Au Stade de France les deux cercles de l’enfer

Au Stade de France les deux cercles de l'enfer

Malheureusement, un match de foot, ce n’est pas qu’un match de foot.

Le vestibule de l’enfer. AFP PHOTO / FRANCK FIFE

Le match d’ouverture de l’Euro qui bascule en faveur des Bleus à la 89e minute sur une frappe en pleine lucarne : a priori, l’amateur de football français ne vivra pas grand-chose de mieux au cours du mois qui vient (hormis une finale, ou une demi-finale, ou un quart de finale, ou un huitième de finale, ou un troisième match de poule décisif qui bascule en faveur des Bleus à la 89e minute sur une frappe en pleine lucarne). Il y avait de quoi vibrer, hier au Stade de France. Si seulement il n’y avait eu ni l’avant-match, ni l’après.

AVANT

Les abords du Stade de France vendredi soir correspondaient sans doute à la vision de l’enfer d’une bonne partie du lectorat du Monde. L’odeur du graillon, du kebab et du houblon, les hordes de supporteurs déjà ronds comme des ballons à 16 heures, en train de danser et de brailler sous des haut-parleurs qui vomissent de la grosse-techno-qui-tache, avant qu’une partie d’entre eux n’aille sans doute vomir à son tour un excès de houblon et/ou de kebab.

Spectacle finalement classique des heures précédant une rencontre internationale n’importe où dans le monde. Sauf qu’il est, en l’occurrence, agrémenté de quelques éléments qui le rendent particulièrement infernal : la situation géographique du Stade de France, coincé entre l’A1 et l’A86, qui contraint à inspirer des litres de particules fines, à passer sous d’immenses ponts de béton, et à traverser des zones complètement glauques (et même complètement glucoses) pour y accéder ; le périmètre de sécurité autour de l’enceinte, élargi pour cause d’attentats du 13 novembre, et source d’interminables et horripilants détours si on a eu le malheur de se pointer à la mauvaise porte ; la présence policière massive, qui rassure autant qu’elle angoisse, et oblige les supporteurs à se désaltérer à l’ombre des fourgons de CRS. Charmant.

A l’ombre des jeunes CRS en fleur

APRÈS

Dimitri Payet (un peu caché par les journalistes)

Mais tout ça n’est rien à côté de l’enfer de la zone mixte, cet espace situé dans les sous-sols du stade où il fait affreusement chaud, où les journalistes se marchent dessus, où les panneaux publicitaires vous agressent, et où les joueurs viennent à la rencontre des médias pour raconter leur match, une fois celui-ci terminé. Sauf qu’ils n’arrivent pas tout à fait, une fois celui-ci terminé. Et qu’ils ne racontent pas tout à fait leur match.

Exemple d’agression par un panneau publicitaire en zone mixte (les marques ont été dissimulées par nos soins, car nous ne sommes pas là pour faire leur retape)

Il est minuit passé, c’est-à-dire une heure et quart après le coup de sifflet final de France-Roumanie, quand le premier joueur tricolore se présente devant la presse écrite. Steve Mandanda s’arrête pour signer un autographe sur le calepin d’un journaliste, avant de repartir sans répondre aux questions. Lucas Digne et Morgan Schneiderlin, arrivés dans la foulée, auraient, eux, peut-être accepté d’y répondre si quelqu’un leur en avait posé une.

On assiste ensuite au ballet de joueurs en costard bleu nuit qui passent sans un regard pour des journalistes les implorant de leur lâcher un bout de phrase (« Antoine ! Antoine ! », « Paul ! Paul ! », « Olivier ! Olivier ! »). Adil Rami applique, quant à lui, la fameuse technique du téléphone collé à l’oreille, consistant à passer un coup de fil, réel ou simulé, juste avant de traverser la zone mixte, afin d’esquiver toute question pénible quand on n’a pas fait un bon match.

Superbe action d’Adil Rami, qui file seul au bout de la zone mixte

Plusieurs joueurs (N’Golo Kanté, Blaise Matuidi, Bacary Sagna, Dimitri Payet) ont la politesse de s’arrêter pour gratifier les journalistes de trois minutes d’une conversation plus ou moins insipide, et il nous revient en mémoire les demi-heures que les handballeurs français prennent pour débriefer avec les médias dans les instants qui suivent chaque rencontre alors qu’ils ont encore la tête qui fume. Il nous revient aussi en mémoire la légendaire zone mixte des Mondiaux de natation 2013 à Barcelone, mais c’est une autre histoire.

A la décharge des footballeurs, on imagine volontiers le caractère fastidieux de cet exercice imposant, en gros, de répondre dix fois aux mêmes questions posées par les télés, les radios et les journaux de France et d’ailleurs. La multiplication des médias rend tout échange sincère et intéressant quasiment impossible. Patrice Evra fait figure de divine exception. Le plus expérimenté des Bleus est aussi le plus bavard :

«Franchement, j’avais l’impression que les Roumains étaient à douze sur le terrain, mais ils ne nous ont pas vraiment mis en danger. Ils nous ont étouffés, mais ils ont quoi, deux, trois actions franches On en a beaucoup aussi. C’était un match équilibré. On s’attendait à ça, c’est un match d’ouverture. Il faisait chaud, beaucoup de joueurs avaient la gorge sèche, on avait du mal à respirer, mais c’est le premier match. Il y a beaucoup d’appréhension, et l’appréhension, malheureusement, ça te fait consumer un peu d’énergie.

Ce que j’ai aimé, c’est cet état d’esprit, c’est qu’on n’a rien lâché. Mettre le bleu de chauffe, gagner comme ça, avec encore un coup de génie de Dimi’ (Payet)’ On a besoin de ces victoires. Je veux pas souffrir comme ça à tous les matchs, bien sûr, mais c’est beau. Je suis vraiment content pour ‘Dimi’. Je sais qu’il ne va pas s’enflammer et qu’il va continuer. Qu’il continue à frapper comme ça en lucarne, c’est parfait pour l’équipe de France. Mais je vous en supplie, n’enflammez pas les joueurs. Vous l’avez fait avec la pioche’ (Pogba), avec Grizou’ (Griezmann), mais je le répète, la star de cette équipe, c’est pas Dimi, c’est pas Paul (Pogba), c’est pas Grizou’, c’est toute l’équipe.»

Evra s’arrêtera encore auprès de journalistes italiens pour livrer dans la langue de Francesco Totti une analyse manifestement passionnante, puisque l’un d’entre eux s’exclamera, une fois le joueurs français parti rejoindre ses camarades dans le bus : « Grande ! Grandissimo ! »

Henri Seckel

Avant.

Après.

Signaler ce contenu comme inapproprié

Leave A Reply