Avocats des grands criminels , comment défendre l’indéfendable’

Avocats des grands criminels , comment défendre l'indéfendable'

Au lendemain des attentats du 13 novembre, Frank Berton était un homme bouleversé. Comme tout le monde. Stupéfait qu’on puisse payer de sa vie quelques instants d’amitié autour d’un verre ou dans un concert, inquiet de la violence du monde dans lequel il guide ses enfants.

Personne, sans doute, n’a eu à l’époque l’idée saugrenue de demander à l’avocat qui bouillonne en lui s’il acceptait de défendre les auteurs de ce carnage. Mais on peut deviner quelle aurait été sa réponse. La même que celle qu’il a donnée à la fin du mois d’avril, quand il a été sollicité pour défendre Salah Abdeslam
: «
Ce n’est pas une décision facile à prendre. Je l’ai prise en mon âme et conscience, après avoir consulté plusieurs personnes et rencontré Salah Abdeslam.
» Il aurait accepté parce que c’est son métier. Sa vocation.

Pourtant, il savait : «
Bien sûr, il y aura des critiques, des menaces.
» Il a eu son lot, et ce n’est pas terminé. Comme si l’avocat qui se lève au côté du terroriste ne pouvait être un homme fréquentable. Comme ce fut le cas maintes fois, de Landru à Youssouf Fofana, en passant par le Dr Petiot, Patrick Henry, Émile Louis, Michel Fourniret ou les membres d’Action directe, comme plus près de nous Francis Evrard, les frères Jourdain ou Alain Penin, il a fallu que des voix s’élèvent pour expliquer.

«
La défense est obligatoire, en cour d’assises, c’est une des règles fondamentales de la démocratie
», a dit Me Henri Leclerc. Une voix qui compte. Il est l’une des icônes de la défense pénale, et aussi l’ancien président de la Ligue des droits de l’homme. Un humaniste, incontestablement.

« Des hommes, pas des causes »

En 1989, alors qu’il défendait Richard Roman, accusé d’avoir violé et tué une fillette de sept ans, Me Leclerc a failli être lynché, lors d’une reconstitution. Il a échappé de peu à la vindicte d’un groupe d’hommes et de femmes agglutinés et alimentés par leur propre colère. Quelques mois plus tard, Roman était acquitté.

«
Le rôle de l’avocat, rappelle-t-il, c’est d’être présent pendant l’instruction pour vérifier la légalité de la procédure. À l’audience, il doit pouvoir intégrer la défense de son client. S’il n’y arrive pas, s’il a des problèmes de conscience, il faut qu’il s’en aille.
»

La même conscience que celle dont parlait Frank Berton. Que celle qui guide aussi Éric Dupond-Moretti, à qui on a maintes fois demandé s’il aurait été capable de défendre un nazi. «
Sans aucun doute, répond-il alors. À condition qu’il ne me demande pas de nier l’existence des chambres à gaz.
» Puis, il explique, toujours plus convaincu au fil des ans : «
Je défends des hommes. Pas des causes.
»

Défendre n’est pas cautionner

Et défendre un homme n’est pas épouser, encore moins justifier sa cause. Pour prétendre une telle bêtise, comme Gilbert Collard l’a fait en avril au micro de BFM, il faut être parti bien loin du serment que prêtent les avocats. Ce serment auquel ont fait honneur Mes Frédérique Pons et Alex Ursulet, avocats de Guy Georges. Au procès du tueur en série, en mars 2001, un malaise étouffant emplissait la grande salle des assises de Paris, par la faute des dénégations obstinées de leur client, dont la position était intenable et insupportable pour les familles de ses victimes.

Un matin d’interrogatoire, après que s’est exprimée sa seule victime survivante, ce sont ses propres avocats qui ont aidé Guy Georges à avouer. Un époustouflant moment d’audience et de justice. Et d’humanité, aussi. La jeune rescapée et les familles des autres victimes avaient alors rendu un hommage inoubliable aux deux avocats.

« Ne pas oublier les victimes »

PHOTO AFP

Les voix qui se sont élevées spontanément, lors du transfert en France de Salah Abdeslam, n’exprimaient pas toutes le même rejet. Si quelques parents de victimes des attentats refusaient le principe même d’une défense pour le seul survivant des terroristes du 13 novembre, d’autres se montraient pragmatiques.

Ainsi, Georges Salines, président de l’association « 13 novembre : fraternité et vérité », dont la fille a été tuée au Bataclan, voulait y voir un avantage déterminant : «
C’est un acteur majeur des attentats, il sait beaucoup de choses. Il est possible qu’il parle pour minimiser son rôle, mais on doit pouvoir tirer de son témoignage des enseignements sur l’organisation, les commanditaires. D’autant que Mohamed Abrini a aussi été arrêté et qu’on pourra croiser leurs témoignages. »

Le choc a été rude

Même si le premier rendez-vous d’Abdeslam devant le juge a été décevant. Lors de leur rencontre avec les magistrats antiterroristes, les 24, 25 et 26 mai, la majorité des victimes et familles voulaient y croire.

Mais pour d’autres victimes, le choc a également été rude. Me
Berton a été l’avocat de la famille de la petite Camille, décédée le 28 avril 2011 à Marrakech, dans l’attentat de la place Jemaa el-Fna. Avocat tellement investi que d’autres familles s’étaient identifiées à sa plaidoirie, au procès qui s’est tenu à Rabat quelques mois plus tard. Alors, cinq ans après, le voir défendre un terroriste a été bouleversant. «
Ce qui me choque, ce n’est pas que Salah Abdeslam soit défendu, c’est que ce soit Frank Berton qui a pris le dossier, disait la s’ur d’une des victimes de l’attentat de Marrakech. Pour moi, c’est une énigme.
»

Les parents de Camille ont voulu comprendre. En parler, réfléchir. Et la maman de la petite victime a fini par livrer un sentiment plein de subtilité : «
Nous avons compris que c’est son métier. Que c’est ainsi qu’il arrive à se poser des deux côtés ; ce que nous ne pourrions pas faire. C’est son engagement, après tout, ce n’est pas le nôtre. Mais il ne faut pas que de sa position d’aujourd’hui, il oublie les victimes. Il faut qu’il sache que tout ce qu’il dira pourra toucher des gens qui l’écoutent et qui souffrent. Il doit avoir à c’ur de respecter cela, de ne pas envisager le seul point de vue de son client.
»
É. D.

Jacques Vergès, la défense de rupture

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Jacques Vergès est le plus sulfureux des avocats pénalistes contemporains. Il a accepté des clients aussi divers et controversés que Georges Ibrahim Abdallah, Klaus Barbie, Max Frérot, membre d’Action directe, Laurent Gbagbo, Carlos, Roger Garaudy ou Khieu Samphân, l’un des seuls khmers rouges jugés pour leurs crimes.

Au moment de la guerre d’Algérie, il a été le premier à assumer «
la défense de rupture
», une stratégie ouvertement polémique, dans laquelle l’accusé se fait accusateur de ses juges, dont il dénie la compétence, et prend l’opinion à témoin pour plaider sa cause.

Quitte à donner de sa personne : «
Je considère que la noblesse de notre profession c’est, lorsqu’une foule, pour les meilleures raisons du monde, veut lyncher quelqu’un, se mettre entre cette foule et ce quelqu’un et dire non.
»

Sur le plan judiciaire, l’efficacité de la méthode est discutable, mais Me Vergès la portait si ardemment devant l’opinion qu’il disait avoir évité la peine de mort à bien des clients. Aujourd’hui, la peine de mort n’existe plus en France et ils sont bien peu à revendiquer cet héritage à un avocat pourtant honoré par ses pairs, qui est mort ruiné, d’une crise cardiaque, en 2013.

Lors du procès de Klaus Barbie, il avait demandé l’acquittement. Son client a été condamné à perpétuité.
É. D.

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