Boko Haram s’enracine autour du lac Tchad

Boko Haram s'enracine autour du lac Tchad

Le Monde
| 29.04.2016 à 17h18
Mis à jour le
01.05.2016 à 20h37
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Par Christophe Châtelot

Le président du Nigeria, Muhammadu Buhari, chef des armées, regarde-t-il le site Internet de son ministère de la défense » Une visite sur la page d’accueil décrivant les activités militaires de son pays suffit à contredire le chef de l’Etat lorsqu’il affirme que le Nigeria a «’techniquement gagné la guerre’» contre Boko Haram qui «’ne contrôle plus aucune partie du territoire’».

S’il est vrai que le mouvement islamiste a été contraint, face aux offensives conjointes des armées du Niger, du Tchad, du Cameroun et du Nigeria, de revoir ses objectifs à la baisse, et qu’il est affaibli militairement, il est pourtant loin d’avoir rendu les armes, poursuivant sa politique de terreur. Certes, l’emprise de Boko Haram sur le nord du pays n’est plus ce qu’elle était. Fin 2014, le mouvement contrôlait quatre villes dans les Etats de Borno et Yobe Gwoza, Bama, Baga et Gulani et une trentaine d’agglomérations. Un rapport publié par le think tank Nigeria Security Network estimait alors que «’70 % de l’Etat de Borno [avait] été annexé par Boko Haram’».

Allégeance à l’Etat islamique

Et puis, début 2015, le Nigeria et ses voisins directement menacés par les djihadistes du Jama’atu Ahlis ­Sunnah Lidda’awati wal Jihad («’groupe de ceux qui se sont engagés à diffuser les idées du Prophète et celles du djihad’», véritable nom du groupe’ ; Boko Haram étant le nom usuel) passent enfin à l’offensive. Une action accentuée par l’élection, en avril 2015, d’un ancien militaire, Muhammadu Buhari, à la présidence nigériane. Depuis, Boko Haram qui a fait allégeance à l’Etat islamique, devenant la Wilaya d’Afrique de l’Ouest, s’est replié.

Ce recul ne signifie pas inaction. Un rapport de l’ONG britannique Action on Armed Violence (AOAV), publié le 27 avril, indique que les attaques de Boko Haram ont fait trois fois plus de victimes en 2015 que l’année précédente. Selon AOAV, 3’048 personnes dont 96 % de civils ont été tuées cette année-là au Nigeria, celui-ci devenant le quatrième pays du monde où l’on a recensé le plus de victimes dues à des conflits armés (derrière la Syrie, le Yémen et l’Irak).

Le mouvement poursuit ses attaques de villages reculés et multiplie les attentats parfois menés par de très jeunes filles kamikazes dans les villes. Il disposerait toujours de bases opérationnelles dans les zones rurales du nord-est du Nigeria. Et il a délaissé les attaques frontales pour le harcèlement. Surtout, souligne Christian Seignobos, géographe et spécialiste de la région, «’l’engagement de Boko Haram sur le lac Tchad au tout début de l’année 2015 semble un changement majeur dans sa stratégie’». Chassé des villes et agglomérations qu’il contrôlait, le mouvement s’est enraciné sur les rives de ce lac où convergent les frontières du Nigeria, du Niger, du Cameroun et du Tchad. A tel point que le chercheur, dans un article à paraître dans Afrique contemporaine (n° 255), se demande si Boko Haram ne cherche pas à en faire «’son sanctuaire inexpugnable’». La guerre est loin d’être gagnée.

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