avocat du CCIF, Me Sefen Guez Guez, s’est insurgé contre cette argumentation. « C’est faire l’hypothèse que la population de Villeneuve-Loubet est tellement raciste et intolérante que la seule vue d’un voile provoquerait des troubles, a-t-il lancé. Je ne le crois pas. »

Il a également critiqué une logique qui aboutit à « exclure les victimes potentielles du racisme pour les protéger », puis a contesté le caractère « communautariste » des tenues couvrantes à la plage. « Le simple fait de se mêler aux autres, d’aller à la plage au même moment que les autres démontre le contraire », a-t-il affirmé.

Les avocats des associations ont appelé les juges du Conseil d’Etat à s’abstraire du vaste débat politique et sociétal lancé par les arrêtés anti-burkini. « La France est aujourd’hui meurtrie [par les attentats], mais elle a perdu le sens de la mesure dans cette affaire, a affirmé Me Spinosi. Vous devez être la boussole qui dans la tourmente continue à indiquer le chemin des libertés. La solution que vous retiendrez va nécessairement s’étendre. »

Les conseils de la commune ont de leur côté tenté de focaliser l’attention des juges sur la seule ville de Villeneuve-Loubet, et non sur celles de Nice ou de Cannes, où des femmes voilées ont été verbalisées sur les plages, et à restreindre la portée de l’arrêt à un lieu et un contexte particulier.

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